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La terre, la terre.
Il ne savait dire que cela mon père. Guère du genre bavard avec l'espèce humaine en général, quand il ouvrait la bouche, il parlait d'elle. Sa terre valait plus que tout le reste, plus que moi, même s'il disait que transmettre sa passion comptait parmi les plus belles preuves d'amour. Les paroles et les cadeaux, pour les autres. Nous, nous étions de la race des cultures, des cités souterraines qui ne trompent jamais, de ce qu'il reste quand tout s'effondre.
Aux aurores, il se levait, chaque jour avec le même entrain, la passion chevillée au corps, et c'est les mains dans la terre ferme et fragile que je le retrouvais, au fil des saisons et des frondaisons. Il contemplait la vie qui ne se voit pas et qui grouille là, qui fait et défait les cycles. Je craignais parfois son profil raviné, ses doigts gibbeux, son dos en zigzag sans cesse courbé sur ses boutures et ses graines.
Il avait beau me dire, me raconter, mes grands-parents, les chemins dans la campagne, le système racinaire des légumes, le sol à aérer, les différents noms des fourches, les semis et l'engrais, les familles botaniques. J'écoutais d'une oreille distraite et ses récits se perdaient dans les divagations de mon esprit. Alors que je rêvais d'ailleurs, des villes, des avenues, d'une liberté qui ne se trouvait pas ici – ici je me sentais soumise à une loi sans qu'aucune contrainte ne soit posée –, la culpabilité se frayait un passage et narguait mes désirs les plus tenaces.
Comment lui dire sans le choquer ? Comment lui avouer sans le perdre ?
Je l'ai perdu, de vue et du loin où je suis partie, j'ai oublié la terre. La mienne n'était que bitume gris et béton armé. Rien ne filtrait. À la place des chants d'oiseaux, la musique tonitruante des basses du bar à tapas d'en bas. Et à celle du silence, le vacarme incessant de la rue. Mon départ sonna le glas de notre relation. Je ne venais plus que pour régler quelques papiers et m'assurer qu'il allait bien. Il fuyait nos entrevues, tout comme moi je fuyais ce pays. Tout ici me paraissait mort et sans âme. Je regagnais la ville, ma ville, avec une joie teintée de mélancolie. Ici rien ne poussait sauf mes ailes de jeune adulte en quête d'adrénaline et de sens.
J'y suis restée des années dans ce cœur battant à cent à l'heure, dans cette atmosphère de métal et d'asphalte finalement asphyxiante. Puis un coup de fil a sonné le glas de ma routine huilée, jusqu'à en perdre l'appétit même l'envie. Rien de vivant dans mon quotidien, pas d'amour, pas d'enfant, pas de plante ni de brin d'herbe.
Je suis revenue aux origines comme on revient d'un pays lointain, le corps engourdi, le visage peint de mille et un clichés abattus en plein vol. Il me laissait tout. Les chemins dans la campagne, le système racinaire des légumes, le sol à aérer, les différents noms des fourches, les semis et l'engrais, les familles botaniques, sa terre chérie, tant aimée.
Je me lève désormais aux aurores dans cette maison pleine de lui. Un cours de permaculture a posé les bases de ma nouvelle vie. Quand ma fille vient me rejoindre au potager, elle me trouve les deux mains dans la terre, à regarder les fourmis organiser leur journée et à savourer l'odeur d'une récolte à venir.
Il ne savait dire que cela mon père. Guère du genre bavard avec l'espèce humaine en général, quand il ouvrait la bouche, il parlait d'elle. Sa terre valait plus que tout le reste, plus que moi, même s'il disait que transmettre sa passion comptait parmi les plus belles preuves d'amour. Les paroles et les cadeaux, pour les autres. Nous, nous étions de la race des cultures, des cités souterraines qui ne trompent jamais, de ce qu'il reste quand tout s'effondre.
Aux aurores, il se levait, chaque jour avec le même entrain, la passion chevillée au corps, et c'est les mains dans la terre ferme et fragile que je le retrouvais, au fil des saisons et des frondaisons. Il contemplait la vie qui ne se voit pas et qui grouille là, qui fait et défait les cycles. Je craignais parfois son profil raviné, ses doigts gibbeux, son dos en zigzag sans cesse courbé sur ses boutures et ses graines.
Il avait beau me dire, me raconter, mes grands-parents, les chemins dans la campagne, le système racinaire des légumes, le sol à aérer, les différents noms des fourches, les semis et l'engrais, les familles botaniques. J'écoutais d'une oreille distraite et ses récits se perdaient dans les divagations de mon esprit. Alors que je rêvais d'ailleurs, des villes, des avenues, d'une liberté qui ne se trouvait pas ici – ici je me sentais soumise à une loi sans qu'aucune contrainte ne soit posée –, la culpabilité se frayait un passage et narguait mes désirs les plus tenaces.
Comment lui dire sans le choquer ? Comment lui avouer sans le perdre ?
Je l'ai perdu, de vue et du loin où je suis partie, j'ai oublié la terre. La mienne n'était que bitume gris et béton armé. Rien ne filtrait. À la place des chants d'oiseaux, la musique tonitruante des basses du bar à tapas d'en bas. Et à celle du silence, le vacarme incessant de la rue. Mon départ sonna le glas de notre relation. Je ne venais plus que pour régler quelques papiers et m'assurer qu'il allait bien. Il fuyait nos entrevues, tout comme moi je fuyais ce pays. Tout ici me paraissait mort et sans âme. Je regagnais la ville, ma ville, avec une joie teintée de mélancolie. Ici rien ne poussait sauf mes ailes de jeune adulte en quête d'adrénaline et de sens.
J'y suis restée des années dans ce cœur battant à cent à l'heure, dans cette atmosphère de métal et d'asphalte finalement asphyxiante. Puis un coup de fil a sonné le glas de ma routine huilée, jusqu'à en perdre l'appétit même l'envie. Rien de vivant dans mon quotidien, pas d'amour, pas d'enfant, pas de plante ni de brin d'herbe.
Je suis revenue aux origines comme on revient d'un pays lointain, le corps engourdi, le visage peint de mille et un clichés abattus en plein vol. Il me laissait tout. Les chemins dans la campagne, le système racinaire des légumes, le sol à aérer, les différents noms des fourches, les semis et l'engrais, les familles botaniques, sa terre chérie, tant aimée.
Je me lève désormais aux aurores dans cette maison pleine de lui. Un cours de permaculture a posé les bases de ma nouvelle vie. Quand ma fille vient me rejoindre au potager, elle me trouve les deux mains dans la terre, à regarder les fourmis organiser leur journée et à savourer l'odeur d'une récolte à venir.
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Pourquoi on a aimé ?
Ce récit familial joue sur l’émotion du lecteur grâce aux très belles descriptions des personnages et de la pudeur qui fonde leur relation
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