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Nouvelles - Littérature Générale Collections thématiques- Le Temps
« Le souvenir se nourrit du regret qui nous enchaîne à ceux que nous ne pouvons plus faire revivre » (Norman Manea)
C'était pourtant un jour comme un autre. Comme des tas d'autres. Même pas bancal. Tout simplement banal.
Aucune alerte. Aucun pressentiment. Aucun rêve prémonitoire. Aucun pincement. L'estomac intact.
Je n'ai rien décelé. Rien vu venir. Rien n'a accroché. Rien n'a cloché. Un jour sans fausse note.
Ou presque.
Le réveil a sonné. Un matin brumeux. Comme la veille. Et comme la veille de la veille.
Ni plus ni moins.
Course après la montre. Je me suis levée, j'ai fait le café, la petite a pleuré. On a déjeuné. Mentalement, j'ai défié le temps. Vite, très vite, j'ai gesticulé partout, j'ai brassé de l'air.
Comme si ma vie en dépendait.
Comme si, à l'échelle de l'humanité, ça pouvait avoir quelconque importance.
Comme tous les matins.
J'ai déposé la petite moitié de nous à l'école. Je l'ai embrassée sur le front.
Mes yeux se sont perdus, dans l'horizon des lignes blanches.
Comme tous les jours.
Je n'ai même pas pensé à toi. Pas une seconde. Pas un instant.
J'avais perdu la partie, j'étais à la bourre.
J'ai mis le clignotant. J'ai pris la sortie 24.1. J'ai garé la voiture. Machinalement, je suis passée devant l'antre de toutes mes inquiétudes du moment, la badgeuse. J'ai salué mes collègues. Comme si tout allait bien.
D'ailleurs, tout allait bien.
Rendez-vous 1. Rendez-vous 2. Pause-cigarette. Je me suis vautrée dans les banalités échangées, autour de la machine à café. Rendez-vous 3. Rendez-vous 4. Toujours rien. Toujours bien.
À midi, un sandwich vite avalé, dans le brouhaha de la salle de pause. Les « bips-bips » du micro-ondes ont interrompu le grand débat lancé sur l'histoire d'amour improbable de Jean, trente ans, célibataire endurci, et de Ginette, Parisienne seule et désespérée, en quête de passion et de vert pâturage.
L'après-midi s'est à son tour écoulé. Sans heurt, sans encombre, sans imprévu. À écouter de parfaits inconnus me conter un peu d'eux-mêmes entre les quatre murs rassurants de mon bureau sans fenêtre. Même l'informatique a bien fonctionné, ce jour-là.
Tranquillement, je suis repassée à 17 h 03 devant la badgeuse. J'ai souhaité une bonne soirée à la femme de ménage, qui s'activait dans le couloir. Je suis remontée dans la voiture. Mon téléphone a vibré dans ma poche. Une fois, deux fois, trois fois. Pas le temps de répondre, je devais coûte que coûte éviter les bouchons.
Maudite heure de pointe.
J'ai fait une halte au bureau de tabac qui fait l'angle. En double file, il n'y avait pas de place. D'une main, j'ai saisi mon portable, qui ne cessait de vibrer, de l'autre, j'ai continué à fouiller dans le capharnaüm de mon portefeuille, à la recherche de mon billet de vingt euros. Il était caché quelque part, entre les tickets de caisse, les cartes de fidélité de magasins qui avaient mis la clé sous la porte depuis longtemps et d'autres objets douteux et non identifiés.
J'ai répondu à l'appel, distraitement. Sans nervosité. Sans appréhension.
J'ai répondu comme à n'importe quel autre appel. Mais cet appel, il n'était pas comme les autres. Comme aucun autre. Cet appel-là, il a tout fait voler en éclats. Le quotidien, ses problèmes débiles, stériles, mon agenda sans queue ni tête, nos engueulades absurdes, nos chimères et mes certitudes. Il a arrêté le temps. Nos futilités me sont revenues en pleine figure. Le choc de la claque m'a creusé les joues. Un rappel à l'ordre, imprévu, de l'infiniment grand, à l'infiniment petit. À l'infiniment minable. À l'infiniment médiocre.
Ce jour-là, le destin m'a fait un doigt d'honneur.
La grande faucheuse s'est jouée de nous.
J'ai vécu l'impossible, l'indicible, l'inconcevable : la fin. La fin du monde. La fin de notre monde. Les éléments se sont déchaînés. Séisme. Dévastation à l'échelle interne. Mon ciel s'est décroché, mon sol a tremblé. Le grand vertige. Béance. Précipice. Je suis tombée. Je crois que j'ai hurlé. Je suis restée paralysée, la gueule à terre, complètement sonnée.
Ni morte ni vivante.
K.O.
Quand tu as foutu le camp, sans me prévenir, tout a foutu le camp.
Ma peine à jamais écrite au marqueur, indélébile.
Et puis, il y a cette question, qui s'est frayé un chemin, dans les méandres du peu d'esprit qui me restait. Sournoisement, elle s'est infiltrée, engouffrée, m'a hantée. Elle a fini par me posséder. Le jour. La nuit. Les yeux fixés sur le plafond, pendant des heures.
Dans un trou noir. Je me suis sentie aspirée.
J'ai eu beau chercher. Rassembler les bribes, tenter de les recoller.
Comme un puzzle. Mais il manque des bouts.
Ma mémoire a flanché.
J'ai oublié l'essentiel.
J'ai fini avec un sparadrap de fortune, scotché à même le cœur.
À me raconter des histoires, à tenir debout.
Mais encore aujourd'hui... la main tremblante, en te déposant ces fleurs...
Ça m'obsède.
M'enchaîne.
À nous.
À toi.
En boucle.
Comme si le bouton repeat était bloqué.
Cassé.
Et je me demande, jour après jour, quels sont les derniers mots qu'on a bien pu se dire...
Inlassablement, je revis cette journée.
Je voudrais pouvoir la modifier.
Je voudrais juste pouvoir changer...
La fin.
C'était pourtant un jour comme un autre. Comme des tas d'autres. Même pas bancal. Tout simplement banal.
Aucune alerte. Aucun pressentiment. Aucun rêve prémonitoire. Aucun pincement. L'estomac intact.
Je n'ai rien décelé. Rien vu venir. Rien n'a accroché. Rien n'a cloché. Un jour sans fausse note.
Ou presque.
Le réveil a sonné. Un matin brumeux. Comme la veille. Et comme la veille de la veille.
Ni plus ni moins.
Course après la montre. Je me suis levée, j'ai fait le café, la petite a pleuré. On a déjeuné. Mentalement, j'ai défié le temps. Vite, très vite, j'ai gesticulé partout, j'ai brassé de l'air.
Comme si ma vie en dépendait.
Comme si, à l'échelle de l'humanité, ça pouvait avoir quelconque importance.
Comme tous les matins.
J'ai déposé la petite moitié de nous à l'école. Je l'ai embrassée sur le front.
Mes yeux se sont perdus, dans l'horizon des lignes blanches.
Comme tous les jours.
Je n'ai même pas pensé à toi. Pas une seconde. Pas un instant.
J'avais perdu la partie, j'étais à la bourre.
J'ai mis le clignotant. J'ai pris la sortie 24.1. J'ai garé la voiture. Machinalement, je suis passée devant l'antre de toutes mes inquiétudes du moment, la badgeuse. J'ai salué mes collègues. Comme si tout allait bien.
D'ailleurs, tout allait bien.
Rendez-vous 1. Rendez-vous 2. Pause-cigarette. Je me suis vautrée dans les banalités échangées, autour de la machine à café. Rendez-vous 3. Rendez-vous 4. Toujours rien. Toujours bien.
À midi, un sandwich vite avalé, dans le brouhaha de la salle de pause. Les « bips-bips » du micro-ondes ont interrompu le grand débat lancé sur l'histoire d'amour improbable de Jean, trente ans, célibataire endurci, et de Ginette, Parisienne seule et désespérée, en quête de passion et de vert pâturage.
L'après-midi s'est à son tour écoulé. Sans heurt, sans encombre, sans imprévu. À écouter de parfaits inconnus me conter un peu d'eux-mêmes entre les quatre murs rassurants de mon bureau sans fenêtre. Même l'informatique a bien fonctionné, ce jour-là.
Tranquillement, je suis repassée à 17 h 03 devant la badgeuse. J'ai souhaité une bonne soirée à la femme de ménage, qui s'activait dans le couloir. Je suis remontée dans la voiture. Mon téléphone a vibré dans ma poche. Une fois, deux fois, trois fois. Pas le temps de répondre, je devais coûte que coûte éviter les bouchons.
Maudite heure de pointe.
J'ai fait une halte au bureau de tabac qui fait l'angle. En double file, il n'y avait pas de place. D'une main, j'ai saisi mon portable, qui ne cessait de vibrer, de l'autre, j'ai continué à fouiller dans le capharnaüm de mon portefeuille, à la recherche de mon billet de vingt euros. Il était caché quelque part, entre les tickets de caisse, les cartes de fidélité de magasins qui avaient mis la clé sous la porte depuis longtemps et d'autres objets douteux et non identifiés.
J'ai répondu à l'appel, distraitement. Sans nervosité. Sans appréhension.
J'ai répondu comme à n'importe quel autre appel. Mais cet appel, il n'était pas comme les autres. Comme aucun autre. Cet appel-là, il a tout fait voler en éclats. Le quotidien, ses problèmes débiles, stériles, mon agenda sans queue ni tête, nos engueulades absurdes, nos chimères et mes certitudes. Il a arrêté le temps. Nos futilités me sont revenues en pleine figure. Le choc de la claque m'a creusé les joues. Un rappel à l'ordre, imprévu, de l'infiniment grand, à l'infiniment petit. À l'infiniment minable. À l'infiniment médiocre.
Ce jour-là, le destin m'a fait un doigt d'honneur.
La grande faucheuse s'est jouée de nous.
J'ai vécu l'impossible, l'indicible, l'inconcevable : la fin. La fin du monde. La fin de notre monde. Les éléments se sont déchaînés. Séisme. Dévastation à l'échelle interne. Mon ciel s'est décroché, mon sol a tremblé. Le grand vertige. Béance. Précipice. Je suis tombée. Je crois que j'ai hurlé. Je suis restée paralysée, la gueule à terre, complètement sonnée.
Ni morte ni vivante.
K.O.
Quand tu as foutu le camp, sans me prévenir, tout a foutu le camp.
Ma peine à jamais écrite au marqueur, indélébile.
Et puis, il y a cette question, qui s'est frayé un chemin, dans les méandres du peu d'esprit qui me restait. Sournoisement, elle s'est infiltrée, engouffrée, m'a hantée. Elle a fini par me posséder. Le jour. La nuit. Les yeux fixés sur le plafond, pendant des heures.
Dans un trou noir. Je me suis sentie aspirée.
J'ai eu beau chercher. Rassembler les bribes, tenter de les recoller.
Comme un puzzle. Mais il manque des bouts.
Ma mémoire a flanché.
J'ai oublié l'essentiel.
J'ai fini avec un sparadrap de fortune, scotché à même le cœur.
À me raconter des histoires, à tenir debout.
Mais encore aujourd'hui... la main tremblante, en te déposant ces fleurs...
Ça m'obsède.
M'enchaîne.
À nous.
À toi.
En boucle.
Comme si le bouton repeat était bloqué.
Cassé.
Et je me demande, jour après jour, quels sont les derniers mots qu'on a bien pu se dire...
Inlassablement, je revis cette journée.
Je voudrais pouvoir la modifier.
Je voudrais juste pouvoir changer...
La fin.
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