Reprise
Toute histoire commence un jour, quelque part. Quand l’abandon n’est plus une option, l’éclatement brutal de la mémoire lui revient, l’hallucination règne, elle se précipite pour s’asseoir.
Les objets sont flous, incertains, l’horizon est miraculeusement rapproché, elle s’arrête de boire. L’oubli devient impossible, un visage de son passé la hante, l’accable, et repart. Les douleurs atroces de son âme la font réveiller de ses ténèbres, seule, dans une cellule surplombée dans le noir. Une odeur suffocante, un cri si violent, sans aucun son, affolée, en sueur, elle se souvient de tout, elle a la possibilité de tout voir. Elle est privée de sa présence mais il est là, venant d’ailleurs, il est sa prison et son échappatoire. Furieuse, elle enfouit ses mains sous l’oreiller et enfile son journal intime, sa tête est encore une fois peuplée par ce rêve, ou ce cauchemar. Dans cette nuit agitée et rocambolesque, la vérité est nue, le ciel n’est plus protégé, elle peut l’interpeller, elle peut lui parler, c’est à elle de le concevoir. Elle lui chuchote et il l’entend : je n’y vis plus, depuis ton départ...
Alors elle lève son visage vers le ciel, avec beaucoup de pitié et un gigantesque désir d’en finir. Elle attend, sans se presser, la possibilité de se réunir. Les deux regards se fixent, des images, des paroles, l’alourdissent aussi bien mentalement que physiquement. Cette histoire, elle l’a peut-être vécue, elle est tellement vraie, elle la fait arrêter de bouger. Fatiguée, elle entend ses pensées s’entrechoquer, elle tente de les restituer, de les réorganiser, de les transcrire, alors ça recommence ainsi :
Elle leva la tête au ciel, l’immense horizon lui apparaît si triste qu’elle a voulu arracher la lumière qui se cache derrière les barreaux de son cœur et la lui offrir. Elle a éprouvé la grande envie de crier afin d’écouter sa voix se mixer avec les larmes du ciel. Aujourd’hui, le ciel pleure mais brille encore, les fleurs se fanent et renaissent, l’hiver s’en va en pleurant, pour laisser sa place au printemps, la mer tend ses mains pour fusionner avec la rivière comme une mère allaitant son nourrisson avec prudence et beaucoup d’affection.
L’amour, c’est l’aliment indispensable pour tous les êtres, c’est l’élément qui les fortifie quand il est temps de résurrection, un pouvoir de se soutenir quand tout s’effondre, quand la dignité s’écroule devant les actes inattendus de la vie, quand personne ne croit en ton histoire, et que parfois, tu doutes de la finalité toi-même. Quand continuer devient ce qu’il y a de plus surhumain, l’amour est une faculté magique intimement lié à la fragilité de la vie humaine qui vous fait tenir la main.
Ainsi, ce qu’on croit la fin n’est qu’un début d’une autre histoire, une histoire d’un héro qui ose dire NON et choisir un nouveau parcours. Il ne s’agit pas du mythe d'Osiris, le dieu du panthéon égyptien et le roi mythique de l'Égypte antique qui, malgré le démembrement de son corps, retrouve la vie par la puissance magique de ses sœurs Isis et Nephtys. Il s’agit plutôt d’un homme légendaire, symbole du rejet des douleurs intenses et de la renaissance de l’âme dans un corps fatigué dont le cœur refusait de cesser de battre à chaque instant parce qu’il était trop jeune et qu’il avait des projets très ambitieux, voire présomptueux, qui pourraient changer le monde, issus d’un endroit très profond dans son âme, là ou l’espoir ancré dans ses ventricule a la capacité de pomper l’amour de la vie dans ses artères dessinant ainsi des rêves inachevés.
Ce n’est pas un mythe d’Osiris, parce que le sacrifice de ce dernier lui a valu de gagner le monde de l'au-delà dont il devient le souverain. Quant à lui, il ne voulait que vivre ici, avec elle. Il avait déjà su qu’il ne verrait jamais l’équilibre du monde. Il avait trouvé la paix et la sérénité avec sa contribution minime. Il savait que la vie était injuste mais belle, malgré toute difficulté, et que surtout, un simple sourire lui suffisait pour changer d’humeur.
C’est l’histoire d’un phénix humain, un homme charmant et fabuleux qui a le courage de renaître à chaque instant et de transformer ses peines les plus affligeantes en émotions les plus paisibles et pensées les plus nobles et créatrices.
Elle était encore là à contempler le départ de la saison froide. Les petites gouttes de pluie emmenées par le vent dédoublées par son chagrin dominèrent son âme. Ce territoire ne leur appartenait plus et cherchait intensément à se restreindre pour qu’il se décourage et qu’il la quitte. Le monde est un trop petit espace pour ceux qui rêvent et aiment vivre, il enterre leurs souhaits les plus chers et leurs programmes précieux pour demain. Le destin se moque de nous en nous offrant des personnes atypiques et nous rendant obligés de vivre dans la peur ininterrompue de les perdre, en nous donnant le plaisir de connaitre leur beauté et nous faisant pleurer constamment leur absence.
C’est une fille et un garçon qui menaient une vie grandiose, et ils étaient formidables. Ce cri qu’elle voulait lancer était fort minable devant la brillance des yeux de celui qu’elle adorait le plus, et qui souffrait. Il ne restait plus rien à faire, que d’attendre et de prier.
La musique survint de loin, comme un signe du ciel, pour la consoler : quoique le son ne fût pas élevé, la voix de la vieille légende chantant « Formidable » arrivait à pénétrer le vitrage de la pièce mitoyenne et atteindre son balcon pour alléger le silence de cette nuit obscure. « La vie est belle » répéta-elle en essuyant ses lunettes, « n’est-ce pas de cette croyance qu’il arrivait à survivre chaque jour ? ». Retrouvée invincible devant le destin avec ces mots réconfortants qu’il lui apprenait pour de telles circonstances, elle concernait les faits avec clarté : Ses pieds tremblants sur la voie de l’inconnu, ses chaussures créant un étrange son qui lui apparut comme une mélodie non rythmée, symbole de révolte et source d’espoir perdu. Dans ce couloir tout noir, elle alluma une flamme, ses yeux larmoyants, et plus aucune paroi ne restait. Toutes les limites étaient disparues. La première étoile à lui interpeller était Sirius, la plus brillante du ciel, reconnaissable par son éclat bleu clair, considérée par les anciennes civilisations conserver le monde spirituel en vie. Soudain, une étoile filante franchit les bornes du ciel intouchable proposant sa lueur d’espoir pour eux deux.
Elle avait appris, par le temps, à contrôler sa peur en gardant espoir. Elle pouvait atténuer sa douleur en raisonnant ainsi: « Après tout, ceci n’est pas une histoire tragique tournant autour d’une maladie, c’est une épreuve testant l’amour de nombreuses personnes, une évaluation de la patience qui dévoile le degré de la passion et fortifie les relations. Je dois rester calme et puissante, ce n’est qu’une épreuve consolidant l’amour de la vie ». Aimer, c’est vouloir se changer pour le bien de l’autre, et la présence de ce dernier dans la mémoire malgré les distances.
La noblesse des souvenirs fût à ce moment le moyen principal pour couvrir la peur et la transformer en attente confiante. Plus rien n’importait que d’entendre sa voix, encore une seule fois !
Il était si beau qu’on croyait qu’il avait un don particulier lui permettant d’acquérir l’amour de tout cœur qui l’a côtoyé. Son sourire qui ne s’absentait jamais lui donnait encore plus d’attrait. Ses photos d’enfance reflétaient son innocence qui ne disparaissait jamais et sa spontanéité toujours présente. La foi qu’il portait et sa certitude que demain ira mieux étaient immesurables.
Il est un héros, non seulement parce qu’il l’était à ses yeux, qu’il jouait un rôle capital sur ses prises de décisions, qu’il logeait son inconscient et y prenait refuge, ou qu’il demeurera à vie ancré dans son âme, mais aussi parce qu’il était le seul maître de sa vie, et peu sont ceux qui savent contrôler l’ouragan de leurs vies tout en conquérant le cœur pur et sincère d’une autre personne, encore moins nombreux sont ceux qui ont le pouvoir de ne pas dévier de la bonne route face au danger.
Le jour où on a diagnostiqué sa maladie, son visage était si rond et sa bouche si souriante qu’elle n’a pas pu croire cette nouvelle. Son cerveau n’a pas pu assimiler le processus à admettre que cette créature sculptée avec finesse va bientôt endurer une souffrance indicible. L’idée la tourmentait, elle qui pleurait quand il attrapait une grippe. Il l’a tout de suite tenue par la main dans une tentative de la consoler par ce qui persiste encore de la brillance de ses yeux, la seule arme qui lui restait. A ce moment-là, elle réalisa qu’elle n’était pas prête à le perdre, qu’elle devait lutter puisqu’il était hors de question de survivre sans lui. Quant à lui, il se renda compte que plus rien n’importait que de garder sa vie pour elle, comme elle était sa vie.
C’était un moment d’agitation et d’apaisement mutuels, de fragilité et d’énergie chargée de vivacité, de réflexions isolées sombres et de partage de confiance, et depuis lors, cette maladie n’était plus une fatalité mais un encouragement, c’était une bataille à gagner impérativement. Ce n’était autre qu’un combat douloureux et tout doux, tout comme l’amour qui nous brise et nous caresse en même temps : oui, c’était bien lui, la personne qui pouvait gérer les contradictions en même temps.
Depuis cet instant, plus rien ne resta comme avant, toutes les émotions étaient basculées dans ces corps suivant le rythme du destin. Pour elle, la peur de perdre quelqu’un était beaucoup plus affolante que la perte en elle-même, tandis que pour lui, ce qu’il y avait de plus alourdissant n’était pas la maladie en soi mais ses efforts, pour ne pas lui montrer sa faiblesse, de tenir ses larmes devant elle.
Dans cette nuit de Février noyée dans la confusion, elle prenait un soupir amer en se remémorant de la douceur de sa main gauche qu’elle avait l’habitude de tenir en lui caressant les cheveux tandis qu’il lui chuchotait des mots de plus en plus incompréhensibles chaque jour, à peine entendus, mais très soulageant.
L’odeur de l’hôpital sentait l’éther, et cette mauvaise odeur qu’il détestait lui était imposée, tout comme cette maladie qui lui volait ses forces inconditionnellement mais qui ne réussit guère à le priver de son charme et de son élégance. Le lit était assez inconfortable mais son corps qui lui faisait mal l’obligeait à y rester, et malgré cela, il constituait dans son esprit des scènes où ils allaient nager, contempler le vaste ciel, écouter la symphonie de la mer méditerranée, dessiner une clé de sol sur une toile perdue, délivrer un oiseau de sa cage et lui apprendre de nouveau à chanter l’hymne de la liberté et de l’amour jusqu’à ce que tous les prisonniers de leurs maladies du monde entendent sa voix.
Elle était encore là à contempler le départ de la saison froide. Les petites gouttes de pluie emmenées par le vent qui viennent de mouiller les feuilles qu’elle tenait l’avaient réveillée de cette bourrasque de souvenirs. Elle se rappelait de tout. Elle se rappelait quand elle écrivait ces mots dans une tentative de restituer ses pensées, de les réorganiser, de les transcrire, quatorze ans avant. Elle se souvenait qu’avant de se précipiter vers son carnet intime à l’aube, elle a passé la nuit entière la tête levée au ciel, en tissant son rêve utopique : « Quand cette nuit sera couverte de jour, il sortira de la salle d’opérations, aussi admirable qu’il l’a toujours été. Qu’il sorte mort ou vivant, plus rien n’importait, car pour la première fois, il sera enfin libre, délivré de ses peines. Il aura la vie qu’il a tant voulu, là où il sera, il y continuera à prospérer autrement et ailleurs, une vie pleine de gloire, à la hauteur de ses attentes, une vie où sa lutte sera reconnue, dans la mémoire de tous ceux qui l’ont connu en lisant ces mots. C’est ça l’amour : être présent malgré l’absence. C’est ça la résurrection : vivre dans les mémoires des autres sous plusieurs formes qui se ressemblent en leur beauté.
Toute histoire commence un jour, quelque part, la notre n’est autre qu’un faisceau tissé par l’adieu et le pardon qui s’est découlé d’une déchirure du ciel et s’est versé en encre sur une feuille blanche à son hommage... Elle tenait encore son carnet par la main. Elle leva la tête vers le ciel et reconnait Sirius. Elle ferme ainsi les yeux avec remords, en vue d’en laisser un conte infini... Une étoile filante, une odeur suffocante, un cri si violent, sans aucun son : Tu es là, tu ne seras jamais défailli, je te caresserai dans mes pensées mon ami !