Promesse

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— Ton sacrifice ne sera pas vain.
Sarmomille arracha une patte de l'araignée et la plongea dans la marmite fumante.
— Courage, plus que sept.
La seconde patte entre les doigts, elle marqua un temps.
— Sept ou cinq ? Satané mémoire.
De sa main libre, elle trifouilla une pile de parchemins miteux à la recherche de sa recette. Elle en était à écarter ceux sur les maléfices lorsqu'on frappa à sa porte. C'était un événement suffisamment rare pour faire sursauter Sarmomille au point qu'elle en lâcha son ingrédient. L'araignée ne se fit pas prier et clopina aussi sec sous la commode. Hubert, le chat de la sorcière, lui, ronflait toujours.
— J'espère que vous avez le séant bien ferme, hurla la sorcière, car il va vous en cuire.
Elle ouvrit le panneau de bois qui obstruait l'entrée de sa cabane et se retrouva face à une gamine pas plus haute que deux seaux.
— Foutre diable. Tu me veux quoi fillette ?
Le visage juvénile qui se tenait devant elle était en proie à une terreur bien justifiée. Pourtant, mue par une mystérieuse motivation, la visiteuse trouva le cran d'adresser la parole à Sarmomille.
— Bonjour, madame. Je suis Pectine et l'on m'envoie vous quérir.
— Ça, je l'avais deviné. Accouche, j'ai une potion sur le feu et une bestiole à choper.
— Le bourgmestre demande si vous auriez l'amiba.. amalib...
— Amabilité ! Tiens donc, ce cul-terreux a besoin de la vieille Sarmomille. Et bien, va lui dire qu'il peut se la mettre sous le fer d'un cheval, mon amabilité. On ne me condamne pas au bûcher pour me demander une faveur la semaine qui suit !
La vieille tourna les talons et d'un claquement de doigts ordonna à la porte de se fermer. Mais, au lieu du claquement sonore et familier, elle ne perçut qu'un juron étouffé. Pectine avait avancé le pied dans l'encadrement empêchant la porte de se rabattre complètement.
— Je... je ne peux pas. La promesse du bourgmestre... uniquement si vous venez..., renifla la jeune fille.
Nous y voilà. Jacquard avait eu le culot de soudoyer la gamine plutôt que de venir lui-même.
— Non d'un crapaud, voilà une petiote bien hardie. Sais-tu que personne n'a jamais osé poser un talon chez moi ?
Pectine contempla son pied et constata que celui-ci outrepassait d'un bon vingt centimètres les limites du raisonnable. Un bête réflexe. Elle resta figée là, devant la sorcière la plus redoutée du royaume, partagée entre son envie de fuir et celle d'accomplir sa modeste tâche. La sorcière lâcha un soupir. Elle tira la porte libérant le pied meurtri et, avec une grimace qui en disait long, invita Pectine à s'asseoir sur son lit pouilleux. Celle-ci s'exécuta sans résistance songeant que si elle ne finissait pas dans le chaudron, elle aurait une sacrée histoire à raconter.
— Voyons ce pied, continua Sarmomille. Déjà qu'on m'accuse de tous les maux, je ne voudrais pas qu'on ajoute celui de bourreau d'enfants. En attendant, dis-moi ce qu'il veut le Jacquard et ce qu'il t'a promis pour venir jusqu'ici.
— Et votre potion ? 
— Fichue, les pattes se sont fait la malle.
Tandis que la sorcière appliquait une pommade d'un noir peu engageant sur sa cheville, Pectine susurra son texte appris par cœur.
— Madame Sarmomille, le bourgmestre demande si vous auriez l'amiba... la gentillesse de venir au village afin de régenter un problème de dragon. Et il a dit que j'aurais un chien si...
— Ouais, ouais. Pigé. Un dragon ? Rien que ça ? Pas très original. Et il vous fait quoi le lézard ?
— Il brûle les récoltes et mange nos poules. 
Pectine sentit son pied chauffer agréablement.
— Un dragon, ça carbonise et ça bouffe. C'est dans leur nature, j'y peux rien. Bonjour chez toi et désolé pour ton clébard.
— Mais on ne va pas passer l'hiver. S'il vous plait, je veux voir le printemps, moi.
Se relevant, la sorcière rendit à la gamine sa sandale. D'un côté, aider le village redorerait son blason qui, avouons-le, n'avait jamais été bien rutilant. De l'autre, depuis qu'elle s'était installée ici, sous le vieux rouvre, jamais il ne s'était passé une quinzaine sans qu'elle ne soit pointée du doigt au moindre problème. Un nouveau bouc émissaire n'était pas pour lui déplaire.
— Écoute Titine, je vais y réfléchir. En attendant, tu vas retourner chez toi. Si on te cuisine, tu réponds que tu ne m'as pas vu, compris ?
— Mais, et mon chien ?
— Compris ? insista Sarmomille.
Pectine opina du chef. Elle préférait renoncer à son dû que de se mettre la sorcière à dos. Elle partit donc, non sans avoir gratifié Hubert, le greffier qui émergeait de sa sieste, d'une caresse entre les deux oreilles. La porte enfin close, la sorcière se laissa choir sur son lit.
 
— Bon, dit-elle, cette histoire de dragon sent mauvais si tu veux mon avis, Hubert. Déjà, il fout quoi là-bas ? S'il est descendu dans la vallée, c'est qu'il y a été forcé. Rien que ça, ça va être pour ma pomme. Ils vont dire que c'est moi qui l'ai attiré ici. Non, je crois tout compte fait qu'ils vont se débrouiller sans moi. Ça me fera des vacances.
Hubert vint se frotter à ses bas filés, poussant un miaulement réprobateur.
— Et Pectine, siffla-t-il, tu vas la laisser se faire rôtir ?
— Pas mon problème !
— Que tu crois ! Tu ne l'aurais pas, comme qui dirait, un peu soignée ?
— Par le Malin ! Doctrine numéro cent-deux du code des sorcières. Quiconque tu soigneras sera sous ta protection tant que la lune durera. Si je tenais l'andouille qui a pondu ces codes.
— Heu... toi ?
— Oh, ça va, le poilu. C'était le bazar à l'époque, fallait mettre de l'ordre. On se tirait toutes dans les pattes quand ça ne finissait pas au fond d'un étang. Alors oui, j'ai agi. Mais...
— Recentre-toi Sarmomille. Sur l'heure, le problème, c'est le dragon. Comment tu comptes lui régler son compte ? Une malédiction ?
Sarmomille balaya la proposition d'un geste de la main.
— Et puis quoi encore ? Y'en a déjà quasiment plus, je ne vais pas réduire leur population sous prétexte qu'il trucide quelques volailles. Et puis, je ne suis pas inquiète. Un dragon, c'est plus stupide qu'une barrique. Allons déjà sur place voir un peu le désastre.
 
Ayant pris du poids avec l'âge, la vieille sorcière avait opté pour la fourche plutôt que le balai. Son manche certes moins souple offrait l'avantage d'être plus robuste et confortable. Hubert monta sur les piques et en un souffle de vent, ils atterrirent sur le parvis de l'église. Il fallait être miraud pour ignorer le reptile de trois mètres qui déambulait entre les maisons fumantes, crachant sur ce qui n'était pas encore noirci.
— Un bébé, remarqua Sarmomille. Seul aussi longtemps, ça ne peut vouloir dire qu'une chose, sa mère est morte. Encore l'exploit d'un de ces maudits chevaliers, peste soit ces bien-pensants.
— Ça explique les poules, poursuivit Hubert. Mais pourquoi tout cramer ?
— Il n'a pas reçu d'éducation. C'est comme ça quand on laisse un gamin trainer dans les rues. Mais tout n'est pas perdu. Où est Pectine ?
Le bourgmestre qui s'était réfugié avec les autres villageois dans le lieu saint, espérant s'attirer les bonnes grâces de son Seigneur et accessoirement sa protection, passa une tête dans l'entrebâillement de la lourde porte ouvragée. 
— Sarmomille, souffla-t-il, Dieu merci, vous êtes venue.
— Pas pour toi, gredin, occupe-toi de tes oignons. Elle est où la gamine ?
Pectine montra sa frimousse, elle tenait une laisse dont l'extrémité trainait à terre. Sarmomille émit un grognement.
— Je suis de bonne humeur finalement, dit-elle. Alors je fais faire d'une pierre deux coups. Avance petite.
Sarmomille dégaina sa baguette et d'un geste étrangement gracieux lança autour du cou du dragon une laisse enchantée dont elle fixa l'extrémité à celle de la jeune fille.
— Voilà, dit-elle, aussi docile qu'un agneau. Ce n'est pas un chien, mais il fera l'affaire. Prends-en soin. Quant à vous Jacquard, vous vous en sortez bien. Une promesse de moins à tenir.
 
Pectine fût ravie, le bourgmestre un peu moins, considérant qu'un dragon domestique dans son village ne valait guère mieux qu'une sorcière dans ses marais.

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Image de Promesse
Illustration : Mathilde Ernst