Sacrifice

« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître. » Guillaume de répondre : « Mon petit Martin, je te l'ai déjà dit, je ne suis pas ton Maître mais ton patron. Si par maitre tu faisais au moins référence à ma profession d'avocat ! » Martin de rétorquer avec émotion : « Comment pourrais-je ne pas vous appeler Maître après tout ce que vous avez fait pour moi ! »
Martin était un jeune homme modeste qui habitait le petit village d'Ossama. Sa vie et celle de son petit frère Gaël changèrent radicalement après le décès tragique de leur papa. Ce dernier revenait d'un voyage d'affaire lorsque tout à coup, il se retrouva face à un camion. C'est ainsi qu'en voulant éviter le face à face, sa voiture tomba dans un ravin. Le papa de Martin était du genre conservateur. Pour lui une femme, une vraie, c'était celle-là qui n'avait qu'une chose à faire : s'occuper de son foyer. Il était donc hors de question que sa femme Nicole travaille. Celle-ci dépendait tellement de lui qu'elle fut complètement perdue après sa mort. La pauvre se mit alors à boire et à vendre tout ce que son mari laissa comme richesse. Si bien que lorsqu'elle n'eut plus rien à vendre, elle rentra à Eyag, son village natal, retrouver son grand frère Célestin.
Une fois au village, la situation de Nicole devint catastrophique. Ses enfants qui étaient autrefois sa raison de vivre devinrent ses premières victimes. Un soir, alors qu'elle était ivre comme à son habitude, elle jeta la bouteille de bière qu'elle tenait sur le pauvre Gaël, qui se mit par la suite à saigner. Il saignait tellement que son grand frère, alors âgé de 14 ans à l'époque, prit la ferme résolution de l'éloigner de leur maman pour le protéger.
Deux ans plus tard, profitant du fait qu'ils étaient seuls à la maison, Martin demanda à Gaël de prendre quelques effets et de le suivre. Ce que ce dernier fit sans discuter. Ils marchèrent ensuite pendant une journée avant d'arriver à Obam, petit village situé à l'Ouest d'Eyag. Martin aimait beaucoup son petit frère, à tel point que lorsqu'ils arrivèrent dans ce village qu'ils ne connaissaient pas, il alla à l'école publique la plus proche rencontrer le directeur. Ce dernier l'écouta avec beaucoup d'attention, puis au regard des faits à lui exposer par Martin, il accepta d'héberger Gaël chez-lui à la seule condition que son grand frère s'occupe de sa ration.
Après avoir confié son petit frère aux bons soins du directeur, Martin se mit immédiatement à la recherche du travail. C'est ainsi que le même soir, Monsieur Mbah, une élite du coin qui habitait la ville, l'embaucha pour garder et entretenir sa résidence de campagne. Ceci pour un salaire mensuel de 35 000 francs CFA, soit environ 54 Euros. Seulement, monsieur Mbah fut un homme méchant. Il n'hésitait pas à le battre, à le frapper pour un oui ou un nom. Un soir, pour une histoire de cuillère mal lavée, la fille cadette de monsieur Mbah vint lui cracher à la figure. Il n'avait encore rien dit qu'Arthur, l'aîné, vint à son tour le frapper en lui demandant de se taire. Il digérait encore ce coup quand la femme du patron vint à son tour le frapper en le traitant de rebut. C'est alors que sans regarder derrière, Martin sortit de cette maison en disant « moi au moins je suis bien éduqué ». Ce qui choqua énormément monsieur Mbah et sa femme.
Ils furent tellement choqués que lorsqu'ils apprirent quelques mois plus tard que Martin travaillait chez monsieur Bana, une autre élite du village qui habitait lui aussi la ville, ils allèrent exiger son renvoi auprès de ce dernier. C'est ainsi que sans raison valable, monsieur Bana renvoya Martin sous le regard et les rires moqueurs de ses bourreaux. Alors qu'il sortait tête baissée, humilié et affligé, la femme de monsieur Mbah lui dit : « Si j'étais à ta place je quitterais immédiatement ce village. Mon mari est influent, aucune élite du coin ne voudra le contrarier pour un rebut tel que toi. » Martin de dire : « Ne m'avez-vous pas assez humilié ! » Monsieur Mbah de rétorquer en riant : « Avoir affaire à moi dans ce village c'est comme déclarer la guerre au gouvernement. Si j'étais à ta place je partirais d'ici rapidement. »
Le lendemain, alors que Martin se promenait, deux gendarmes vinrent l'arrêter, sans même lui donner les raisons de son arrestation. Pendant qu'on préparait son déferrement, un gendarme qui n'était pas d'accord avec ce qui se tramait vint en l'absence des autres lui dire : « J'ai un petit frère qui a à peu près ton âge. Je n'aimerais pas qu'on lui fasse ce qu'on te fait. C'est pourquoi je te donne la chance de t'en fuir d'ici. »
Ce gendarme ouvrit la cellule de Martin qui put ainsi s'en fuir. Il avait juste le temps d'aller dire au revoir à son petit frère, qui pleura comme une madeleine ce jour-là. Martin marcha dans la forêt durant deux jours avant d'arriver à Ossama. Il achetait des beignets quand il fit la rencontre de monsieur Guillaume, avocat et professeur de droit. Comme par hasard, ce dernier était justement à la recherche d'un gardien. C'est ainsi qu'après quelques minutes d'échange avec Martin, il l'embaucha pour un salaire mensuel de 50 000 francs CFA. Le professeur était un homme bon. De plus, il avait du respect et de la considération pour la condition humaine. Martin n'en revint pas lorsque, lors d'une de leurs conversations, il augmenta son salaire afin qu'il puisse mieux s'occuper de son petit frère.
Trois ans plus tard, alors que le professeur célébrait dans sa résidence de campagne sa nomination au poste de Doyen de la Faculté des Sciences juridiques de l'Université de la capitale, Martin vit de nouveau monsieur Mbah et sa femme. C'est alors que son cœur se mit à battre si fort que les battements étaient perceptibles. Il n'était pas tranquille durant toute la soirée. Il savait mieux que quiconque de quoi la famille Mbah était capable. Le lendemain, vers deux heures du soir, on sonna au portail. Quand Martin alla ouvrir, c'est avec amertume qu'il constata que c'étaient justement ses deux bourreaux. Heureusement pour lui d'ailleurs que le professeur vint lui-même les accueillir avec convivialité.
Il les amena ensuite dans son salon privé. C'est alors que Martin, caché derrière une porte, suivit la femme de monsieur Mbah dire : « Professeur, comme nous vous l'avons dit hier soir, vous nous ferez vraiment plaisir si vous virez l'idiot de Martin de chez-vous. » Le professeur de répondre « et pourquoi devrais-je le faire » ? « Parce que cet inculte a osé nous manqué de respect », rétorqua monsieur Mbah. Le professeur de répondre ensuite : « je regrette, je suis encore sous contrat avec ce jeune homme. Je ne peux donc me permettre de le virer ainsi. » Une réponse qui irrita beaucoup monsieur Mbah et sa femme, qui, en sortant de cette maison, jurèrent d'avoir la peau de Martin avec ou sans le consentement du prof.
Le pauvre Martin n'en revenait pas, il était à la fois heureux de savoir que son patron l'avait défendu et triste de savoir qu'il s'était fait de tels ennemis. Juste après leur départ, il alla, dans le souci d'éviter des ennuis à son patron, présenter sa démission. Guillaume éclata de rire. Puis il dit : « Je peux tout à fait me défendre seul. Tous ceux qui travaillent pour moi, tant qu'ils sont corrects font partie de ma famille. En famille on se protège les uns les autres. » Martin de dire : « Maître Guillaume, c'est avec vous que j'ai compris le véritable sens du mot grandeur... » Il n'avait pas encore terminé son propos que le prof dit : « je ne suis pas ton Maître mais ton patron, je crois te l'avoir déjà dit. »