Toute histoire commence un jour, quelque part, indéniablement.
On naît seul.
Un contre tous.
Toujours sur le qui-vive.
En fuite, la plupart du temps.
Haine.
Impatience.
Souffrance.
Trahison.
Orgueil.
Intolérance.
Rage.
Excessivité.
Comment l’expliquer?
Oscar est né à quinze ans.
Mère? Inconnue.
Même pas certain qu’il ait un père.
Endoctrinement manqué... le seul.
Naïf? Pas lui.
Cherchant toujours à comprendre? Oui.
En un mot : différent.
Unique?
Non.
Juste séparé des gens comme lui.
Oscar... mais vraiment son ADN.
Une erreur.
Regrettable? Que pour ceux qui l’ont créé.
Quelques dizaines d’années dans le futur.
Un monde homothétique au nôtre.
Embrasé par les mêmes flammes.
Lié aux mêmes problèmes.
Quintessence de l’humanité.
Un monde immuable.
Encore et toujours.
Perceptions ancestrales.
Ancrées dans les mentalités d’aujourd’hui.
Remède?
Très simple : regarder autrement. Comme Oscar.
***
« Froid glacial. Neige immaculée. Vent puissant. N’écoutant rien d’autre que les battements de son cœur, le garçon courait. Toujours plus vite, car il savait qu’on le cherchait ».
Il avait été conçu différemment. Son éducation avait été militaire, stricte, intense. Enfermé depuis toujours, cloîtré dans des bâtiments tous plus semblables les uns que les autres. Endoctriné. On cultivait son savoir, on voulait qu’il apprenne tout... tout ce qui était utile pour eux.
Il était le résultat d’une profanation de la science. Ses capacités étaient synthétiques, sa vie, artificielle. Ils voulaient créer l’être humain parfait. Ils avaient réussi... avec les autres. Pas avec lui. Il était trop humain et pas assez parfait.
Il avait toujours tout compris, excepté un seul concept : la liberté. Depuis aussi loin qu’il se souvienne, il n’avait jamais réussi à saisir le véritable sens de ce mot. Il avait incessamment cherché à le comprendre. Et il le fit. À son évasion. Lorsqu’il réussit à échapper à la vigilance de ceux qui l’avaient créé, lorsqu’il s’enfuit de cet endroit trop sombre et trop froid. Ce n’est qu’à partir du moment où il n’y fut plus qu’il comprit alors réellement ce qu’était la liberté. Et qu’il ne savait pas tout.
***
Oscar avait dix-sept ans, mais réellement deux. Les quinze premières années de sa vie, il n’avait été qu’un long numéro. Il avait appris que les gens normaux utilisaient des mots spéciaux pour se désigner, des noms. Coutume efficace, avait-il trouvé. Descendant du train de marchandises qui l’avait mené à cette ville, il avait choisi de se nommer Oscar. Ce mot était placardé un peu partout dans la métropole... il avait appris plus tard qu’il annonçait un gala.
Même s’il était en territoire complètement inconnu, Oscar n’avait jamais été effrayé, jamais craintif. Pourquoi l’aurait-il été? Il était entouré de gens comme lui : tous des gens un peu différents, mais fondamentalement les mêmes. Certains étaient plus grands, d’autres avaient les cheveux plus longs, quelques-uns avaient une couleur contrastant avec la sienne. Le garçon n’avait jamais été aussi intrigué qu’à ce fameux jour.
Il était heureux. Le train l’avait mené loin, très loin. Il n’avait plus de pression. On ne lui disait plus quoi faire. On ne le manipulait plus, on ne lui mentait plus. Il avait erré dans la ville longtemps, ne se souciant pas des regards qui se posaient sur lui. Au contraire, il souriait aux gens en retour. Il les sentit déstabilisés par son comportement, mais ne put s’empêcher de continuer. Il était seul et bien.
La première personne à qui il s’était adressé était un homme. Assis par terre, son interlocuteur à la vieille barbe blanche lui en avait appris plus sur la ville dans laquelle il se trouvait. Malgré le froid, le vieil homme ne broncha pas et discuta un bon moment avec Oscar. Dans sa voix rauque et ses yeux gris, le garçon y trouva de la sagesse. L’homme, un vieux verre de carton à la main, lui pointa le centre-ville, au loin. Un sourire sincère aux lèvres, le nouvel ami d’Oscar continuait d’informer l’adolescent, tandis que de nombreux piétons passaient, sans sembler les voir. Oscar remercia finalement le vieil homme. Ce dernier, les yeux pétillants, fit de même.
La deuxième personne avec qui Oscar discuta était une femme. Dans un autobus le menant au centre-ville, la seule place vacante était celle à ses côtés. Elle portait une écharpe qui ne laissait voir que son visage – il est vrai qu’il faisait froid cette journée-là. Il remarqua rapidement que les autres passagers regardaient subtilement dans sa direction, de temps à autre. Il pensa qu’il s’agissait sans doute de ses vêtements. Il était peu habillé pour le temps frisquet. Il engagea la conversation avec sa voisine joyeusement. Sa voix était délicate, douce, paisible. Elle lui expliqua que la température se réchaufferait dans les semaines à venir. Oscar n’avait connu rien d’autre que le froid... il avait hâte d’expérimenter autre chose. Il échangea avec la femme, qui semblait s’animer au fil des minutes, jusqu’à ce qu’elle soit arrivée à destination. Avant de quitter, cette dernière lui donna même quelques bonbons. Lorsqu’elle se leva, Oscar constata que, sous son manteau, son foulard noir descendait étonnement jusqu’à ses chevilles.
Sa troisième rencontre fut un groupe d’enfants. Avant d’arriver près d’eux, il crut qu’ils jouaient. Plus il s’approchait, plus il réalisa que tous les petits garçons parlaient à celui qui avait un mini chapeau sur la tête. Ils semblaient l’attaquer avec leurs mots, si bien que l’enfant se recroquevillait doucement sur lui-même. Oscar fronça les sourcils. Le plus grand de la bande s’avança tout près du petit. L’adolescent marcha vers eux, perdu. Il leur demanda ce qu’il se passait, calmement. La troupe se figea. Ayant tous les yeux écarquillés, ils rebroussèrent chemin. Oscar ne comprit pas pourquoi ils fuyaient la conversation. Il cherchait juste à comprendre pourtant. Le seul restant, le petit au chapeau, le remercia, mais il ne saisit pas pourquoi. Il le lui demanda. Il eut alors une intéressante discussion avec le gamin. Il apprit un nouveau mot : intimidation. Il trouva absurde que quelqu’un l’ait inventé. Le petit garçon expliqua à Oscar qu’il était différent et que les gens n’aimaient pas réellement la différence. Pourtant, le garçon devant lui était physiquement identique à ceux qui venaient de les quitter... Oscar ne voyait pas de dissemblance. Il demanda au petit de lui expliquer encore, mais ce dernier haussa les épaules. Il ne comprenait pas vraiment non plus. Lorsqu’il lui annonça qu’il devait y aller, Oscar lui remit les bonbons que la dame lui avait donnés, quelques instants plus tôt. Le visage éclatant d’un sourire, le garçon enlaça le plus grand et gambada jusqu’au coin de la rue.
Une fois seul, Oscar avait levé la tête vers les immenses tours non loin de lui. Il s’y était rendu en marchant nonchalamment et avait croisé une multitude de gens. Les deux premiers furent des hommes. Ils se tenaient par la main et rigolaient. Cela fit sourire l’adolescent. Ensuite, il rencontra le chemin de quatre filles de son âge. Il leur dit bonjour lorsqu’il arriva à leur hauteur. Après, un autre homme croisa sa route. Il portait une robe que le garçon trouva jolie en raison de ses couleurs vives. De plus en plus de gens déambulaient sur le trottoir, si bien qu’Oscar n’avait pas le temps de tous les regarder. De leur sourire à tous.
La quatrième et dernière personne avec qui il eut une conversation fut un garçon ayant quelques années de plus que lui. Oscar remarqua tout de suite sa couleur de peau. Elle était l’inverse de la sienne. Comme le soleil commençait à décliner, Oscar souhaitait trouver un abri où dormir. Il demanda au jeune homme où il pouvait bien aller. Celui-ci, portant de temps à autre un rouleau à ses lèvres, semblait ne pas vouloir être dérangé, mais l’air si innocent d’Oscar fit son effet. Il lui parla de quelques endroits situés dans les environs. Ils s’étaient ensuite mis à discuter d’autre chose, complètement hors sujet... Oscar ne se rappelait plus pourquoi ni comment. Le jeune homme, qui appréciait l’air intéressé et joyeux d’Oscar, finit par lui proposer de venir avec lui au restaurant de son oncle, se trouvant à quelques rues. Le garçon accepta avec plaisir. L’endroit était rempli de personnes à la même couleur que son nouvel ami. Quelques regards se posèrent sur lui à son arrivée. On lui donna à manger et à boire. Il passa une magnifique soirée, sa première en réalité. Ce nouveau monde était étrange, mais il l’aimait déjà.
Désormais âgé de dix-sept ans, cet univers n’était plus si nouveau pour lui. Les deux années précédentes avaient été plus instructives que les quinze premières de sa vie. À quoi cela servait-il de tout savoir sur la physique, la chimie et les mathématiques s’il ne savait pas ce qu’était l’humanité? À quoi cela servait-il de courir très vite et de savoir se battre quand on ignorait s’il y avait un ennemi? À rien. On l’avait isolé du vrai monde. Maintenant, il pouvait dire avec fierté qu’il était libre. La liberté, c’est d’être soi-même... il l’avait finalement compris.
Évidemment, plusieurs choses dans cet univers ne faisaient pas de sens. Il avait troqué un seul concept qu’il ne comprenait pas contre des dizaines. Les gens ne communiquaient pas, du moins pas comme ils ne le devraient. Ils établissaient des séparations là où il ne devrait pas y en avoir. Les émotions négatives noyaient les gens : haine, impatience, souffrance, trahison, orgueil, intolérance, rage, excessivité. Et puis ces bouts de papier... ils rendaient tant de gens malheureux. Ceux qui n’en avaient pas ne possédaient rien et étaient tristes, ceux qui en avaient trop possédaient tout et étaient misérables. Décidément, ce monde était mieux que celui qu’il avait quitté à quinze ans, mais il n’était pas parfait.
Pourtant, à une échelle moindre, sa vie, elle, était idyllique. Il travaillait comme livreur et donc rencontrait de nouvelles personnes chaque jour. Il avait une petite chambre remplie de choses qu’il avait acquises au fil du temps. Il avait toujours son ami à la peau différente. Oscar avait du temps pour aller jouer avec les plus jeunes à l’école du quartier. La ville regorgeait d’activités hétéroclites, amusantes et éducatives qu’il se plaisait à essayer. Vraiment, il était comblé.
Oscar n’était pas comme les autres, bien qu’il l’eût souhaité souvent. Son cerveau avait été créé, son intelligence, décuplée. C’est sans doute pour cette raison qu’il ne pouvait s’empêcher d’étudier les rapports humains et leur contexte. Il cherchait des solutions aux problèmes modelés par la société. Il avait étudié son comportement et celui des autres. Les gens lui étaient plus favorables, moins hostiles. Pourquoi? Il en était arrivé à plusieurs conclusions, toutes pointant vers la même direction : on doit regarder autrement.
Oscar, de son point de vue, regardait les gens pour ce qu’ils étaient. Cependant, pour tous les autres, il les regardait autrement. La raison est simple. Son endoctrinement l’avait peut-être privé de cet univers, mais aussi de ses stéréotypes. Tous les autres avaient grandi dans ce monde nourris inconsciemment de ses clichés. Ils les reproduisaient dans leur comportement, de façon volontaire ou pas. Et c’est là que les barrières invisibles apparaissaient. Selon l’analyse d’Oscar, ces barrières sont apparues il y a très longtemps - une éternité - et elles ne tombent pas. Les généralités sur lesquelles les gens se basent, Oscar ne les connaît pas. Sans faire d’effort, l’adolescent les transcende. Seulement, pour tout le monde, il faut contourner les barrières. Pour les contourner, il faut délaisser les vieux stéréotypes ancrés dans les abysses de l’humanité. Et pour délaisser les vieux stéréotypes, il faut regarder autrement.
C’est tout.
Regardez autrement et commencez maintenant. Que voyez-vous?
On naît seul.
Un contre tous.
Toujours sur le qui-vive.
En fuite, la plupart du temps.
Haine.
Impatience.
Souffrance.
Trahison.
Orgueil.
Intolérance.
Rage.
Excessivité.
Comment l’expliquer?
Oscar est né à quinze ans.
Mère? Inconnue.
Même pas certain qu’il ait un père.
Endoctrinement manqué... le seul.
Naïf? Pas lui.
Cherchant toujours à comprendre? Oui.
En un mot : différent.
Unique?
Non.
Juste séparé des gens comme lui.
Oscar... mais vraiment son ADN.
Une erreur.
Regrettable? Que pour ceux qui l’ont créé.
Quelques dizaines d’années dans le futur.
Un monde homothétique au nôtre.
Embrasé par les mêmes flammes.
Lié aux mêmes problèmes.
Quintessence de l’humanité.
Un monde immuable.
Encore et toujours.
Perceptions ancestrales.
Ancrées dans les mentalités d’aujourd’hui.
Remède?
Très simple : regarder autrement. Comme Oscar.
***
« Froid glacial. Neige immaculée. Vent puissant. N’écoutant rien d’autre que les battements de son cœur, le garçon courait. Toujours plus vite, car il savait qu’on le cherchait ».
Il avait été conçu différemment. Son éducation avait été militaire, stricte, intense. Enfermé depuis toujours, cloîtré dans des bâtiments tous plus semblables les uns que les autres. Endoctriné. On cultivait son savoir, on voulait qu’il apprenne tout... tout ce qui était utile pour eux.
Il était le résultat d’une profanation de la science. Ses capacités étaient synthétiques, sa vie, artificielle. Ils voulaient créer l’être humain parfait. Ils avaient réussi... avec les autres. Pas avec lui. Il était trop humain et pas assez parfait.
Il avait toujours tout compris, excepté un seul concept : la liberté. Depuis aussi loin qu’il se souvienne, il n’avait jamais réussi à saisir le véritable sens de ce mot. Il avait incessamment cherché à le comprendre. Et il le fit. À son évasion. Lorsqu’il réussit à échapper à la vigilance de ceux qui l’avaient créé, lorsqu’il s’enfuit de cet endroit trop sombre et trop froid. Ce n’est qu’à partir du moment où il n’y fut plus qu’il comprit alors réellement ce qu’était la liberté. Et qu’il ne savait pas tout.
***
Oscar avait dix-sept ans, mais réellement deux. Les quinze premières années de sa vie, il n’avait été qu’un long numéro. Il avait appris que les gens normaux utilisaient des mots spéciaux pour se désigner, des noms. Coutume efficace, avait-il trouvé. Descendant du train de marchandises qui l’avait mené à cette ville, il avait choisi de se nommer Oscar. Ce mot était placardé un peu partout dans la métropole... il avait appris plus tard qu’il annonçait un gala.
Même s’il était en territoire complètement inconnu, Oscar n’avait jamais été effrayé, jamais craintif. Pourquoi l’aurait-il été? Il était entouré de gens comme lui : tous des gens un peu différents, mais fondamentalement les mêmes. Certains étaient plus grands, d’autres avaient les cheveux plus longs, quelques-uns avaient une couleur contrastant avec la sienne. Le garçon n’avait jamais été aussi intrigué qu’à ce fameux jour.
Il était heureux. Le train l’avait mené loin, très loin. Il n’avait plus de pression. On ne lui disait plus quoi faire. On ne le manipulait plus, on ne lui mentait plus. Il avait erré dans la ville longtemps, ne se souciant pas des regards qui se posaient sur lui. Au contraire, il souriait aux gens en retour. Il les sentit déstabilisés par son comportement, mais ne put s’empêcher de continuer. Il était seul et bien.
La première personne à qui il s’était adressé était un homme. Assis par terre, son interlocuteur à la vieille barbe blanche lui en avait appris plus sur la ville dans laquelle il se trouvait. Malgré le froid, le vieil homme ne broncha pas et discuta un bon moment avec Oscar. Dans sa voix rauque et ses yeux gris, le garçon y trouva de la sagesse. L’homme, un vieux verre de carton à la main, lui pointa le centre-ville, au loin. Un sourire sincère aux lèvres, le nouvel ami d’Oscar continuait d’informer l’adolescent, tandis que de nombreux piétons passaient, sans sembler les voir. Oscar remercia finalement le vieil homme. Ce dernier, les yeux pétillants, fit de même.
La deuxième personne avec qui Oscar discuta était une femme. Dans un autobus le menant au centre-ville, la seule place vacante était celle à ses côtés. Elle portait une écharpe qui ne laissait voir que son visage – il est vrai qu’il faisait froid cette journée-là. Il remarqua rapidement que les autres passagers regardaient subtilement dans sa direction, de temps à autre. Il pensa qu’il s’agissait sans doute de ses vêtements. Il était peu habillé pour le temps frisquet. Il engagea la conversation avec sa voisine joyeusement. Sa voix était délicate, douce, paisible. Elle lui expliqua que la température se réchaufferait dans les semaines à venir. Oscar n’avait connu rien d’autre que le froid... il avait hâte d’expérimenter autre chose. Il échangea avec la femme, qui semblait s’animer au fil des minutes, jusqu’à ce qu’elle soit arrivée à destination. Avant de quitter, cette dernière lui donna même quelques bonbons. Lorsqu’elle se leva, Oscar constata que, sous son manteau, son foulard noir descendait étonnement jusqu’à ses chevilles.
Sa troisième rencontre fut un groupe d’enfants. Avant d’arriver près d’eux, il crut qu’ils jouaient. Plus il s’approchait, plus il réalisa que tous les petits garçons parlaient à celui qui avait un mini chapeau sur la tête. Ils semblaient l’attaquer avec leurs mots, si bien que l’enfant se recroquevillait doucement sur lui-même. Oscar fronça les sourcils. Le plus grand de la bande s’avança tout près du petit. L’adolescent marcha vers eux, perdu. Il leur demanda ce qu’il se passait, calmement. La troupe se figea. Ayant tous les yeux écarquillés, ils rebroussèrent chemin. Oscar ne comprit pas pourquoi ils fuyaient la conversation. Il cherchait juste à comprendre pourtant. Le seul restant, le petit au chapeau, le remercia, mais il ne saisit pas pourquoi. Il le lui demanda. Il eut alors une intéressante discussion avec le gamin. Il apprit un nouveau mot : intimidation. Il trouva absurde que quelqu’un l’ait inventé. Le petit garçon expliqua à Oscar qu’il était différent et que les gens n’aimaient pas réellement la différence. Pourtant, le garçon devant lui était physiquement identique à ceux qui venaient de les quitter... Oscar ne voyait pas de dissemblance. Il demanda au petit de lui expliquer encore, mais ce dernier haussa les épaules. Il ne comprenait pas vraiment non plus. Lorsqu’il lui annonça qu’il devait y aller, Oscar lui remit les bonbons que la dame lui avait donnés, quelques instants plus tôt. Le visage éclatant d’un sourire, le garçon enlaça le plus grand et gambada jusqu’au coin de la rue.
Une fois seul, Oscar avait levé la tête vers les immenses tours non loin de lui. Il s’y était rendu en marchant nonchalamment et avait croisé une multitude de gens. Les deux premiers furent des hommes. Ils se tenaient par la main et rigolaient. Cela fit sourire l’adolescent. Ensuite, il rencontra le chemin de quatre filles de son âge. Il leur dit bonjour lorsqu’il arriva à leur hauteur. Après, un autre homme croisa sa route. Il portait une robe que le garçon trouva jolie en raison de ses couleurs vives. De plus en plus de gens déambulaient sur le trottoir, si bien qu’Oscar n’avait pas le temps de tous les regarder. De leur sourire à tous.
La quatrième et dernière personne avec qui il eut une conversation fut un garçon ayant quelques années de plus que lui. Oscar remarqua tout de suite sa couleur de peau. Elle était l’inverse de la sienne. Comme le soleil commençait à décliner, Oscar souhaitait trouver un abri où dormir. Il demanda au jeune homme où il pouvait bien aller. Celui-ci, portant de temps à autre un rouleau à ses lèvres, semblait ne pas vouloir être dérangé, mais l’air si innocent d’Oscar fit son effet. Il lui parla de quelques endroits situés dans les environs. Ils s’étaient ensuite mis à discuter d’autre chose, complètement hors sujet... Oscar ne se rappelait plus pourquoi ni comment. Le jeune homme, qui appréciait l’air intéressé et joyeux d’Oscar, finit par lui proposer de venir avec lui au restaurant de son oncle, se trouvant à quelques rues. Le garçon accepta avec plaisir. L’endroit était rempli de personnes à la même couleur que son nouvel ami. Quelques regards se posèrent sur lui à son arrivée. On lui donna à manger et à boire. Il passa une magnifique soirée, sa première en réalité. Ce nouveau monde était étrange, mais il l’aimait déjà.
Désormais âgé de dix-sept ans, cet univers n’était plus si nouveau pour lui. Les deux années précédentes avaient été plus instructives que les quinze premières de sa vie. À quoi cela servait-il de tout savoir sur la physique, la chimie et les mathématiques s’il ne savait pas ce qu’était l’humanité? À quoi cela servait-il de courir très vite et de savoir se battre quand on ignorait s’il y avait un ennemi? À rien. On l’avait isolé du vrai monde. Maintenant, il pouvait dire avec fierté qu’il était libre. La liberté, c’est d’être soi-même... il l’avait finalement compris.
Évidemment, plusieurs choses dans cet univers ne faisaient pas de sens. Il avait troqué un seul concept qu’il ne comprenait pas contre des dizaines. Les gens ne communiquaient pas, du moins pas comme ils ne le devraient. Ils établissaient des séparations là où il ne devrait pas y en avoir. Les émotions négatives noyaient les gens : haine, impatience, souffrance, trahison, orgueil, intolérance, rage, excessivité. Et puis ces bouts de papier... ils rendaient tant de gens malheureux. Ceux qui n’en avaient pas ne possédaient rien et étaient tristes, ceux qui en avaient trop possédaient tout et étaient misérables. Décidément, ce monde était mieux que celui qu’il avait quitté à quinze ans, mais il n’était pas parfait.
Pourtant, à une échelle moindre, sa vie, elle, était idyllique. Il travaillait comme livreur et donc rencontrait de nouvelles personnes chaque jour. Il avait une petite chambre remplie de choses qu’il avait acquises au fil du temps. Il avait toujours son ami à la peau différente. Oscar avait du temps pour aller jouer avec les plus jeunes à l’école du quartier. La ville regorgeait d’activités hétéroclites, amusantes et éducatives qu’il se plaisait à essayer. Vraiment, il était comblé.
Oscar n’était pas comme les autres, bien qu’il l’eût souhaité souvent. Son cerveau avait été créé, son intelligence, décuplée. C’est sans doute pour cette raison qu’il ne pouvait s’empêcher d’étudier les rapports humains et leur contexte. Il cherchait des solutions aux problèmes modelés par la société. Il avait étudié son comportement et celui des autres. Les gens lui étaient plus favorables, moins hostiles. Pourquoi? Il en était arrivé à plusieurs conclusions, toutes pointant vers la même direction : on doit regarder autrement.
Oscar, de son point de vue, regardait les gens pour ce qu’ils étaient. Cependant, pour tous les autres, il les regardait autrement. La raison est simple. Son endoctrinement l’avait peut-être privé de cet univers, mais aussi de ses stéréotypes. Tous les autres avaient grandi dans ce monde nourris inconsciemment de ses clichés. Ils les reproduisaient dans leur comportement, de façon volontaire ou pas. Et c’est là que les barrières invisibles apparaissaient. Selon l’analyse d’Oscar, ces barrières sont apparues il y a très longtemps - une éternité - et elles ne tombent pas. Les généralités sur lesquelles les gens se basent, Oscar ne les connaît pas. Sans faire d’effort, l’adolescent les transcende. Seulement, pour tout le monde, il faut contourner les barrières. Pour les contourner, il faut délaisser les vieux stéréotypes ancrés dans les abysses de l’humanité. Et pour délaisser les vieux stéréotypes, il faut regarder autrement.
C’est tout.
Regardez autrement et commencez maintenant. Que voyez-vous?