Rédemption

« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres mais je ne vous appellerai pas maître ». Je balançais cette déclaration assez souvent à mon « père ». Il est vrai que nous disons parfois tous des choses que nous ne pensons pas... mais à ces moments-là, étais-je sincère dans mes propos ? Ou ai-je inconsciemment pressé sur la détente, appuyé sur le bouton, allumé le feu ?
22, rue Béranger, 75003 Paris, adresse du Umami Matcha Café. Une rencontre entre un coffee shop new-yorkais et japonais au cœur de Paris vous offrant un large choix de matcha, des thés bio japonais, des cafés de spécialité ainsi qu'un service pour le petit déjeuner, déjeuner et goûter réalisés avec des produits de saison et de qualité. Et pour cerise sur le gâteau, Fred, le gérant a récemment recruté des jeunes filles, moi y compris, pour jouer le rôle de Maid, ces serveuses en tenue de soubrette que l'on rencontre dans les cafés typique au Japon pour parfaire ce décor.La semaine venait à peine de commencer. 6h05, il me restait donc quelques minutes avant l'ouverture du salon et l'arrivée de Fred. Il fallait mettre le bouché double si je ne voulais pas m'attirer ses foudres. Fred est de nature colérique et tyrannique. Et depuis que je travaille ici, il prend un malin plaisir à jouer avec mes nerfs. Enfin... travail ? C'était plus une corvée je dirais (...) Intérieurement, j'en connaissais la raison... mais manque de franchise, je ne voulais pas que cette vérité me rattrape. J'ai été celle qui était derrière le gaz, mais ai-je essayé d'arrêter le feu de se propager ? Disons... Pour ma part, les gens qui n'admettent pas leur faute et qui ne s'excuse pas du mal fait, me dégoute. Peut-on alors dire que je m'écœure ? Bien sûr quand dès le premier jour où une personne veuille bien vous accueillir, et je parle ici à la fois de travail, de gîte et de couvert... vous agissez comme un malpoli qui aurait accepté le pain qu'on vous offre mais qu'ensuite vous le lui recracher au visage.
Je suis orpheline. J'ai perdu mes parents alors que je n'étais qu'une petite fille. L'orphelinat du quartier où on résidait a eu pitié de moi et a bien voulu me prendre sous son toit. Seulement, quand vous n'avez pas l'allure d'une petite, charmante fille, avec des bonnes manières, bref, la fille « parfaite », qui voudrait bien de vous comme un membre de sa famille ? Dans une société où « l'habit fait le moine », votre unique issue serait d'être blindé ou alors choisir le mauvais côté de la route et devenir un « prisonnier ». J'avais eu la naïveté de croire que si par le physique je n'irai jamais loin, je pourrais tenter la première issue et essayer de gagner « assez » d'argent pour vivre. Balzac avait raison quand il disait que l'argent est l'un des principaux rouages de la pathologie humaine. Car oui j'ai récemment lu dans un livre que j'ai accidentellement trouvé, oublier, ici au Matcha Café que l'argent définissait notre statut, notre position dans la société, nos aspirations et nos ambitions, nos doutes et nos échecs, nos accès d'extravagance, notre avarice, notre générosité ou notre absence totale d'altruisme, notre besoin de plaire et d'être gratifié, notre soif de prouver notre valeur ou de ne rien prouver du tout, nos rêves frustrés et nos réalisations, notre désir d'impressionner ou de passer inaperçu... et c'était vrai. Je me suis prise d'affection pour cet auteur, c'est comme si « il avait lu en moi en premier ».
Mais on ne peut pas toujours avoir ce qu'on veut (...)
C'est alors qu'au moment le plus difficile de ma vie, Fred est apparu. Tel un ouragan, il a apporté sur son passage plusieurs vents de changements. Je dirais qu'ils n'ont pas tous été mauvais, loin de là. Il a bien eu la « générosité » de me prendre sous son aile, je ne pouvais pas m'en plaindre. Mais ses ailes n'étaient pas ceux d'un ange qui allait me protéger, non, c'étaient des ailes noirs et ce n'est que trop tard que je l'avais compris. Fred, un homme avec une carrure d'ours, bras musclés mais ventre ballotté, toujours en chemise avec les manches retroussées, boutons risquant de se défaire. Il m'a adopté alors que je n'avais que 12 ans. C'était un jour pluvieux ce jour-là, Fred passait dans le coin et s'était réfugié à l'orphelinat. C'est là qu'on s'est rencontré pour la première fois. J'étais en train de m'amuser avec les flaques de boue près du préau, et quand je l'ai aperçu se ruer près de moi, je m'étais caché derrière une poutre.
-Bonjour petite !
-Cassie...
-Pardon ?
-Je m'appelle Cassie, pas petite.
Il a ri à cette remarque. Il s'est approché et s'est agenouillé jusqu'à être à ma taille.
-Et bien enchanté Cassie. Moi c'est Fred, dit-il en me caressant la tête.
J'avais remarqué sa petite mine quand il vit à quel point j'étais sale et toute menue. Et à ma grande surprise, le lendemain il était revenu à l'orphelinat et avait demandé à ce que je devienne « sa fille ». Bien sûr sans hésiter j'avais accepté. Depuis le temps que j'attendais cet instant... Mon quotidien dans sa famille était des plus normaux au début. Pouvait-on appeler cela une famille déjà ? Comme Fred n'avait ni épouse ni enfants, j'étais celle qui composait sa « famille ». Famille dite-vous ? Non... pour moi une famille c'est là où on est aimé, soutenu, compris, c'est là où vous pouvez vous réfugier dans les mauvais moments et là où vous vous créer des souvenirs dans les bons moments. Ce n'est pas là la famille que Fred m'avais offert (...)
Après avoir terminé le lycée, Fred m'envoya dans les zones frontalières entre la Colombie et Washington en Amérique pour soi-disant terminer mes études. Seulement, ce n'était qu'un leurre. J'ai vécu toutes sortes d'atrocités là-bas, et rien qu'en me rappelant cet endroit j'en ai la chair de poule. Parallèlement au travail de commerçant de Fred, il tenait une agence secrète de contrebande. Je me disais toujours où trouvait-il autant d'argent quotidiennement... il m'a envoyé travailler avec les bandits qui lui servait de larbins dans ces tâches insignifiantes. J'ai été souillée, maltraitée, violée, emprisonnée, j'étais prête à parier que même les esclaves avaient sûrement une meilleure vie.
C'est là que tout à commencer, changer... « Maître » était le suffixe que je devais employer quand je m'adressais à ces hommes, sinon, je devais subir pire que la mort. La mort... une fois ça m'est passée à l'esprit, que je serais tranquille si je quittais tout, mon « père », ce « monde ». Mais non... ma conscience me rappelait que la vie est un combat, que même si elle vous touche assez fort, vous laissant pour mort, vous vous relevez, car vous comprendrez à cet instant que la vie est d'abord et surtout une question de survie et on n'y peut rien si notre existence est un chemin nécessitant courage et vigueur pour affronter les tragédies et les malheurs. J'avais alors décidé de faire sortir cette rage de crier l'injustice, que ce soit celle que je me faisais subir à moi-même que celle que Fred et ces hommes faisaient subir à autrui. L'injustice dans toutes ses formes.
Mais quand on est seule à crier dans le désert, on ne peut avoir de retour que l'écho de notre propre voix (...)
C'est quand j'ai fait rater une vente à la contrebande, et après avoir été tabassée par les hommes de Fred qu'il m'a ramené à Paris pour travailler dans ce café... peut-être était-ce parce qu'il avait pitié de moi (encore une fois), ou alors étais-ce pour me faire subir pire encore.Eh bien oui, va pour la deuxième option... j'avais reconnu l'étendue de la corruption humaine, et mon indulgence a atteint le dernier degré du mépris. C'est à partir de là que j'avais commencé à tenir tête à Fred... à force d'avoir été opprimée, vous verrez que vos démons finiront par faire surface. Et plus je les laissais répandre ce feu, plus ma vie devint un enfer (...)
Je le sais, j'ai été l'architecte de ma propre perte, parce qu'au tout début, le choix m'appartenait Mais après ? Etais-ce destiné ou malchance ?