Résilience

Nous avions enfin décidé de rejouer contre l'équipe Toulousaine, celle contre qui, deux ans plus tôt, nous avions effectué un match très désagréable.

Dès l'engagement, la tension fut palpable. Un groupe de supporteurs Toulousains enragé, critiquait chaque passe de notre équipe, sifflait, huait, des insultes fusaient.
Notre équipe de hand mixte de Saint-Pée-Sur-Nivelle, située au cœur du Pays Basque, se sentit déstabilisée par ces comportements outrageux. Des répliques sexistes commençaient à se faire entendre, mais pas que... Mon coéquipier, d'origine Sénégalaise, se fit traiter de cochon noir. Il n'y avait jamais eu de tels débordements. À plusieurs reprises, écœurée, j'hésitai à sortir du terrain et à demander l'arrêt du match.
À la mi-temps, nous menions 10 à 8. Dans les vestiaires, le gardien, notre capitaine était furieux : « pourquoi cette foutue haine ? Quelle bande de cons ces supporteurs avinés ! » . À l'unanimité nous décidâmes de continuer le match, en essayant de rester concentrés sur notre jeu.
A la reprise du match, le joueur 10 de l'équipe adverse, jambe en avant, fit un croche-pied à mon coéquipier Nico. Il tomba à terre et se fit piétiner. Nico resta au sol, serrant le poing et les dents, petit doigt cassé. Nous étions tous consternés, il fallut faire rentrer un remplaçant. Mathieu arriva sur le terrain au poste d'avant-centre, il courut en attaque. Un des supporteurs lança une canette sur le terrain, elle passa à quelques centimètres de ma tête. C'en était trop. Je m'arrêtai, posant mon maillot au sol en fixant les supporteurs. Chaque joueur de mon équipe fit de même. Ils déposèrent leur maillot, sous les huées des enragés et les applaudissements du public.
Dans les vestiaires, nous étions sous le choc, mais aussi ravis d'avoir une équipe unie. Nous décidâmes de porter plainte contre ces supporteurs.
Un an plus tard, nous apprenions qu'ils avaient écopé d'une année d'emprisonnement et de 5000 euros d'amende pour : jet de projectiles sur le terrain, injures racistes, état d'ivresse dans une enceinte sportive et provocation à la haine.

Après cet épisode, nous décidâmes de marquer le coup à chaque match, en mettant une banderole sur laquelle on pouvait lire : « Le sport, la tolérance, l'unité, la non-violence ». Au moment de la présentation des joueurs, chacun avançait, les bras en croix, exprimant ainsi, l'arrêt des conflits.

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En ce jour du 05 mai, nous voici à nouveau sur le terrain, 8ème de finale contre l'équipe toulousaine.
En entrant sur le terrain, des saluts fraternels sont là, serrages de main, accolades, on se remémore l'ancien match, le public infâme, l'attaque volontaire, la blessure.
Dans les tribunes, 6000 supporteurs encouragent les équipes. Le public entonne des chants joviaux et colorés. Les supporteurs malveillants, ont été bannis du stade.
Le coup d'envoi est donné, les Toulousains entament le match sur leur terrain. Première passe au 8, il drible la défense, passe au pivot et paf, c'est le but ! Je remets la balle en jeu, passe à Mathieu, relance à Clément, échec au niveau du pivot, contre rapide, la balle est interceptée par la numéro 5 de l'équipe adverse, elle part seule, s'élance et but !
Dans les tribunes, ça tape du pied, applaudit, chante.
La balle est remise en jeu, tentative de blocage, faute, jet de 7 mètres et but pour les Toulousains !
Cinq minutes de jeu, le score est de trois à zéro pour la ville rose. Nous relançons, je cours, cherche mes coéquipiers du regard, un colosse devant moi, ahhhh ! J'essaye de le dépasser, il me retient, mon genou se tord, ma jambe reste droite. Je tombe au sol, une douleur immense s'empare de mon corps, je ne peux plus bouger... Mes coéquipiers m'entourent, Mathieu me demande si je peux plier la jambe, un hurlement répond à ma place. Sophie est là, elle me serre la main, en me répétant que tout ira bien. Je sors sur une civière, accompagnée de mon équipe, ovationnée par le public. Sophie ne me lâchera pas. Nous partons toutes les deux, avec les pompiers vers l'hôpital Pierre-Paul Riquet.
Prise en charge rapidement. Le diagnostic est sans appel : rupture des ligaments croisés, fissure du ménisque intérieur.

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Trois mois plus tard, je décide de changer de sport. Je me mets au foot, dans une équipe mixte, c'est moins risqué, moins téstosteroné. Aujourd'hui, je suis gardienne, demain attaquante ou défenseuse. Avec Hélène, Amaia, Alex et Daniel, nous préférons jouer avec les pieds, imaginant éviter ainsi tout risque stupide. Nous y passons parfois la journée. Cette après-midi, un match de haut niveau s'est tenu. Alex, balle au pied l'envoie sur un défenseur, amortie de la poitrine, Amaia relance et fait une reprise de volée magistrale et buuuuut ! 1-0 pour nous. Relance de l'équipe adverse, passe ratée, interception du ballon, Daniel, fait un passement de jambe, suivi d'un petit pont en avant vers Hélène, elle me fait la passe, je tire du bout du pied gauche, en pleine lucarne et c'est le buuut ! Tout le monde les bras en l'air pour une ola! Je roule des mécaniques. Nous sommes interrompus par l'éducateur principal du centre de rééducation.
« Vous pouvez arrêter cette partie de Baby-Foot, c'est l'heure de la manifestation pour l'accessibilité des transports aux personnes handicapés, alors, à vos fauteuils et que ça roule ! »