Les traits de son visage sont réguliers et fins. Un après midi , calme et doux, un instant poète. Allée du parc, la démarche souple, elle se dirige vers la buvette, le rendez vous des sportifs. Plus que cinq affiches à placarder, enfin elle va pouvoir profiter de son jour de congé.

A 12 ans, Mona n'aimait pas le rock, ni le hip hop, tout chez elle, était classique, romantique. Elle vivait en haut d'une tour, dans un appartement trop étroit pour danser, s'envoler. A l'heure des infos, il ne fallait pas parler, la consigne, ne pas déranger papa car attention à la claque. La vie à la maison était régentée par son père, du lever au coucher, un planning à respecter, boulot, apéro, tiercé, la douche, le dîner, la télé. Chaque activité avait ses horaires et chaque tache ménagère avait ses règles, pas de repas sans viande en sauce et son riz trop collant, et surtout ne pas oublier de mettre sur la table, son bol pour le lendemain matin.

France ennui, remaniement ministériel, le ministre de la santé est déjà fatigué, Mona va se réfugier dans sa chambre, et va retrouver sa fée qui fait des claquettes. Dans son carnet à fiction, tout ces grains de mots sont des enfants du soleil. Au fil du temps, sur le papier rosé, elle distribue les rôles, une reine, un roi, un polisson, un guignol. Du trait rouge baiser, à la tache noire chagrin, elle tourne les pages en chantant comme une diva.

Dans la cité, à 16 ans, il faut se battre pour exister, éviter les dealers, les pervers, les prêcheurs. Mona n'a pas sa langue dans sa poche, elle préfère les battles avec Dyub aux racines carrées du Lycée Diderot. Passage au sol, rotation sur une jambe, mouvements circulaires, les figures s'enchaînent, la souplesse et l'urgence, une séquence sensuelle puis un passage sauvage, elle connaît les tensions, les blessures, les souffrances, pas besoins de leçons. Elle tombe essoufflée, fin de la bataille, dépasser ses racines béton, elle renaît fille étoile, le poing levé, dans ses yeux la fierté de s'être libérée.

«Je suis B.Moon, Un Bep de restauration, pas le temps de la réflexion, action addition » slamme Mona avant la répétition.Troisième mouvement, soudain la douleur qui arrête net son enchaînement. En pleurs, elle maudit ses heures de ménage, ses heures de transport, ses horaires de services, putain de blessure au tendon d’Achille, due à la fatigue, au manque d'échauffement, au manque d'étirement.

Repos forcé, elle regarde ses potes s’entraîner sur la dalle du quartier, avant son rendez vous chez le kiné. Elle est stressée car il lui reste quinze jours pour bien récupérer, le 9 juin a lieu le HMS le Hip hop Mouv Show et elle est de la partie. Sa famille c'est Action B., le clan des boxeurs, coups de poing dans les rythmes, les rimes. B.Mouv, B.Moon, DyuB, les trois mousquetaires unis, la voix, la danse, la cadence. Passer de la salle de restauration à la salle de spectacle, pour Mona rien de difficile quand on est née dans un quartier dit sensible. Premier pas, mille pas, elle aime cette vie qui claque. Elle glisse sur le parquet, puis impulsion, sa « Moon pirouette » pour la fin. Bonne performance, mais encore de petites imperfections, elle doit encore travailler ses enchaînements, pour obtenir encore plus de fluidité. Le jury a délibéré, Action B monte sur le podium, arrivé second, émue Mona soulève le prix Vibration. Dédicace à son quartier surnommé 2BX ou Beatbox Beach.

Juin graffiti, vrai paradis. Rouge, noir, vert, JaxB dévoile l'affiche du prochain spectacle d'Action B. Le projet va enfin devenir réalité, scénario, chorographie, musique, parole, un travail d'équipe. Pas de rap à l'eau, du rap lame, du rap âme. La parole fleurit, quand le béton se fissure.Titre de cette comédie rap « Block Bizz Party ».

Dernier tableau, une nuit de pleine lune et des feuilles qui virevoltent, Mona le regard vers la-haut, lance le dernier couplet, et la salle découvre aussi une douce voix soprano, la diva hip hop est née. Sous les rayons roux, le parquet noir a des reflets or, oui sous le béton, le sable.