« Je ne peux pas raconter d'où je viens. J'ai tout oublié. »
Non. En vérité, j'ai rien oublié. J'ai juste appris à faire semblant. À sourire quand tout s'écroulait.mMon père est mort brusquement. Comme ça. Sans prévenir. J'avais douze ans.C'était pas juste mon père. C'était mon meilleur ami. Celui avec qui je sortais tout le temps, avec qui je rigolais, celui qui me regardait comme si j'étais le trésor du monde. Et d'un coup... plus rien.Le choc, je m'en souviens encore. Comme un coup de tonnerre en plein jour. Je comprenais pas. Je parlais plus. Mon corps était là, mais moi, j'étais ailleurs.Ma mère s'est tenue debout. Elle était là, présente, mais je voyais bien dans ses yeux qu'elle tenait à peine. Et peu après, le cancer est arrivé. Le sein. Elle ne disait pas grand-chose, mais je la voyais trembler. Les crises d'angoisse. La fatigue dans ses gestes. Et pourtant, elle avançait, pour nous.Moi, j'étais au milieu. Trop petite pour comprendre tout. Trop grande pour ne rien ressentir. J'étais une enfant avec un deuil dans le cœur, et personne pour en parler. J'ai pas crié. J'ai pas pleuré longtemps. J'ai juste... disparu à l'intérieur.À l'école, je faisais semblant d'être normale. Mais la vérité, c'est que j'étais vide. Abandonnée. J'avais l'impression que le monde avait continué sans moi.Alors j'ai dit : "j'ai tout oublié". Parce que c'était plus simple que de dire : "j'ai trop mal".Mais la mémoire, elle revient en morceaux. Une rue. Une odeur. Une chanson. Et d'un coup, je le revois. Son rire. Sa voix. Sa main sur mon épaule.Je viens de là. D'un amour perdu trop tôt. D'un silence qu'on m'a laissé comme héritage.Aujourd'hui encore, je parle peu de ça. Je pose des mots comme on pose des fleurs sur une tombe. Avec douceur. Avec douleur.Je ne peux pas raconter d'où je viens, non pas parce que j'ai tout oublié...
Mais parce que je le porte encore. Chaque jour. Et qu'il vit, là, quelque part en moi.