Routine ou âme errante

Toute histoire commence un jour, quelque part. « Qu’est ce qui ne fonctionne pas vraiment dans mon for intérieur ? », me demandais-je. La chaussée sur laquelle je marche me semble mouillée. Tout est sale, répugnant et nauséabond. Les égouts sont bouchés. L’eau s’exfiltre doucement et ruisselle au dehors. Je ne puis m’empêcher de me boucher le nez bien que l’odeur ne fusse aussi répugnant que le conçoit mon cerveau. Toute tâche, saleté, odeur est amplifiée négativement par ce dernier. J’ai conscience de ceci, mais demeure incapable à avoir une main mise sur ce sentiment et l’émotion qu’il suscite. L’émotion est d’autant plus vive que cela me met constamment mal à l’aise. Je suis jusqu’à présent à l’affut de la cause de ceci car s’il y’a des effets, faudrait bien qu’il y ait une cause. Alors, j’essaie tant bien que mal de faire une gymnastique cervicale afin de la débusquer. Pourtant, nada ! je suis comme pris dans une spirale et atteint par une maladie du dégout. Un nouveau trouble psychique ? ce serait formidable de contribuer à l’avancée de la science, mais si je serais l’objet des expérimentations, mon abdication serait d’emblée. Je fulmine parfois et pose des traquenards, tout ceci, dans un objectif, savoir la cause de ce malaise maladif ;
Le temps de penser à tout ceci, que me voilà en face de mon bâtiment, celui qui contient mon appartement, mon univers. Le sixième étage, porte M17 et je recouvre ce lieu devenu mythique à mes yeux. Tout me semble ordonner dans un désordre qui rappellerai la chambre d’un jouvenceau au lycée. Deux semaines de cela que ma demeure n’a point connu de nettoyage. La poussière qui s’était frayée un chemin à travers les lucarnes de la fenêtre se sont déposé sur les livres qui sont tout juste posé en dessous. Impossible de lire le titre du premier livre en haut qui devrait être Le rocher de Tanios de Amin Maalouf. Je demeure quelques instant terne et immobile, ne sachant guère ce que je fais, ni ce à quoi je pense. Des images, en grappes et emmêlées, emplissaient mes yeux sans que je ne puisse en déchiffrer une seule. Quelques instants, mais qui semblèrent éternel. Je pris la résolution de me donner quelques coups à la tête et de sortir de ces hallucinations. Je pris en main ma conscience et savait désormais ce qui se passait autour de moi. J’avais toujours en main mon caddie qui contenait mes provisions de la semaine. Mon sac à dos, dans ma main droite était sur l’évier. Tout s’éclaircissait et prenait de plus en plus forme dans ma tête.
Il était l’après-midi ; le soleil était couvert par quelques bribes de nuages. Les vents forts du nord avaient drainé des tonnes de sable et les déversèrent sur nous. Il faut dire que l’harmattan s’est déjà installé et qu’il faudra composer avec lui. Je m’affale sur le divan et me lance de nouveau à cette observation, regardant pesamment et en posant mon visage sur tout ce que je rencontre. Je scrutais les moindres contours, les couleurs, en l’occurrence celui que j’avais en face de moi. Il serait un tapis persan, mais sa qualité vue de près laisse voir une production standardisée chinoise. Je fis un sourire presque moqueur comme pour dire à je ne sais qui : « vous ne m’aurez pas moi. Vous vous croyez futé, moi aussi ». Epris de fatigue à cause de la marche que je fis, il y’a peu, je m’allongeai quelques instants, me relevai de nouveau, me fit d’un trait quelque chose à grignoter.
Ensuite, je rangeai minutieusement mes vivres dans le réfrigérateur. Je dus en faire sortir d’autres pour laisser de la place et les ai mis à côté du réfrigérateur. Ce dernier, de petite taille, m’empêche dormir lorsqu’il est en marche. D’ailleurs, afin d’économiser en facture d’électricité, je le débranche quand tout y est congelé ou bien frais. Faudra bien qu’on commence à adopter des comportements écolo et songer à l’avenir de la planète. Ces réflexions qui m’étonnèrent et portaient un petit sourire à mes lèvres me firent remémorer le court-circuit qui avait calciné mon téléviseur. Mes seuls passe-temps sont les livres et l’inforoute. Suivant une cure de désintoxication improvisée, je réduis au mieux et au maximum mes contacts avec les outils numériques. Tombant bien souvent dans un laxisme et une léthargie maladive, je m’allongeai sur le divan afin de faire une somme. Ma sieste qui ne devait me prendre que trois quart d’heure ou une heure tout au plus, se prolongea et dura dis fois plus que prévu. J’avais dû éteindre le réveille sans m’en rendre compte. Ou une tierce personne l’aurait-il fait à ma place ? Toujours est-il que tout ce qui se passa durant ce temps, je ne retins que mon songe, mon rêve ou encore mon cauchemar. Tout se présentait en demi-teinte et s’écroulait quelques fractions de seconde avant sa réalisation. Que dis-je, ce n’était que de l’imagination mais qui se déroulait comme du déjà vécu. Mon imagination serait-elle débordante à telle enseigne que je sois maitre de mes songes ? suis-je à la fois conscient et inconscient ?
Je tombais en chute libre dans une grande fosse. Legé était mon corps. J’eus une sueur froide, je frissonnai, mon cœur s’affola et battait à tue-tête. J’essayai par toutes les manières de m’agripper à quelque chose que je rencontrerais, mais ce fut chose vaine. Le comble fut le moment où je compris que mon destin était scellé et que je me fracasserais contre le sol. Les bêtes sauvages consommeraient à cœur joie ma dépouille et le reste putréfierait sordidement à l’air libre comme quelqu’un qui n’a jamais connu un chez lui. Je continuai ma chute dans l’abîme et me souvint de la douce voix exotique de l’hôtesse qui nous conseillait d’attacher nos ceintures et de nous pencher à l’arrière. Je fis pareil. Quelques instants plus tard, j’ouvris les yeux et me retrouvai à l’intérieur d’un avion. L’hôtesse, celle à la voix mielleuse échangeait avec un monsieur. C’était un toubab. J’avais du mal bien l’apercevoir. Néanmoins, je décelai une grande joie sur son visage et l’expression de sa posture et sa manière de parler convergeaient tous pour affirmer qu’il était tombé sous les charmes de cette créature. Conscient de son statut et du travail qu’elle mène, elle s’arracha de cette discussion incongrue ; je déduis, et avançais vers l’arrière de l’appareil et vers moi. Je la hélai et la questionnai sur la destination de l’appareil. Elle me répondit : « Ouagadougou », avec un accent qui frise le français mais avec une teinte qui me fis rigolé un peu. Je la remerciai en faisant un oui de la tête. Elle avait continué son chemin et de mon côté, je bavais en la regardant s’engouffrer dans une cabine à l’arrière de l’aéroplane. Mes yeux étaient fixés droit devant, ne voyant rien d’autre que cette porte qui devint de plus en plus floue. Plus je regardais, moins je voyais mieux. Puis, soudain, quand je me retournai, les choses me paraissaient invraisemblable. Pourtant, assis sur une chaise sous le manguier de notre concession, je pouvais voir tout le monde sourire aux lèvres affichant des visages éclatant de joie. Endimanché, elle devait sans doute être de retour de l’eucharistie et aurait rencontré ses copines qu’elle rencontre si peu. Madjid, le dernier garnement de la petite société joue au ballon avec ses amis. Lui, il est le bout’chou qui ressemble à tout le monde. Rien qu’à le voir joué ou sourire, on oublie ses soucis et par mimétisme répond à ce sourire angélique. Il sautait, virevoltait, courait de toute part avec le sourire toujours aux lèvres, essayant de tirer le plus fort possible. D’une frappe claire de la force d’un bonhomme, la balle roula lentement pour s’échouer non loin de moi. Il courut à vive allure pour ramasser cette dernière. Afin de l’encourager, je voulus lui caresser la joue. Un cri, une parole aurait été à même d’assouvir ce désir d’autant plus que quelques pas étaient nécessaire pour l’atteindre. Je fis ces quelques pas comme une flèche et tentai de le toucher. Soit je n’étais pas près de lui, soit ma main lui est passée à travers. Je ne sentis point que je le touchai. Je me mis alors à observer mes mais, des deux côtés. Elles étaient un peu plus dodues qu’habituellement. Je les examinai longuement, tantôt moite, tantôt sec. Les tirés qui formaient la lettre M sur ma paume étaient les plus perceptibles. D’un geste, je nettoyai mes yeux, les ouvris de nouveau et me retrouvai assis sur mon divan et dévisageant du regard mes mains que je tournais et retournais incessamment. Mon cœur se mit à battre en plein régime, mon front, mon visage, tout mon corps semblait moitir. Mon premier réflexe fut de savoir quel heure était-il.il était minuit passé. Ma conscience me revenait par bribe, morceau après morceau. Dix heures de sommeil, non-stop. De quoi susciter d’atroces douleurs à la tête. Pourtant, je paraissais éclatant et pétillant de vitalité. A force de dormir de façon incontrôlé, mon cerveau s’est clairement programmé pour de longues heures de repos et d’inactivité, abandonnant ma vie à mon ça freudien. Je dechiffrait davantage et mieux mon univers et vis ces feuilles sur lesquelles j’avais tracées quelques mots.
Ma velléité vaut une montagne, ma fainéantise, elle, un océan ; d’ailleurs, ces quelques mots eurent l’honneur de s’y trouver grâce à ma rage, à ma tristesse ce jour où elle me déclara qu’elle ne saurait être avec moi et que de toute façon elle s’attristerais de me donner de faux espoir. Ne sachant sur quoi déverser ma bile, je m’étais mis à balbutier quelques lettres, puis quelques mots et finalement des phrases et paragraphes. Je racontai notre rencontre qui fut le coup de foudre. Aucun détail ne m’avait échappé ce jour-là. La couleur de sa robe rouge bleuté. Son sourire et sa silhouette de nymphe m’avaient noué la langue. Seul les réponses pour lui expliquer quelques points du prospectus de l’université purent sortir de ma bouche. Hagard et hébété étais-je, tant elle paraissait la plus belle créature que je vus de mes propres yeux. La seconde rencontre fut inopinée. Depuis lors nous fûmes un parfait couple et des amants heureux jusqu’à ce jour. Mon cœur se brisa comme un verre et en mille morceau lorsqu’elle me sortit ces salades. Je l’étreignis de mes bras puis couru larmoyant dans mon appartement après lui avoir posé des milliers de questions, supplier de longues heures durant de faire machine arrière. Elle resta campée sur sa décision et moi, je m’efforçais de l’effacer de ma mémoire vainement. Le temps saura faire son travail et l’y extirpera par les cheveux. Je toisais ces feuilles encore quelque instant puis me levai, fit mes ablutions, récitai une dizaine du rosaire avec le chapelet payé à Noël.
Après quoi, je me suis mis à faire le ménage et me débarrassai très rapidement de la poussière qui avait envahi ma demeure. Arrangeant mes livres et mes feuilles épars, je retrouvai le stylo qui avait encré ces feuilles blanches qui me rebutent désormais, mais que j’eus pourtant du plaisir à relire quelques passages. Je me remis à ma besogne et l’achevai d’un trait. Assis sur ma chaise, les mains sur la table, le stylo en main, je pris une feuille blanche et me mis à la remplir comme un agenda. Je ferai du jogging quand je finirai cette activité scripturale, me concocterai ensuite un met succulent, me mettrais après cela à lire un livre ou un journal ; sortirai flâner dans le quartier sans ouvrir la bouche ne serait-ce que pour saluer une tierce personne ; m’assiérais sur une banquette et verrai cette chaussée, ces chaussées laides et mouillées, inhalerais ces parfums nauséabonds et rebutant à mon cerveau ; aurai en main un sachet contenant un amuse-gueule de quoi me distraire chouïa ; retournerai dans mon appartement le visage renfrogner et quelque peu attristé ; recouvrirai mon univers et me mettrai à dormir. J’ai signé sur cette feuille Seydou André à 00h56, M17. Je n’avais fait sur cette feuille que mettre en écrit ce qui est déjà gravé en mon cerveau. Ce dernier fonctionne mieux qu’un robot. Le malheur pour moi est de n’avoir que peu d’emprise sur lui. Alors, je le suis, il me guide. Ma confiance lui est indéfectible bien qu’il me fasse parfois souffrir et subir des émotions crues et cruelles.
Ma journée débuta avec le sport et successivement comme prescrit sur la feuille « ordonnance » elle se déroula comme un fil sans fin. Au moment où le soleil atteignit son point culminant, j’étais au seuil de ma porte, je l’ouvris, m’affalai face contre le lit et m’endormit...