Le téléphone n'arrêtait pas de sonner et ces appels insistants et répétitifs finirent par avoir raison du sommeil d'Elodie. Elle était rentrée tard dans la nuit et malgré l'envie de flâner au lit, elle se leva. Une bonne odeur de café emplissait toute la maison. Elle se dirigea directement dans la cuisine où elle était sûre d'y trouver sa mère. En passant, la jeune femme découvrit un tas de journaux étalés sur la table de la salle à manger. Leur une ne parlait que de cela : L'équipe féminine de hand-ball au sommet... Elles l'ont fait !... Quelle belle leçon de vie de la part de la capitaine de l'équipe, Elodie Muchet !... Ces J.O. 2040 resteront à jamais gravés dans l'histoire du sport.... etc. Son père répondait aux appels qui se succédaient : famille, amis, voisins, connaissances...., tous voulaient féliciter la championne.
- Ah, ma chérie, s'exclama sa mère en la voyant arriver, tu as lu ? Papa s'est levé tôt pour acheter les journaux car il avait peur qu'il n'y en ait plus. On est si fiers de toi !
- Merci Maman, mais tu sais, je ne suis pas seule à avoir réalisé cet exploit. Sans mes partenaires je n'y serais jamais arrivée et surtout pas sans vous.
- C'est vrai mais ton courage et ta détermination y sont aussi pour beaucoup. Tu n'as jamais baissé les bras et pourtant tu aurais eu mille occasions de le faire.
Les dernières paroles de sa mère firent émerger le souvenir de cet accident ; souvenir au combien douloureux que la jeune femme avait pourtant essayé d'enfouir au plus profond de sa mémoire, voire même de l'effacer définitivement, pour l'empêcher de le voir réapparaître à la moindre occasion, lui faisant subir à chaque fois, une souffrance sourde et insidieuse. Mais ce fut vain. Des mois de thérapie lui avaient certes permis d'apprivoiser ce souvenir, de le rendre moins violent, mais ils n'étaient pas parvenus à lui faire oublier ce jour terrible où une voiture l'avait fauchée sur un trottoir. Elle avait 20 ans et se rendait comme plusieurs fois par semaine à son entraînement de handball. Son équipe envisageait de participer aux jeux olympiques prévus dans quatre ans. Les sportives avaient fait le serment d'aller jusqu'au bout de leurs efforts, de ne jamais rien lâcher dans le but de remporter une médaille. D'un commun accord avec leur entraîneur, elles avaient choisi Elodie comme capitaine de leur équipe car elles étaient convaincues que sa ténacité, sa détermination et ses grandes qualités tant humaines que sportives les conduiraient au sommet. Cette dernière, touchée par tant de considération, avait juré de ne pas les décevoir.
Cependant, en l'espace de quelques secondes, tous ses projets ainsi que le cours de sa vie avaient été bouleversés. Une défaillance technique avait détourné de sa route le véhicule qui était venu s'écraser sur la vitrine d'un magasin. Malheureusement pour elle, Elodie qui passait à ce moment – là fut violemment heurtée et une de ses jambes écrasée par l'engin. Combien de fois avait-elle entendu son père critiquer ces véhicules devenus entièrement automatiques où il suffisait de se laisser conduire, réduisant l'homme à l'état d'impuissance et de soumission à la machine.
Afin de réduire la douleur et de lui prodiguer les soins nécessaires, le chirurgien et son équipe avaient plongé Elodie dans le coma. Quand celle - ci se réveilla enfin, ses parents étaient à ses côtés. Elle n'oubliera jamais leur regard dans lequel se lisaient la joie du retour à la vie de leur fille bien- aimée, mais aussi une profonde tristesse. Elle comprit quand le médecin à son chevet prononça le mot « amputation », mais elle ne réagit pas et silencieusement laissa couler des larmes le long de ses joues. Ce corps mutilé réduisait à néant sa carrière de sportive de haut niveau et la promesse faite à ses amies. Un silence pesant régnait dans la chambre. Ni ses parents ni l'équipe médicale ne voulaient interrompre ce débordement de chagrin, tous conscients qu'il était nécessaire pour affronter ce drame.
Une semaine plus tard, le médecin qui lui rendait visite chaque jour demanda à Elodie de l'écouter attentivement. « Je suis sincèrement désolé de ce qui vous est arrivé Elodie, mais j'ai une solution à vous proposer. Depuis de très nombreuses années, des chercheurs en neurosciences étudient la possibilité de greffer un membre en cas de perte de celui – ci. Ces longues études ont abouti et sont maintenant prêtes à être expérimentées. Je les ai suivies de très près et j'ai même obtenu une formation spéciale pour être capable d'exécuter cette greffe. Aujourd'hui donc, je peux pratiquer cette intervention et je vous propose de tenter l'expérience avec moi. Je ne veux pas que vous ayez l'impression que je me sers de vous pour exercer mes talents ou en tirer une quelconque gloire car il n'en est rien. Je vous en parle parce que vous êtes jeune et que vous avez toute la vie devant vous. Vous seriez la première dans le monde à en bénéficier. Après l'opération, vous serez bien sûr prise en charge par un kiné pour la rééducation qui sera évidemment obligatoire. Réfléchissez à ma proposition, elle en vaut la peine car je vous offre une chance de retrouver une vie normale. La haute technologie vous a meurtrie, mais laissez la science et la médecine réparer cette profonde blessure. Prenez cela comme une renaissance. »
Elodie avait écouté sans les interrompre les paroles du spécialiste. A ce moment précis, elle ne pouvait donner de réponse car elle était encore sous le choc de son amputation et la rage mêlée au désespoir l'empêchait de prendre une décision. Ses parents, sa famille, son entraîneur et surtout ses amies sportives l'encouragèrent à accepter. C'est pour elles qu'elle le fit, pour l'engagement qu'elle avait pris de les emmener vers la victoire. Certes l'opération fut longue, délicate, douloureuse et des mois de rééducation furent nécessaires pour que son corps accepte ce nouveau membre, que sa marche devienne naturelle et qu'elle puisse enfin se remettre à courir. Des moments de doute et de renoncement avaient alterné avec l'envie de relever ce défi et de participer aux progrès de la science. En fin de compte, la jeune femme avait fini par aimer cette jambe, ce « non – moi » comme elle disait et qui, avec le temps, était devenu son « moi ».
Aujourd'hui en lisant les articles élogieux dans les journaux et les réseaux sociaux, en voyant le visage rayonnant de ses coéquipières sur les photos, en écoutant son père répondre au téléphone, Elodie ne regrettait rien et se sentait tout simplement bien. Elle avait rempli son contrat, parvenant à aller au bout de son engagement malgré les obstacles. Parallèlement à son activité sportive de joueuse puis d'entraîneuse, elle continua à suivre l'avancée de la recherche médicale en matière de greffe et en devint l'ambassadrice auprès des sportifs handicapés.
- Ah, ma chérie, s'exclama sa mère en la voyant arriver, tu as lu ? Papa s'est levé tôt pour acheter les journaux car il avait peur qu'il n'y en ait plus. On est si fiers de toi !
- Merci Maman, mais tu sais, je ne suis pas seule à avoir réalisé cet exploit. Sans mes partenaires je n'y serais jamais arrivée et surtout pas sans vous.
- C'est vrai mais ton courage et ta détermination y sont aussi pour beaucoup. Tu n'as jamais baissé les bras et pourtant tu aurais eu mille occasions de le faire.
Les dernières paroles de sa mère firent émerger le souvenir de cet accident ; souvenir au combien douloureux que la jeune femme avait pourtant essayé d'enfouir au plus profond de sa mémoire, voire même de l'effacer définitivement, pour l'empêcher de le voir réapparaître à la moindre occasion, lui faisant subir à chaque fois, une souffrance sourde et insidieuse. Mais ce fut vain. Des mois de thérapie lui avaient certes permis d'apprivoiser ce souvenir, de le rendre moins violent, mais ils n'étaient pas parvenus à lui faire oublier ce jour terrible où une voiture l'avait fauchée sur un trottoir. Elle avait 20 ans et se rendait comme plusieurs fois par semaine à son entraînement de handball. Son équipe envisageait de participer aux jeux olympiques prévus dans quatre ans. Les sportives avaient fait le serment d'aller jusqu'au bout de leurs efforts, de ne jamais rien lâcher dans le but de remporter une médaille. D'un commun accord avec leur entraîneur, elles avaient choisi Elodie comme capitaine de leur équipe car elles étaient convaincues que sa ténacité, sa détermination et ses grandes qualités tant humaines que sportives les conduiraient au sommet. Cette dernière, touchée par tant de considération, avait juré de ne pas les décevoir.
Cependant, en l'espace de quelques secondes, tous ses projets ainsi que le cours de sa vie avaient été bouleversés. Une défaillance technique avait détourné de sa route le véhicule qui était venu s'écraser sur la vitrine d'un magasin. Malheureusement pour elle, Elodie qui passait à ce moment – là fut violemment heurtée et une de ses jambes écrasée par l'engin. Combien de fois avait-elle entendu son père critiquer ces véhicules devenus entièrement automatiques où il suffisait de se laisser conduire, réduisant l'homme à l'état d'impuissance et de soumission à la machine.
Afin de réduire la douleur et de lui prodiguer les soins nécessaires, le chirurgien et son équipe avaient plongé Elodie dans le coma. Quand celle - ci se réveilla enfin, ses parents étaient à ses côtés. Elle n'oubliera jamais leur regard dans lequel se lisaient la joie du retour à la vie de leur fille bien- aimée, mais aussi une profonde tristesse. Elle comprit quand le médecin à son chevet prononça le mot « amputation », mais elle ne réagit pas et silencieusement laissa couler des larmes le long de ses joues. Ce corps mutilé réduisait à néant sa carrière de sportive de haut niveau et la promesse faite à ses amies. Un silence pesant régnait dans la chambre. Ni ses parents ni l'équipe médicale ne voulaient interrompre ce débordement de chagrin, tous conscients qu'il était nécessaire pour affronter ce drame.
Une semaine plus tard, le médecin qui lui rendait visite chaque jour demanda à Elodie de l'écouter attentivement. « Je suis sincèrement désolé de ce qui vous est arrivé Elodie, mais j'ai une solution à vous proposer. Depuis de très nombreuses années, des chercheurs en neurosciences étudient la possibilité de greffer un membre en cas de perte de celui – ci. Ces longues études ont abouti et sont maintenant prêtes à être expérimentées. Je les ai suivies de très près et j'ai même obtenu une formation spéciale pour être capable d'exécuter cette greffe. Aujourd'hui donc, je peux pratiquer cette intervention et je vous propose de tenter l'expérience avec moi. Je ne veux pas que vous ayez l'impression que je me sers de vous pour exercer mes talents ou en tirer une quelconque gloire car il n'en est rien. Je vous en parle parce que vous êtes jeune et que vous avez toute la vie devant vous. Vous seriez la première dans le monde à en bénéficier. Après l'opération, vous serez bien sûr prise en charge par un kiné pour la rééducation qui sera évidemment obligatoire. Réfléchissez à ma proposition, elle en vaut la peine car je vous offre une chance de retrouver une vie normale. La haute technologie vous a meurtrie, mais laissez la science et la médecine réparer cette profonde blessure. Prenez cela comme une renaissance. »
Elodie avait écouté sans les interrompre les paroles du spécialiste. A ce moment précis, elle ne pouvait donner de réponse car elle était encore sous le choc de son amputation et la rage mêlée au désespoir l'empêchait de prendre une décision. Ses parents, sa famille, son entraîneur et surtout ses amies sportives l'encouragèrent à accepter. C'est pour elles qu'elle le fit, pour l'engagement qu'elle avait pris de les emmener vers la victoire. Certes l'opération fut longue, délicate, douloureuse et des mois de rééducation furent nécessaires pour que son corps accepte ce nouveau membre, que sa marche devienne naturelle et qu'elle puisse enfin se remettre à courir. Des moments de doute et de renoncement avaient alterné avec l'envie de relever ce défi et de participer aux progrès de la science. En fin de compte, la jeune femme avait fini par aimer cette jambe, ce « non – moi » comme elle disait et qui, avec le temps, était devenu son « moi ».
Aujourd'hui en lisant les articles élogieux dans les journaux et les réseaux sociaux, en voyant le visage rayonnant de ses coéquipières sur les photos, en écoutant son père répondre au téléphone, Elodie ne regrettait rien et se sentait tout simplement bien. Elle avait rempli son contrat, parvenant à aller au bout de son engagement malgré les obstacles. Parallèlement à son activité sportive de joueuse puis d'entraîneuse, elle continua à suivre l'avancée de la recherche médicale en matière de greffe et en devint l'ambassadrice auprès des sportifs handicapés.