Que la montagne est belle

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Nouvelles - Policier & Thriller

Il y a plusieurs années de cela, durant l'une de mes nombreuses soirées avec des potes étudiants, nous nous étions posé la question de la dangerosité des objets qui nous entouraient dans la piaule dans laquelle nous nous trouvions. Nous étions très rapidement arrivés à la conclusion que le plus petit élément de fabrication humaine pouvait servir à tuer. Avec un crayon, vous pouvez facilement crever un œil et même atteindre la cervelle. Vous pouvez entailler les chairs avec une toute petite feuille de papier. Vous pouvez éviscérer sans trop de difficulté avec une toute petite cuillère. Tout ce qu'un humain a créé peut servir à éliminer un autre humain.

Durant les années qui ont suivi, les remous dans mon esprit de cette petite soirée ont continué à me hanter. Vous comprenez ? Non, j'imagine que non. Comment pourrait-il en être autrement ? Je m'explique. Il se trouve que j'ai quelque part au fin fond de ma mémoire un événement tragique à faire payer à une personne. Alors, j'ai fait comme beaucoup. J'ai pratiqué le déni. J'ai essayé de vivre normalement et en toute fin, j'ai envisagé toutes les façons d'éliminer ce type. J'ai théorisé cet acte, des centaines, des milliers, peut-être même des millions de fois.
Le flingue ? Les armes blanches ? Non, c'est dégueulasse. Il faut se salir, ça éclabousse, ça fout du sang partout. Après ça, il faut passer des heures à nettoyer, sans garantie que les flics ne trouveront rien. Les poisons ? La chimie ? Non plus. Ces éléments-là ne résistent pas longtemps à un examen de police scientifique.
Avec les années, je pense avoir enfin trouvé, incontestablement, le meilleur moyen. Celui qui m'implique le moins et me permet de jouir à loisir de l'agonie du vieux porc. Je n'ai en vérité besoin d'aucun élément extérieur. La solution consiste à exploiter les faiblesses humaines et la force de la nature. Ma connaissance pointue de l'adversaire ainsi que mon intelligence sociale devraient toutes deux me permettre de parvenir à mes fins.

Ainsi, j'en suis arrivé à proposer une petite virée à la montagne, pour fêter dignement ses soixante-quinze ans, ça me semblait bien. Comme il est désormais veuf, qu'il est du genre joyeux et encore bien vert et qu'en plus, j'ai laissé entendre qu'il y aurait sans doute des amies, je savais qu'il ne pourrait pas refuser.
J'ai loué pour deux jours un petit chalet en bois au bord d'un lac. On annonçait pour la nuit des températures proches des -15°. Tout s'annonçait donc à la perfection pour mon petit projet.
Nous sommes arrivés en fin d'après-midi, sous un beau soleil couchant et touchant la cime des montagnes. J'ai de suite allumé un grand feu dans la cheminée. Pour le faire patienter jusqu'à l'arrivée des poulettes – ce sont ses propres mots –, nous avons picolé, du whisky essentiellement. Il adore ça, le vieux.
Une fois à quatre grammes, il a fait ce qu'il fait toujours. Il a commencé à se foutre à poil. Il a juste gardé son slip, une horreur blanche en coton avec la poche pour sortir le zob. Un pur et vrai truc de vieux, ce slip.
Vers 22 heures, la nature et la gravitation ont réalisé ce que j'attendais. Il a eu envie de pisser. « Tonton, tu devrais aller pisser dehors. » « Ah ouais ! T'sais quoi toa ! T'es un bon gars toa ! Bourp. S'cuse. Je suis bourré. T'as raison mon n'veu. Je vais aller pisser dehors et contempler les zés, les zés. Bordel. Les zétoiles. »
Il prit la direction de la porte, s'adaptant au roulis du bateau ivre sur lequel il se trouvait. Il parvint à l'ouvrir et à foncer dehors. Je l'entendis hurler « c'qui fait chaud bordel ! » avant de s'étaler de tout son long dans la neige. Il ne bougea plus. De ma chaise, je l'entendais ronfler.
J'avais prévu de l'accompagner sur les bords du lac et de le pousser dedans. Le fait qu'il soit presque à poil constituait un plus indéniable. J'avais prévu d'autres éléments, comme de l'asperger avec de l'eau. Je n'ai pas eu besoin de faire quoi que ce soit. Il ne bougea plus du trou neigeux dans lequel il s'était fourré.
Je me contentai de fermer la porte et d'aller me coucher. Il fut découvert au petit matin par un promeneur. Les flics vinrent me réveiller. Je leur servis ma version. « On était finement bourrés, je me suis endormi. Il a dû sortir pisser. Je n'ai rien entendu. » Un médecin constata le décès pour hypothermie.

Je pus rentrer chez moi et reprendre ma vie, débarrassé d'un sale type qui aima un peu trop le gamin de trois ans que j'étais jadis. Parfois, je repense à tout ça et je regrette. À aucun moment il n'a appelé au secours. À aucun moment il n'a appelé au secours...

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