Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux. La porte s’ouvrit bruyamment presque par un coup pied, et je sursautai, je sortais d’un sommeil paisible. Que m’avaient-ils fait ? J’étais allongé sur un petit matelas neuf, couvert d’un drap poussiéreux. La chambrette était à première vue une petite cellule, mais emménagée. Une fenêtre battait sous le vent ; des voix se mélangeaient dehors, parmi elles, celles des jeunes adolescents, des sympathiques ; les discussions paraissaient normales. L’homme au visage ridé, un quarantenaire qui sentait un étrange parfum, s’approcha auprès de moi tenant un petit plateau en bambous de raphia. Je m’étais assis pour l’accueillir. Il était habillé simplement, disons un tee-shirt pantalon et des bottes. Il portait un chapelet sur le cou ; sur sa joue droite paraissait une grosse entaille marquée au couteau j’imagine. Il me tendit le plateau, puis, se précipita de sortir, le rouleau de clefs pendu à son index bruissant fort. Courageusement, je lui demandai promptement _ s’il vous plait monsieur, où suis-je ? Il s’arrêta sous le battant, comme s’il voulut à tout prix partir, il mit un pied dehors et revint. Il poussa légèrement la porte et se tint près d’elle. « Tu es au QG des opérations des défenseurs de la révolution islamique mon petit ». Il me le dit sans gène, froidement et sincèrement comme s’il eut à me le dire forcément. Il parlait français ! Quel enchantement ! J’avais complètement oublié ce qu’il venait de me dire, et pour faire semblant de le savoir, puisque je voulais qu’il me dise d’autres informations, je lui demandai _ c’est-à-dire quoi monsieur ? Il s’approcha de deux pas : « écoute-moi petit, tu feras mieux de manger, ce sera la dernière fois que tu le feras en toute tranquillité. Ici, on est des guerriers, tu comprends ça ? ». Je fis la mimique, mais je n’y compris rien. La voie raffinée et fiévreuse _ je suis chez les terroristes, lui demandais-je ? Toujours inflexible : « si tu veux, oui ». Le frisson serra mes membres. Mon cerveau jeta une boule, la tremblote m’épargna néanmoins. Il se tourna pour partir, alors je lui demandai exclusivement _ qu’allez-vous faire de moi ? Sans me regarder et en me claquant presque la porte au nez : « tu ne tarderas pas à le savoir. Bon appétit ». La porte fut scellée.
J’étais chez les terroristes ? La petite angoisse, la folle agitation ! J’avais déposé le petit plateau encrassé par terre grelottant de panique assis-là en train de me rendre compte de l’insécurité dans laquelle j’étais. Les battants s’affaissaient sur les deux côtés violemment en créant un bruit constant comme s’ils me parlaient ! Je me souvins alors qu’ils existaient et je me précipitai vers le bruit. La lugubre fenêtre barrée aux fers de douze, n’était pas du côté de la porte mais en face d’elle ; elle était haute relativement à ma taille ; il me fallait faire des acrobaties si je voulais entrevoir l’extérieur qui n’était pas moins qu’une conquête impérialiste pour moi. En peu de temps seulement l’air glacé de Masdoc, ses odeurs répugnantes, ses ambiances folles, ses comiques citoyens me manquaient déjà, je sentais la liberté fuir loin de moi, et même si la mort fit quatre pas en arrière à cet instant, je n’avais pas oublié que j’allais en tout fait mourir. Rien dans la chambrette ne m’aurait permis d’atteindre la lucarne, il fallait bien que je me démène. Je rampai sur le mur et je parvins.