Quête de paillettes

Le chahut remplissait les couloirs. Les discussions des danseuses résonnaient contre les murs. Elles étaient toutes belles. Les tutus flottaient autour de ces corps légers, fins et gracieux. Les couleurs se dégradaient dans un camaïeu de bleu, rose, vert. Nous étions dans les loges. Un véritable capharnaüm de couleurs, de sons et d'odeurs. Les rires fusaient et entre chaque, les « chut ! » des grandes. L'excitation régnait dans cette salle. L'appréhension du spectacle nous tendaient. Dans la glace se croisaient des regards complices et malicieux de s'être pris à s'observer.
Et j'étais assise devant la glace. Abasourdie par cette atmosphère féerique, je m'observais, soucieuse. Mon allure n'avait rien d'extraordinaire. J'étais une petite fille de 8 ans. Rien ne retenait le regard. Rien de plus banale. Mes cheveux bruns étaient retenus dans un chignon que ma maman avait, à coups de brosse et de laque, plaqué contre mon crâne. Mes cheveux luisaient sous les couches de gel. Mes yeux bruns scrutaient la salle d'un air inquiet. Assise sur une chaise trop haute, je balançai mes jambes. Mon costume me démangeait. Les ailes en tulle me grattaient le dos. Un réel ange dans les yeux de mes parents mais à cet instant, dans mon regard, je ne voyais qu'une ignominie. Toutes ces filles étaient des cookies et moi je n'étais qu'un biscuit sec avec des raisins secs. Je n'étais pas des pépites de chocolats. Je me sentais comme cette pomme qu'on oubliait de manger et qui pourrissait dans le bol de fruit. Si ces filles étaient Cendrillon, alors j'étais la souris. Petite et insignifiante, je n'étais pas celle que l'on transformerait et que l'on poursuivrait pour une chaussure égarée. C'est vrai. J'ai déjà essayé de laisser une de mes ballerines à la kermesse pour voir si un garçon me la ramènerait. Et en effet, la chaussure me revint. Je l'ai pris en pleine tête. Mon grand frère me l'avait lancé en s'écriant « rattrape cendri-thon ». Il avait ri et moi j'avais pleuré. La chaussure avait tapé dans le coin de mon front. Je ne m'étais pas empêché de le rapporter à maman. Je l'aime tout de même bien mon grand frère.
« Silence dans les coulisses ! ». La voix grave et sévère de ma professeure résonna. Elle ressemblait à une vielle chouette. Elle se dressait droite, si élégamment. Elle semblait presque flotter. Sa démarche témoignait de longues années au conservatoire, de souffrance et d'entrainement laborieux. Elle ne regardait pas les gens. Elle les scrutait, les épiait. Même quand elle avait le dos tourné, elle savait que mon pied n'était pas tendu ou pire que j'avais tourné la tête à droite et non à gauche. Elle me terrifiait, surtout quand elle venait en cours avec une raie au milieu. C'était le signe du malheur. Cela nous informait qu'elle était de mauvaise humeur. Pas besoin de lire des tripes de pintade pour prédire que le cours serait un calvaire. Nous fûmes alors informés que le spectacle commençait.
L'anxiété monta d'un cran. Je fus prise de panique et tenta de me remémorer la chorégraphie. Malheur ! Tout se mélangeait. L'entrée se faisait-elle à droite, côté cour ou alors à gauche côté jardin ? Ou rentrait-on par l'arrière ? On rentrait sur le deuxième temps de la musique ou le troisième ? Ha si, je me souvenais ! Il fallait rentrer sur le boum que faisait les timbales. Mais après ? La peur me pétrifiait et soudain, je voulais disparaître six pieds sur terre. Au moins, je retrouverais mémé comme ça ! Je m'affolais. Que faire ? Les larmes montèrent peu à peu. Le mascara, mis en pâté sur mes cils, commença à chatouiller mes yeux. J'avais envie de courir. Loin d'ici. Très loin. Tout à coup, une main se posa sur mon épaule. Une voix douce et mielleuse me chuchota « et bah alors ma belle, on est toute patraque ? ». Ma réponse resta bloquée dans ma gorge devant cette belle créature aux cheveux blondx. J'étais estomaquée face à cette grande danseuse. Je bredouillais quelques paroles intelligibles mais rien ne sortait. « Ne t'en fais pas, ça arrive à tout le monde. Il suffit juste de se détendre et ma petite arme fatale est de...tu me laisses faire ? » s'exclama-t-elle. Ne comprenant pas, j'acquiesçais tout de même. Elle sortit de sa poche une petite boite. Elle ouvra le couvercle et tapota son doigt. Une fumée scintillante s'en échappa. Elle s'avança et d'un geste gracieux, elle glissa un doigt sur chacune de mes joues. Une trace de paillette apparut. « Il suffit d'une petite trace de paillette et la vie paraît comme une fête ! ». Elle tapota doucement mon épaule et elle s'en alla. Eberluée, j'observais avec intérêt mes joues dans la glace. Mes lèvres se courbèrent dans un léger sourire et mes joues scintillèrent. Mon sourire s'agrandit alors. Je restais alors là étonnée, un peu bêtement mais étrangement heureuse. Je me sentais belle. Une simple trace de paillette m'avait donné la confiance pour affirmer que j'étais radieuse. Un simple fard à paupière détenait la magie d'un sourire de bonheur. Pour certains, c'est une histoire sans importance. Mais pour la fille de 8 ans que j'étais cela signifiait tout. J'avais été baptisé par cette trace du grand et prestigieux ordre des danseuses. J'y avais été admise. Ce soir-là je dansa comme jamais je ne le fis. Des ailes avaient poussé dans mon dos et je m'élançais sur cette scène comme un cygne prend son envol. Le monde était à mes pieds. Et tout cela par une trace. Un trait de crayon, une empreinte de lièvre, de poussière ou de sang, une trace qui sitôt se dessine, s'efface. Dans son caractère éphémère réside toute la profondeur de sa beauté. Une marque passagère qui au fond passe, s'efface mais retrace. Le vestige d'une pluie d'étoile dans l'espace, d'un café renversé sur une terrasse, ce sont les petites choses qui font sourire. Dans une trace de paillette, se trouve les rêves d'une petite fille. Dans une trace peut se trouver tout un monde quand on la regarde avec les bons yeux.
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