Prochain arrêt

« Ça a duré une bonne minute. Une vraie minute. Une éternité. » Comme si le temps était curieux de savoir tout ce que je m'apprêtais à faire, au point de se mettre en pause. Je t'ai regardé, tes yeux cherchaient autre chose. J'ai murmuré quelque chose mais le vacarme autour ne voulait pas que tu l'entendes. J'ai tendu une main, voilà enfin ton regard. Trop tard. Le train m'a emporté. Adieu, Hélène.
 
***
 
L'enterrement s'est déroulé tard la nuit. C'était vite fait et sans larmes. Après tout, c'était juste l'enterrement de tout ce qu'on aurait pu être, de la vie qu'on aurait pu avoir. Je voulais que tu saches Hélène, durant ces soixante secondes d'adieu, le temps m'a donné assez de temps pour penser à un tas de choses, à toi, à moi, à nous. Et tu sais quoi ? J'avais envie de mourir avant toi. Parce que je n'aurais pas supporté être celui qui te pleure, qui te perd. Je n'aurais pas supporté de me réveiller un matin et faire un petit déjeuner pour deux, par habitude, pour finalement tout jeter. J'ai trop peur de l'après toi, c'est trop incertain. Alors qu'en mourant, je sais déjà que je vais devenir le plat favori des vers. Aucune surprise, aucune improvisation à faire.
 
Et si après ma mort, tu avais souhaité me rejoindre, je serais venu te chercher à la gare du néant. Je t'aurais appris à ne pas rire quand les vers te chatouillent le cœur ou quand les derniers gaz de ton corps s'échappent avec un pet. On aurait laissé à nos enfants la tâche d'aller de l'avant. Même si pour ça, il aurait fallu en avoir.
 
D'ailleurs, j'aurais voulu en avoir deux, un garçon et une fille. Même si je sais qu'avant de les créer, tu m'aurais d'abord imposé le mariage parce que ta religion l'aurait voulu. Et je t'aurais répondu que si Dieu était amour, ceux qui font l'amour pratiquent la vraie religion. Et j'aurais caressé ton corps, Hélène, religieusement. Même si pour ça, il aurait fallu qu'on s'aime et que pour s'aimer, il aurait fallu se connaitre et que pour se connaître, il aurait fallu que je t'invite à prendre un café et que pour ce faire, il aurait fallu que je descende du train à cet instant là pour t'aborder.
 
Le temps avait ralenti exprès pour voir ce que je ferais, il a dû être déçu. Alors ce soir, j'enterre la vie qu'on aurait pu avoir et toutes les illusions que je me suis faite pendant une minute. J'ignore si une personne occupe déjà ta vie, je ne sais pas si quelqu'un t'a déjà dit qu'il voulait mourir avant toi, je ne suis même pas sûr que tu te nommes Hélène et je sais qu'on ne se reverra jamais mais pendant une minute, une vraie minute, une éternité, je t'ai aimé pour toute une vie. 
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