Sacrifice d'une âme

-« Maitre ? Vous plaisantez ? vous pouvez me cogner comme l'ont fait tous les autres mais je ne vous appellerai pas maitre».
C'est la réponse de Jezula, d'un ton dédaigneux, au puissant chef de gang assis en face d'elle après que ce dernier lui ait vociféré :
-« Comment oses-tu fixer ainsi le maitre ? ».
La jeune étudiante en sciences humaines et sociales emmenée là depuis plus de 24 heures maintenant, s'est tellement montrée rebelle face aux bandits qu'ils ont du l'emmener auprès du Maitre pour une décision finale.
Au moment où le chef s'apprête à prononcer un autre mot, son téléphone sonne :
« Allo Chien méchant... » Répond- il en décrochant.
Puis il s'écarte un peu pour continuer la conversation. Entre temps, la jeune détenue repasse dans sa mémoire la cascade d'évènement devant la conduire jusqu'ici comme à son dernier jour, elle se sent déjà prête à tracer un exemple pour annoncer l'heure où doit sonner le glas de cette terreur collective.
Il est 7hre du soir dans sa montre. C'est exactement à cette heure, hier, se rappelle-t-elle que cette péripétie devait démarrer. Elle avait été emmené ici les yeux bandés et n'avait vu jusque là le chemin par lequel elle était passée, ni le visage d'aucun de ceux qui la frappaient. En face d'elle s'incruste le graffiti du puissant chef de gang IZO, avec son pseudo inscrit en dessous. Elle soupçonne alors qu'elle est à martissant. Subitement dans le hall retentit un coup de feu. Jezula retient son souffle en comptant les coups qui rompaient délibérément le silence. Aucun intervalle de temps ne semble s'écouler avant le déclenchement de chaque coup et que l'écho soit éteint. Elle a entendu ces sons depuis la soirée et pendant toute la journée. Sans doute, il s'agissait d'un affrontement entre deux gangs rivaux ou entre ces derniers et la police. Sa logique plaide en faveur de la première hypothèse car elle sait que la police ne peut tenir aussi longtemps face aux bandits de cette zone. Quand parvient à son tympan un énorme cri. Elle se souvient de l'enfer vécu hier soir. L'appartement était comme une ruche où bourdonne un essaim de misères, de souffrances et de maux de toutes sortes. Pour sa part, à chaque moment, un des gardes venait la torturer pour l'efforcer à donner un numéro de contact d'un proche avec qui faire les négociations. Elle n'a voulu lâcher aucun mot. Et c'est dans cet état de torpeur entre sommeil et éveil qu'elle a passé toute la nuit.
Jezula rumine à l'esprit, l'instant où elle revenait de ses cours de la faculté hier après-midi. Son amie qui lui a conseillé de faire prudence. Or vivre en Haïti est déjà un facteur de risque. Dans un pays où même l'état central est impuissant face au phénomène d'insécurité et n'en est pas épargné. Pour preuve un président assassiné en sa résidence privée l'année dernière. "Comment peut-on faire preuve de prudence?" Dit-elle toujours à ses amis. Certains sont victimes en étant à pieds. D'autres le sont dans les transports publics. Elle garde toujours à l'esprit l'image de cette étudiante éteinte d'une balle vagabonde dans une camionnette en sortant de la faculté, et aussi de cet enfant atteint d'un projectile dans sa chambre sur son lit. Pour Jezula, l'âme haïtienne est aux antipodes de la vie dès la naissance. Elle en a marre et se révolte en elle-même. C'était dans cet état d'esprit qu'elle marchait intrépide dans le noir sur la route longeant le palais national et se faisait une idée encore plus révoltante et ignoble en passant devant les restes de cet édifice saccagé par le tremblement de terre il y a déjà plus de dix ans et occupé par aucun chef d'état depuis plus de dix mois. Pour elle c'est un état à terre, un peuple à genoux sur le pont d'un navire qui sombre. Elle pensait à une révolution comme celle qu'avait fait l'armée indigène, bravant la mort jusqu'au dernier soupir pour briser le joug de l'esclavage et léguer l'héritage de la liberté à la descendance. Ce qu'elle venait tout juste de revoir dans son cours d'Histoire. Et c'était à ce moment qu'elle venait de quitter le carrefour le plus proche du palais qu'avait freiné devant elle une voiture tout-terrain avec les vitres toutes noires et une voix rauque lui intimant l'ordre de monter. Elle a gardé son sang froid car elle s'attendait que cela pourrait lui arriver un jour de toute façon, elle savait bien de quoi il s'agissait. Elle s'imaginait déjà tracer un exemple et jeter les bases d'une révolution contre ce fléau de kidnapping. C'était déjà clair pour elle, qu'elle préférait mourir sur le champ que de monter dans la voiture. Pensant avec certitude que le récit de sa mort sera diffusé sur tous les canaux d'informations, les mass media, les réseaux sociaux et tout le monde saura qu'on est pas obligé de se laisser martyriser, sa famille et ses proches par des voyous, des malfrats à qui profite l'absence d'hommes et de femmes conséquents décidant de lutter pour changer les choses. Comme elle ne voulait pas obéir, elle s'attendait recevoir une balle dans la tête et accomplir son rêve. Mais malheureusement, deux hommes avec cagoule sont descendus, l'ont enlevé et placé dans la voiture malgré sa résistance. Ils l'ont fait baisser la tête et ont filé à toute vitesse.
Pendant ce temps, il faisait déjà noir depuis que le chef était au téléphone. Un claquement se fait entendre, c'est lui qui entre.
Intimant l'ordre à Jezula : « un numéro de contact pour joindre ta famille jeune fille !!! »
La demoiselle ne pipe aucun mot.
Le maitre reprend :
-Si tu ne donnes pas un numéro pour qu'on puisse contacter ta famille tu vas rapidement passer de la vie au trépas.
-Et si, chaque personne que vous aviez séquestrée, avait décidé de ne pas se plier à vos demandes de rançon, vous n'alliez pas continuer répond Jezula.
Le chef, quand même étonné devant le caractère intrépide de la jeune fille, ordonne de la délier, peut être va-t-il l'exécuter. Jezula s'imagine. À l'instant, d'autres souvenirs remontent dans ses pensées. Elle se souvient de sa famille, de sa mère chérie, des ses amis, de l'environnement de sa faculté où elle passait presque toutes ses journées. Des visages qu'elle ne verra plus, elle s'imagine des rictus inquiets depuis qu'elle n'est pas rentrés, sa maman et sont père qui doivent être en train de s'affoler, des mobilisations estudiantines. Jezula est projetée sans transition dans les temps où les sourires d'elle et de ses proches se sont emmêlés, qu'ils se serraient l'un dans les bras de l'autre, on dirait une éternité, un étrange moment où se révèlent des gouts, des odeurs et des touchers imaginaires. C'est ainsi la jeune révoltée se sent soudainement attristé, la vie se défile dans sa tête. Elle vit timidement l'effacement progressif du sens de la révolte. Sur son front coule des sueurs froides de la peur. Dont les sels l'assaisonnent les égratignures laissées par les tortures. Et brusquement, une jeune fille est bousculée dans le coin, s'écrasant contre le mur puis allongée à plat ventre sur le sol, les bras étendus. C'est la meilleure amie de Jezula. On s'apprête à torturer la nouvelle victime sous ses yeux pour l'apeurer. Mais la rebelle a eu le temps de se jeter sur la pointe d'une pièce métallique d'une vieille chaise qui lui transperce le cou et rend son âme. Dans l'espoir que cet exemple tracé puisse servir de leçon à tous ceux qui vont entendre la nouvelle par les témoignages de son amie et que ca puisse aussi décourager les kidnappeurs. Car dans ses pensées en se suicidant elle se disait : « Si dans le monde d'aujourd'hui, le retour de la barbarie, des sauvageries primitives peuvent être tant bien que mal bridé et contenu, l'humanité ou plus spécifiquement son pays Haïti le doit à des milliers de cœurs purs qui se sont sacrifiés pour la liberté et la dignité humaine ». Dans son sang ruisselant on peut voir les couleurs noir et rouge du Drapeau Dessalinien avec pour signification, vivre libre ou mourir.