Premiers et derniers mots

Toute histoire commence un jour, quelque part ; et la mienne a débuté dans mon lycée.

Selon toi, papa, j'étais étrange et eux aussi me l'ont bien fait savoir.
Je n'étais pas le bienvenu dans ce lycée.

Lorsque Maman et toi me déposaient devant l'établissement, j'avais cette boule au ventre qui me donnait un arrière goût amer. j'avais peur, papa. Peur d'entrer dans ce lycée, peur de me retrouver face à ces inconnus qui me jugeaient sans même me connaître, qui me pointaient du doigt, qui chuchotaient des choses blessantes dès que j'avais le dos tourné.

Mais le pire, c'est que, du haut de mes dix-sept ans, des garçons du même âge que moi me frappaient, me battaient, me harcelaient tous les jours. j'étais devenu l'attraction, le spectacle quotidien de tous ces lycéens avant les cours et après les cours.
Mes moments de répis, c'étaient pendant les cours mais je ne pouvais pas les suivre papa. Parce que j'avais mal.

Mal car j'avais constamment des bleus au ventre, au visage, sur les côtés et des fois même entre les jambes.

J'avais droit à leurs poings violents, douloureux, blessants.

J'avais droit à un surnom: Princesse Brûlée.
Ils osaient qualifier mon teint de brûlé !

Tu sais papa, quand je revenais les soirs de l'école, une échappe autour du cou pour cacher les blessures, et que tu me demandais si j'allais bien, je te répondais que oui.
Mais non. Non parce que ton cher fils, se faisait harcelé au lycée.

La raison de ce harcèlement c'est le fait que je sois Noir et aux dernières nouvelles, un efféminé. Oui, efféminé, moi Christian.

Pour eux, je suis Noir comme une imperfection.
Noir comme les ténèbres ;
Noir comme un défaut ;
Noir comme leur cœur.

Pourquoi disaient-ils que j'étais efféminé ?
Parce que je suis un homme qui a des préférences, des goûts et des couleurs qui sont stéréotypés féminin, qui n'a pas les mêmes goûts qu'eux et ni comme toi d'ailleurs.

Mais ça, je n'allais jamais te le dire parce que tu partageais leur avis.
J'avais droit à tes sermons, à tes insultes. Tu me jugeais papa, pendant que maman fermait les yeux face à cela. Tu disais que j'étais étrange, que je n'agissais pas comme un "homme viril".
Mais dis moi comment est ce qu'un homme viril doit se comporter ?

Tu voulais d'un fils qui aille à la pêche avec toi, d'un fils qui adorerait les matchs de football comme toi, d'un fils qui te raconterait ses prouesses auprès des filles.
Mais tu as eu droit à un fils qui aime plutôt la lecture, le calme, se laisser distraire par les nuages et la beauté des fleurs. Tout ton contraire. Tout leur contraire.

Tu sais, quand j'osais me regarder dans la glace, je ne voyais pas de quoi ils parlaient. Je voyais un homme Noir.
Noir comme une bénédiction.
Noir comme une qualité.
Noir comme une pureté.
Noir comme Blanc.

Je ne vois pas cet effeminé, cette Princesse Brûlée.
Je vois Christian Vassi.
Je vois un homme qu'on juge bien trop vite.
Je vois un homme à qui ils ont collé une étiquette.
Je vois une société qui a préétabli des règles, des stéréotypes comme quoi les garçons aiment le bleu, le rouge, le football, l'alcool, avoir une avalanche de filles à ses pieds. Ou que les filles sont sensibles, fleur bleues, aiment le rose et les paillettes.

Qui a dit que le rose était la couleur préférée des filles ?
Qui a dit que la violence ou la grossièreté étaient censés montrer la virilité de l'homme ?

J'aime les couleurs pastel et parfois même le rose. J'aime les livres romantiques. Je n'aime pas le sport, je ne suis pas grossier et aligner des filles dans mon lit ne m'intéresse pas.

Cela ne veut pas dire que je ne suis pas un "vrai homme", papa !
Qu'est-ce qu'un "vrai homme" ?

Les goûts et les couleurs ne nous définissent pas, papa.

Je crois que si tu avais pris beaucoup plus de temps à m'écouter qu'à me juger, à me sourire qu'à me montrer que je te decevais, tu m'aurais connu. Et j'aurais eu moins de blessures, moins de bleus. J'aurais eu l'envie de vivre et de passer du temps avec toi.

Savoir que les personnes que vous aimez ne vous soutiennent pas, eh bien cela tue à petit feu. Cela me fait encore plus souffrir que toute autre chose.

Et parce que je t'aurais déçu encore plus, je n'ai jamais voulu te dire que j'étais victime d'harcèlement et de racisme.
Je n'ai pas eu le courage de te dire que mes poings et mes cris ne pouvaient rien faire pour les en empêcher ; que mon corps a perdu de sa forme au fil du temps et qu'il était devenu un portrait de blessures qui mettent du temps à cicatriser, de bosses et de douleurs cinglantes; que même manger est un supplice car j'ai des plaies dans la bouche.

Je n'ai pas osé te le dire papa.
Parce que j'avais besoin de toi et tu n'étais pas là.
Parce que tu avais le même regard qu'eux, ce regard qui juge. Ce regard qui tue.
Oui, je suis mort papa, parce que tu n'as pas su voir en moi ce que les autres ne voyaient pas.

Alors papa, dis à maman que je l'aime malgré son impassibilité et que son sourire réconfortant m'a aidé à résister plus longtemps.

Je t'aime aussi malgré tout.
Je vous aime.

Mais j'ai mal car dorénavant, vous parlerez de moi...au passé.

Christian, ton unique fils.