Psychedelia

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Monsieur Li resta stoïque quand je lui expliquai mes vacances de rêve ; il semblait avoir l'habitude des exigences excentriques des gars comme moi, les fondus du bulbe en quête d'absolu.
— Oui, nous pouvons vous envoyer sur une île psychédélique, peuplée de gens pacifiques et d'artistes, loin du matérialisme occidental.
— J'en veux pour trois jours, à fond la caisse, du lourd.
— Vous l'aurez. Vous êtes en bonne santé et encore assez jeune pour supporter le voyage.
— Je signe.

Madame Fu, son associée, me dirigea vers la pièce du fond, à l'endroit dédié aux voyageurs de l'extrême. Je revêtis la combinaison adéquate, m'allongeai sur la couchette et absorbai le liquide orange prévu pour me détendre avant le grand bond.

Mon réveil fut progressif ; je ressentis une atmosphère de calme, un peu de vent et une odeur de fleurs coupées. Une jeune femme noire à la coupe Afro me prit la main et m'invita à me lever.
— Je m'appelle Angel.
— Moi c'est Donald.
— Viens avec moi Donald, nous allons déjeuner.
— Où sommes-nous ?
— Dans le jardin mythique.
Angel posa délicatement sa bouche sur ma joue et ce geste m'apaisa.

Sans savoir comment, je me retrouvai au milieu de gens parés de tuniques multicolores, assis à même le sol pour certains, attablés pour d'autres. Nous étions entourés d'arbres fruitiers, dans une sorte de champ infini sans bâtiment ni mur. Angel choisit une table ronde occupée par un couple en train de déguster des plats inconnus.
— Donald, je te présente Liv et Sven. Ils sont en vacances, comme toi.
J'appris que les deux vacanciers venaient de Malmö, en Suède, et qu'ils étaient arrivés la veille pour un séjour de deux semaines. Angel s'arrangea pour couper court à chacune de mes questions quand elles avaient trait à notre passé ; c'était la règle pendant cette période et personne n'y dérogeait. Liv et Sven l'avaient bien intégrée aussi je m'inclinai devant la majorité.

Tandis qu'Angel m'expliquait chacun des mets proposés, je ne pouvais m'empêcher de fixer Liv ; Sven s'en aperçut et décida de me taquiner un peu.
— Je crois que Donald craque pour Liv, lança-t-il à la cantonade.
Angel et Liv rirent de bon cœur ; je me sentis ridicule et rougis comme un adolescent.
— Donald n'est pas habitué, précisa Angel. Il ne sait pas qu'ici l'amour est libre et que s'il veut courtiser Liv, il le peut sans briser un tabou.
Liv me sourit. Jamais de ma vie je n'avais rencontré une aussi belle femme ; elle représentait la perfection nordique et je la désirais ardemment. Sven était également superbe. Angel aussi. Je me dis que Monsieur Li m'avait gâté dans le choix de la destination.

Liv me prit la main et la passa sur sa joue puis elle me caressa délicatement les cheveux.
— Maintenant que Donald est décontracté et qu'il sait que je veux de lui, nous pouvons entamer le déjeuner et discuter de la soirée qui nous attend, dit-elle.
— Quel genre de musique aimes-tu, Donald ?
La question d'Angel me détourna des pensées érotiques engendrées par la promesse d'une nuit torride avec Liv et me força à recentrer mes neurones sur la partie réfléchie de mon cortex cérébral.
— Aérienne, psychédélique, à l'instar des groupes californiens des années soixante, ceux qu'écoutaient nos ancêtres sur le campus de Berkeley, répondis-je.
— Tu vas être servi, dit Sven. Ce soir, ici même, a lieu un concert de ce genre.
— En plein air ? demandai-je.
Ma remarque déclencha une joyeuse salve de rires ; Angel vit à ma tête qu'il était nécessaire de m'affranchir du comique de la situation.
— Dans le jardin mythique, il n'y a aucune limite, barrière, bordure ou enceinte. Nous vivons en extérieur car il ne pleut jamais et que tout le monde est pacifique.
— Tu me décris le Paradis, répliquai-je.
— Mieux, rétorqua Liv. Mangeons, buvons, dansons, chantons et faisons l'amour ; ainsi tu sauras pourquoi nous n'avons rien à envier au monde des anges.

Je n'eus aucun mal à respecter le programme ainsi énoncé par la sculpturale Suédoise. La nourriture était exquise, les breuvages coloraient ma vision et l'ambiance générale incitait à la bonne humeur. Sans que je m'en aperçoive, nous étions rejoints par d'autres vacanciers et discutions joyeusement de concepts abstraits. Je notai à cette occasion que la beauté plastique semblait être la norme en ces lieux et que la population déclinait la perfection de Liv et Sven en noir, jaune, brun, roux, blond, petit ou grand. À aucun moment, je ne me demandais si mon propre physique soutenait la comparaison avec celui de mes interlocuteurs ; je m'en foutais royalement parce que ce n'était pas le sujet.
La journée se déroula sur le même mode festif ; certains dansaient sur une mélodie imaginaire, bercés par le vent et charmés par les parfums fleuris, tandis que d'autres ingurgitaient des fruits exotiques. Pour ma part, je débattais en toute liberté des notions de temps et d'espace avec de parfaits inconnus, sans me soucier de mon image ou d'un quelconque marqueur social. Liv discutait de la conscience collective avec un groupe assis sur l'herbe ; quant à Sven et Angel, ils avaient disparu dans le flot des arrivants et je ne me préoccupais pas de leur absence.
Le concert clôtura le premier jour de ces vacances idylliques. Nous avions mangé, bu, dansé, chanté et il ne restait plus qu'à faire l'amour.

J'ouvris un œil et madame Fu m'apparut. Elle me sembla subitement bien désirable dans sa combinaison en plastique et ce malgré ses grosses lunettes et son stéthoscope.
— Buvez le liquide blanc placé sur votre droite, m'ordonna-t-elle. Il va vous aider à revenir à notre réalité et à résorber les derniers effets hallucinogènes de votre traitement lysergique.
Je compris alors que mes trois jours étaient consommés et que les vacances avaient pris fin. J'ingurgitai la boisson plâtrée, d'un coup sec, en regrettant déjà Liv, Angel et Sven. Je savais désormais que la prochaine fois, je prendrai le forfait de quatre semaines psychédéliques.

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