"Mais où est passée Calista?"
Invariablement la réponse est : "Elle fait des courses!"
Il faut dire que je peinais à me tenir debout, quand, elle dans le même temps, elle avait appris à marcher et à courir. A petites foulées dodelinantes et gazouillantes pour commencer, dans le patio, puis passant les porches jusqu'à la maison de ma famille, l'autre bout de la rue, du village, en direction d'une autre bourgade proche, jusqu'à la capitale et ainsi de plus en plus loin au fur et à mesure que sa foulée s'allongeait.
Comprenant que l'on ne savait l'arrêter, ses parents, les voisins et même les autres habitants du village, se voyant dans l'impossibilité de cavaler après elle à tout bout de champ, trouvèrent bon de fixer des limites en lui donnant à faire des courses aux buts bien précis.
Porter jusqu'à la cuisine une feuille de laurier pour le souper, une invitation à prendre une infusion pour ma mère, une mesure de vin parfumé aux pétales de roses pour le vieil ivrogne qui à la sortie du village faisant fi des recommandations de modération, pousse à grande allure son attelage sur les chemins de terre en beuglant des odes que les jeunes enfants devraient ne pas entendre. Plus officiel, transmettre aux stratèges l'état des forces mobilisables pour le combat. Elle s'est même lancée dans une juteuse affaire de transport rapide de vases funéraires. La picturale éloge funèbre à peine sèche, elle emporte l'urne pour rejoindre la maison du futur occupant qui fait bien moins montre d'impatience que le restant de sa famille.
Moi émerveillé par son aisance, incapable de la rattraper, je reste cloué sur place triste de la voir aussi souvent et aussi vite s'éloigner.
Sur son chemin on s'écarte juste le temps de ressentir le souffle chaud de sa respiration le parfum de sa sueur. Il n'est pas rare que quelques têtes masculines moins promptes à s'écarter se retournent sur son passage pour de manière innocente admirer le galbe de ses muscles, la finesse de sa taille, l'élégance de son port de tête, la vivacité de son regard, ses cheveux flottant aux vents, l'efficacité de sa foulée et bien d'autres choses encore. Tout cela, si toutefois les matrones ne mettent pas un brusque terme à ces moments de contemplation. Quelques-unes d'entre elles soucieuses de ramener le bon ordre au sein du foyer ont bien tenté un croc en jambe pour rabaisser "la Divine" comme elles disent avec un certain mépris. C'est sans compter qu'elle s'est aussi initiée au saut de haies et qu'alors l'élégance du geste n'en est que plus dévoilé et le trouble des maris plus grand encore. Du coup fini les croches pattes. Les maris penauds courbent la tête au moindre mouvement de main des batteuses de lessive. Seuls les éphèbes s'autorisent parfois à la siffler mais cela de manière très mesurée car le nombre de luttes sur son passage est proportionnel au nombre de ses admirateurs.
Son père n'a de cesse de la mettre régulièrement en garde :
- Calista ne te fais pas remarquer ainsi. Tous les hommes de la région ne rêvent que de te courir après!
Elle, certaine qu'en prenant ainsi les devants elle gagne sa liberté, n'en a que cure.
Un matin, sous les Hourras!
Émergeant torse nu d'un nuage de poussière aux relents guerriers je l'aperçois.
Vers elle je cours, j'accours.
Avant que je n'arrive à sa hauteur, elle se lance dans une course, comme s'il lui fallait me jauger.
- Tu n'me rattraperas pas!
Couvert de sable chaud il est beau mon solitaire!
Mais s'il compte sur moi pour marcher trois pas derrière il peut toujours courir.
Tu n'me rattraperas pas! Martèle-t-elle en ma direction.
Je l'entends soliloquer à haute voix.
- Ne pas m'emballer devant le premier venu!
Bien penser à respirer, inspirer, expirer profondément!
Régler le pas de course sur ma respiration!
Ne surtout pas m'emballer devant le premier venu!
Penser à m'hydrater régulièrement!
De ses pieds légers elle caresse le sol et telle une noria, avec une délicate constance elle avale les distances pendant que moi tel une dame je martèle sa trace.
- Tu ne me rattraperas pas!
T'es tenace, mais tu manques d'entrainement, ton pas est un peu trop lourd et aussi désordonné que celui d'un novice.
Tu n'me rattrapera pas! Continue-t-elle à m'affirmer.
Ta tête me dit quelque chose!
On se connait?
Elle est dans le bon rythme et moi je commence à manquer d'air, même pas de souffle pour lui répondre.
Je ne la lâche pas, même si l'écart entre nous grandit.
Quand je m'arrêterai j'oserai aller la voir pour que l'on fasse les courses ensemble.
- S'abreuver régulièrement!
Elle ne tire de sa gourde qu'une gorgée puis, elle dépose précautionneusement le récipient au sol pour que le héraut imprévoyant que je suis puisse à son tour étancher sa soif.
- Tiens, t'en a plus besoin!
La tête haute, la gorge déployée elle continue d'avaler les distances.
N'ayant que mes pieds pour horizon et cherchant mon souffle je peine à suivre.
Je ne dois pas me laisser distraire, je pourrais perdre ma cadence. Pour échapper à ma solitude et aux douleurs naissantes je n'ai de cesse que d'imaginer les premiers mots que je lui adresserai.
- Belle Exquise, vos beaux yeux me font courir l'amour, à moins que cela ne soit Vos yeux beaux l'amour me font, belle Exquise, courir.
Elle semble percevoir la défaillance de mon souffle, de mon pas, mes gesticulations et les propos incohérents qui commencent à témoigner de ma fatigue.
Je n'arrive à me retenir, je me vide.
Je tombe, les pieds en sang, jambes et chevilles raidies, le corps ruisselant de sueurs brulantes et glaciales à la fois, la bouche et les entrailles en feu. Je pleure, frappe le sol des poings en hurlant ma douleur, me traine à quatre pattes, tel une bête à l'agonie. Haletant, la langue pendante, la bave suintant de la gueule, péniblement je me relève, Le soleil me cogne et résonne, mes yeux broient le rouge et le noir.
- Tu ne me rattraperas pas!
Mais pourquoi t-es-tu lancé dans cette course?
Pense à autres choses qu'à la maltraitance de tes souffrances.
Ses épaules dressées ses bras battent la mesure et accrochent les distances, épaules tombantes et bras ballants j'avance.
Malgré cela, je continue. Cela fait bien trop longtemps que j'attends, que j'espère être à sa hauteur...
Elle a compris!
Elle ralenti et me laisse l'approcher. Ce serait bien que l'on puisse poursuivre notre chemin cote à cote! Enfin je pourrai lui dire que je n'ai toujours eu d'yeux que pour elle.
Au loin la cité se profile. Elle grandit au rythme de la course du soleil qui marque le temps qui s'écoule. Les portes sont largement ouvertes et sa population bruyante fait masse au-devant.
Elle ralenti encore.
- Rattrape-moi, je t'attends! Crie-t-elle en gardant ses distances.
Titubant je comprends que je n'arriverai à la rattraper.
Elle s'arrête...
Poursuivant mon chemin je passe devant elle sans même avoir la force de lui offrir un regard.
Dépitée elle se glisse dans la foule ou les clameurs se font de plus en plus fortes.
Un large passage s'ouvre entre deux rangs de vociférants.
Je m'y engage les clameurs redoublent encore.
Aux marches du palais je me mets à souffler "On a, on a gagné, on a gagné!"
- Ce n'est pas possible il a bu autre chose que le contenu de ma gourde! Crie-t-elle.
Mais qu'est-ce qu'il raconte!
On n'a pas fait la course ensemble!
Il a l'air malin, il n'est même pas arrivé à me rattraper!
- On a ga! dans un dernier souffle...
- Mais qui c'était?
- Oh! " Juste un p'ti gars qu'on nous a envoyé en vitesse de Marathon à une vingtaines de stades d'ici pour nous dire que les Perses avaient été battu et qu'il n'est donc pas nécessaire de mettre le feu à la cité en trucidant auparavant nos femmes et enfants avant de fuir devant l'ennemi. Parait qu'il s'appelait Philippidès!". Lui dit un vieil athénien.
Ce n'est pas le tout, mais moi, vis-à-vis de mon père, de ma mère, il faut que je tienne mon engagement de rentrer avant le coucher du soleil sinon ils vont encore se faire des idées! Finit-elle par dire en tournant les talons sans verser une larme.
Invariablement la réponse est : "Elle fait des courses!"
Il faut dire que je peinais à me tenir debout, quand, elle dans le même temps, elle avait appris à marcher et à courir. A petites foulées dodelinantes et gazouillantes pour commencer, dans le patio, puis passant les porches jusqu'à la maison de ma famille, l'autre bout de la rue, du village, en direction d'une autre bourgade proche, jusqu'à la capitale et ainsi de plus en plus loin au fur et à mesure que sa foulée s'allongeait.
Comprenant que l'on ne savait l'arrêter, ses parents, les voisins et même les autres habitants du village, se voyant dans l'impossibilité de cavaler après elle à tout bout de champ, trouvèrent bon de fixer des limites en lui donnant à faire des courses aux buts bien précis.
Porter jusqu'à la cuisine une feuille de laurier pour le souper, une invitation à prendre une infusion pour ma mère, une mesure de vin parfumé aux pétales de roses pour le vieil ivrogne qui à la sortie du village faisant fi des recommandations de modération, pousse à grande allure son attelage sur les chemins de terre en beuglant des odes que les jeunes enfants devraient ne pas entendre. Plus officiel, transmettre aux stratèges l'état des forces mobilisables pour le combat. Elle s'est même lancée dans une juteuse affaire de transport rapide de vases funéraires. La picturale éloge funèbre à peine sèche, elle emporte l'urne pour rejoindre la maison du futur occupant qui fait bien moins montre d'impatience que le restant de sa famille.
Moi émerveillé par son aisance, incapable de la rattraper, je reste cloué sur place triste de la voir aussi souvent et aussi vite s'éloigner.
Sur son chemin on s'écarte juste le temps de ressentir le souffle chaud de sa respiration le parfum de sa sueur. Il n'est pas rare que quelques têtes masculines moins promptes à s'écarter se retournent sur son passage pour de manière innocente admirer le galbe de ses muscles, la finesse de sa taille, l'élégance de son port de tête, la vivacité de son regard, ses cheveux flottant aux vents, l'efficacité de sa foulée et bien d'autres choses encore. Tout cela, si toutefois les matrones ne mettent pas un brusque terme à ces moments de contemplation. Quelques-unes d'entre elles soucieuses de ramener le bon ordre au sein du foyer ont bien tenté un croc en jambe pour rabaisser "la Divine" comme elles disent avec un certain mépris. C'est sans compter qu'elle s'est aussi initiée au saut de haies et qu'alors l'élégance du geste n'en est que plus dévoilé et le trouble des maris plus grand encore. Du coup fini les croches pattes. Les maris penauds courbent la tête au moindre mouvement de main des batteuses de lessive. Seuls les éphèbes s'autorisent parfois à la siffler mais cela de manière très mesurée car le nombre de luttes sur son passage est proportionnel au nombre de ses admirateurs.
Son père n'a de cesse de la mettre régulièrement en garde :
- Calista ne te fais pas remarquer ainsi. Tous les hommes de la région ne rêvent que de te courir après!
Elle, certaine qu'en prenant ainsi les devants elle gagne sa liberté, n'en a que cure.
Un matin, sous les Hourras!
Émergeant torse nu d'un nuage de poussière aux relents guerriers je l'aperçois.
Vers elle je cours, j'accours.
Avant que je n'arrive à sa hauteur, elle se lance dans une course, comme s'il lui fallait me jauger.
- Tu n'me rattraperas pas!
Couvert de sable chaud il est beau mon solitaire!
Mais s'il compte sur moi pour marcher trois pas derrière il peut toujours courir.
Tu n'me rattraperas pas! Martèle-t-elle en ma direction.
Je l'entends soliloquer à haute voix.
- Ne pas m'emballer devant le premier venu!
Bien penser à respirer, inspirer, expirer profondément!
Régler le pas de course sur ma respiration!
Ne surtout pas m'emballer devant le premier venu!
Penser à m'hydrater régulièrement!
De ses pieds légers elle caresse le sol et telle une noria, avec une délicate constance elle avale les distances pendant que moi tel une dame je martèle sa trace.
- Tu ne me rattraperas pas!
T'es tenace, mais tu manques d'entrainement, ton pas est un peu trop lourd et aussi désordonné que celui d'un novice.
Tu n'me rattrapera pas! Continue-t-elle à m'affirmer.
Ta tête me dit quelque chose!
On se connait?
Elle est dans le bon rythme et moi je commence à manquer d'air, même pas de souffle pour lui répondre.
Je ne la lâche pas, même si l'écart entre nous grandit.
Quand je m'arrêterai j'oserai aller la voir pour que l'on fasse les courses ensemble.
- S'abreuver régulièrement!
Elle ne tire de sa gourde qu'une gorgée puis, elle dépose précautionneusement le récipient au sol pour que le héraut imprévoyant que je suis puisse à son tour étancher sa soif.
- Tiens, t'en a plus besoin!
La tête haute, la gorge déployée elle continue d'avaler les distances.
N'ayant que mes pieds pour horizon et cherchant mon souffle je peine à suivre.
Je ne dois pas me laisser distraire, je pourrais perdre ma cadence. Pour échapper à ma solitude et aux douleurs naissantes je n'ai de cesse que d'imaginer les premiers mots que je lui adresserai.
- Belle Exquise, vos beaux yeux me font courir l'amour, à moins que cela ne soit Vos yeux beaux l'amour me font, belle Exquise, courir.
Elle semble percevoir la défaillance de mon souffle, de mon pas, mes gesticulations et les propos incohérents qui commencent à témoigner de ma fatigue.
Je n'arrive à me retenir, je me vide.
Je tombe, les pieds en sang, jambes et chevilles raidies, le corps ruisselant de sueurs brulantes et glaciales à la fois, la bouche et les entrailles en feu. Je pleure, frappe le sol des poings en hurlant ma douleur, me traine à quatre pattes, tel une bête à l'agonie. Haletant, la langue pendante, la bave suintant de la gueule, péniblement je me relève, Le soleil me cogne et résonne, mes yeux broient le rouge et le noir.
- Tu ne me rattraperas pas!
Mais pourquoi t-es-tu lancé dans cette course?
Pense à autres choses qu'à la maltraitance de tes souffrances.
Ses épaules dressées ses bras battent la mesure et accrochent les distances, épaules tombantes et bras ballants j'avance.
Malgré cela, je continue. Cela fait bien trop longtemps que j'attends, que j'espère être à sa hauteur...
Elle a compris!
Elle ralenti et me laisse l'approcher. Ce serait bien que l'on puisse poursuivre notre chemin cote à cote! Enfin je pourrai lui dire que je n'ai toujours eu d'yeux que pour elle.
Au loin la cité se profile. Elle grandit au rythme de la course du soleil qui marque le temps qui s'écoule. Les portes sont largement ouvertes et sa population bruyante fait masse au-devant.
Elle ralenti encore.
- Rattrape-moi, je t'attends! Crie-t-elle en gardant ses distances.
Titubant je comprends que je n'arriverai à la rattraper.
Elle s'arrête...
Poursuivant mon chemin je passe devant elle sans même avoir la force de lui offrir un regard.
Dépitée elle se glisse dans la foule ou les clameurs se font de plus en plus fortes.
Un large passage s'ouvre entre deux rangs de vociférants.
Je m'y engage les clameurs redoublent encore.
Aux marches du palais je me mets à souffler "On a, on a gagné, on a gagné!"
- Ce n'est pas possible il a bu autre chose que le contenu de ma gourde! Crie-t-elle.
Mais qu'est-ce qu'il raconte!
On n'a pas fait la course ensemble!
Il a l'air malin, il n'est même pas arrivé à me rattraper!
- On a ga! dans un dernier souffle...
- Mais qui c'était?
- Oh! " Juste un p'ti gars qu'on nous a envoyé en vitesse de Marathon à une vingtaines de stades d'ici pour nous dire que les Perses avaient été battu et qu'il n'est donc pas nécessaire de mettre le feu à la cité en trucidant auparavant nos femmes et enfants avant de fuir devant l'ennemi. Parait qu'il s'appelait Philippidès!". Lui dit un vieil athénien.
Ce n'est pas le tout, mais moi, vis-à-vis de mon père, de ma mère, il faut que je tienne mon engagement de rentrer avant le coucher du soleil sinon ils vont encore se faire des idées! Finit-elle par dire en tournant les talons sans verser une larme.