Quand la vie nous surprend

Toute histoire commence un jour, quelque part. Ainsi diront les autres mais moi, je dirai que l’histoire a commencé par un jour qui a duré l’éternité pour moi. La continuité de ma vie ne dépendait d’ailleurs que de cela. Née un jour, vivre toujours. Comment saurai-je que je me mettrai debout en ce lieu où j’ai été autrefois méprisée ?
Il est facile de dire qu’il faut se surpasser. Ce qu’ils ne disent pas, c’est comment le faire quand on a un handicap qui nous condamne presque partout. Je suis quand même une jeune fille bourrée de rêves et qui aime bouffer des truffes le soir en cachette dans sa chambre. Mes parents changent de peau chaque jour, tantôt me disant que c’est de ma faute s’ils n’ont jamais voulu avoir un autre enfant par peur de ne pas pouvoir s’occuper de moi tantôt me rejetant car l’enfant qu’ils auraient eu après moi pourrait être un autre cerceau de malheur, tantôt encore, me parlant de doux mots renchéris. Je pleure chaque matin d’ailleurs à la vue de mon corps qui est loin d’être celui de rêve, en regardant mon visage qui ressemblait à tous ces autres – pareil, vilain et renvoyant une pitié involontaire. Que de fois ai-je songé à ce que je serais si je n’étais pas celle dans l’image que me renvoie mon reflet sur un petit bout de miroir brisé avec rage et tristesse. Mélancolie me poursuivant, j’essuyai mes larmes, me persuadant que les minutes viendront où je réaliserai mes plus intimes souhaits.
Je suis Menthe-truffée, mon pseudo venant de ma boisson préférée : un petit punch tropical à base de menthe et du jus de melon d’eau que j’ai inventé et la truffe comme vous le savez, mon péché mignon. Il fait jour dans ma vie quand j’ai décidé de suivre les pas d’un athlète de haut niveau au 400 mètres haies. Bien sûr, cela représente un gros travail surtout que je ne veux pas participer aux jeux pour ceux ayant une déficience ou une maladie. Moi, je veux participer avec les grands, aux jeux égaux pour faire de mon parcours un exemple pour d’autres. Malgré le fait que je sois trisomique avec un peu de malvoyance à l’œil gauche, je ne voudrais pas qu’on me reconnaisse comme étant celle atteinte du syndrome de down – moi je suis UP, je dois viser toujours plus haut et être toujours plus forte tel que dira le père Fouras. Mon club d’athlétisme est d’un délice caramélisé, mon entraîneur, Big Paul, m’a accueilli comme je l’avais si peu été ailleurs. Il m’a parlé avec une tendresse paternelle toujours recherchée chez ce père dont la biologie a failli et d’une chaleur maternelle que ma matrice a défaite. Mes amis m’encourageaient à chaque instant, me donnant des leçons de morales lassantes par moment mais chères à mon cœur. Commencèrent mes entraînement qui fussent durs, je vous en décris la peine – les 400 mètres dont je rêvais devaient commencer par une endurance à épuiser tous les souliers. Puis s’ensuivaient les petits parcours de sprint avec un peu d’insultes mielleuses de Big Paul, ému en me voyant m’améliorer dans mes forces et dans mes faiblesses. Bien que mes entraînements s’enchaînèrent, je fus malade pendant trois mois, d’une infection de l’ovaire. Cet épisode me rendit plus vulnérable encore et j’appris qu’il fallait enlever l’ovaire gauche. J’annonçai la nouvelle à mon amour Jacob que je voyais depuis deux ans déjà. Il est venu avec moi chez le gynécologue et tous deux avons versé tant de larmes en apprenant que je ne pourrai enfanter suite à cette infection qui causait des complications. De retour à la maison, je regardai mon ventre cicatrisé par les points de suture de l’opération.
- Tenir un bébé entre ses mains est magique. Cela m’aurait ravi d’en donner naissance à un, deux, même quatre !
- Chérie, tu sais bien que ce ne sera pas possible, il faudra l’accepter le plus tôt possible... nous en adopterons bien d’autres dont les destins sont rétrécis par le manque d’affection.
Je tâtai mon ventre comme pour rassurer l’enfant qui ne naîtrait jamais en mon sein. Déjà, on se moquait de notre couple – l’un avec une jambe bionique et l’autre atteinte de trisomique 21 – une bande de vaut à rien. En tout cas, Big Paul nous avait encouragés à fonder une petite famille. Jacob avait repris son entreprenariat en faisant une deuxième serre pour la plantation de légumes bio.
Dès lors, je me vis sous une autre lumière encore, non mélancolique, plutôt optimiste. Je devrai reprendre mon entraînement avec plus de ferveur et de détermination que jamais. Les jeux d’hiver s’approchaient. C’était la première fois que j’assistais à ces jeux, en direct. L’excitation était de mise avec les spectateurs au stade, ces gens pleins d’énergie et de cris et... de BRUIT ! Les coureurs sprintaient comme sur des roulettes, ce qui me faisait hausser les épaules en admiration devant de tels exploits et de tels chronos. J’observai ces jambes qui passaient les haies, ne s’arrêtant devant aucune par crainte. Fonçant telle une gazelle dans un lieu sûr, la championne court vers la ligne d’arrivée dépassant toutes les autres. Elle franchit cette ligne avec une grâce et la voilà qui détient encore une fois le record. La championne en titre sourit devant les caméras et les journalistes qui accourent vers elle. Je m’imagine moi aussi être à sa place un jour. Cette scène de gloire joua dès ce jour maintes fois dans mes pensées les plus préoccupées. Je devrai attendre encore quatre ans pour goûter à un moment pareil.
Deux ans plus tard, je participai à ma première saison d’athlétisme. Quand Big Paul alla m’inscrire pour les courses, tous les regards étaient rivés sur nous. Méprisants et réticents, les membres du comité d’athlétisme ne voulaient à aucun prix que je sois mise à côté des coureurs élites. Ils ne voulaient pas perdre la chance de gagner les jeux et les points avec une athlète de mon calibre faible. Big Paul débattait ses propos malgré le refus des membres. Après un débat plus qu’acharné, il réussit à leur convaincre afin que je participe à cette course. S’ils en étaient satisfaits, je pourrai rester au cas contraire, j’arrêterai l’athlétisme pour de bon. Marché conclu, je vins une semaine plus tard sur la piste. Sur le bloc, j’essayais tant bien que mal de garder mon sang froid et de me rappeler la dureté de mes efforts. Je franchis la ligne d’arrivée comme une flèche, avec à mes côtés Elvire en première position , Amélie en deuxième position et moi en troisième position. Je sautai de joie telle une enfant devant les membres du comité qui étaient bouche-bée car j’avais devancé les autres filles qui avaient depuis le début fait des minimas. J’étais maintenant en liste pour les Jeux des îles. Mes amis du club étaient venus me féliciter, me disant que j’avais bien fait de ne pas rechigner. Il me fallait maintenant plus d’entraînement. Acharnement et régularité ne manquaient pas dans mon quotidien. Mes parents quant à eux ne disaient rien et m’avaient livrés aux attentions de Big Paul.
Le 17 juillet, c’est mon jour de prédilection. Un jour que j’attends depuis des années. Je n’ai pas parlé à big paul depuis hier. On ne le fait jamais avant les compétitions car il nous laisse le libre choix de courir notre meilleure course ou notre pire. Il n’est pas de ces hommes qui viennent seulement pour encourager. On est là sur le champ de bataille.
- Le combat, avait-il dit, est individuel. Tu vas courir pour toi et pour ton pays pas pour moi ni pour tes camarades. Cours comme tu sais si bien le faire.
Je fais mes lacets sous des regards et des fous rires qui raisonnent près de moi. Je suis un sujet de moquerie de par mon apparence. Ces filles qui sont mes adversaires, me voient comme une paille qu’elles vont dissiper sur la piste.
Une fois l’appel fait, je me rue vers mon couloir et fais une petite prière pour que je puisse bien tenir le coup de ces 400 mètres haies. Sur le bloc de départ, mes pieds tremblent. « N’aies surtout pas peur résonne une petite voix dans ma tête. Fonce ! ». Le départ est donné et je cours comme je n’ai jamais couru, sans m’arrêter devant ces haies. Je sprint avant les derniers 150 mètres et je me vois à terre les autres courant devant moi. C’est le choc mais je me relève et je sprint comme une bolide enragée. Je réussis à dépasser les autres et je me retrouve en deuxième position derrière la malgache Rinavoina. Quelle course ! Il ne manquait déjà qu’une médaille pour que l’équipe mauricienne ait la coupe des îles et j’ai réussi à maintenir la course ! Les yeux tournés vers les gradins, je scrute ceux qui célèbrent notre victoire pour chercher Big Paul. Il est là, me regardant d’un air fier et souriant malgré sa main gauche qui essuie ses larmes de joie.
J’étais la star du jour. Les journalistes me regardaient, émerveillés devant mon exploit qui paraissait impossible. Les lumières flashaient sur moi. J’ai fondu en larmes quand ils m’ont demandé où étaient mes parents et ce que j’avais à dire d’eux. Une main de posa sur moi :
- Je suis fier de toi ma fille.
Cela faisait quatre ans que je voulais entendre ces mots de Big Paul. Ce fut un moment imcomparable, resté gravé dans ma mémoire. Pendant la remise des médailles, on joua l’hymne national de mon pays d’abord comme pour récompenser mes efforts et mes luttes. C’était l’or que je voulais avoir malgré la médaille d’argent car cette lutte était un pas, une ouverture pour tous ceux qui viendraient après moi. On me présenta d'ailleur un trophée car je fus récompensée d'emblée pour avoir défié les lois de la nature et des mèdecins. la trisomie 21 n'est pas une maladie. On vit avec et nous avons aussi des sentiments et des buts. Telle fut l’infini en un instant. Jacob vint aussi me soutenir en me prenant dans ses bras. Encore une surprise à venir, Jacob glissa une bague dans mon doigt en signe de son amour et de son engagement futur. Maintenant que j’avais réalisé mon premier objectif, nous allions nous engager pour la vie. Il ne me retint pas et m’encourageait tous les jours pour mes prochaines compétitions. Nous ne pourrions avoir d’enfant mais je ne me lasserai d’aider les autres comme moi pour qu’ils puissent réaliser leurs rêves et leurs désirs.
Si je suis aujourd’hui un exemple pour de nombreux internautes et des spectateurs qui me regardent dans le monde entier, c’est grâce à un être suprême qui a envoyé un ange à mes côtés pour me relever à chaque fois que je trébuchais. Décrocher la médaille d’or est ma nouvelle obsession, un défi à relever pour les Jeux du Commonwealth. Le maître-mot c’est la persévérance, aller contre-courant pour pouvoir réussir car sans l’effort, nul n’est rien.
Je lui en remercie encore aujourd’hui, celui qui est assis dans son fauteuil en rotin, buvant une tasse de thé chaude sucrée, me regardant témoigner devant son petit écran, une larme défilant le long de sa joue si bien ridée par les mots et les sourires d’un guerrier protecteur.
Il y a 366 jours en un an mais un seul jour suffit pour nous rappeler qu’il y a quelque part quelqu’un qui a changé sa vie, qu’il y a quelqu’un qu’on appelle soi, cet être duquel nous ne nous séparons pas, sur lequel nous veillons comme une prunelle endiablée qui persiste à surprendre la vie avant qu’elle ne le surprenne. Telle est la surprise de chacun d’entre nous, un talent qui est notre espoir indompté et notre persistance forcenée...
Toute histoire commence un jour, quelque part, pour en finir d’ailleurs avec la meilleure part.