Premier rencard

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Histoires Jeunesse - 11-14 Ans (Cycle 4) Collections thématiques
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— Tu me promets que c'est seulement une histoire de quelques minutes ?
— Mais oui, je t'assure. Le temps de dire « coucou » et ensuite nous irons au cinéma. Nous avons le temps, la séance est à seize heures.
 
***
 
Ce matin, j'étais encore triomphant après avoir convaincu ma mère de ne pas me chaperonner pour ce premier rendez-vous. Ce n'est pas tous les jours qu'un lycéen comme moi, qui attend toujours la fin de sa poussée de croissance, a la chance de fréquenter une fille aussi superbe et drôle. Je ne dois pas tout gâcher. 
 
Craignant de recevoir quelques commentaires sur mon physique ingrat, j'ai réussi à esquiver les parents de Lisa en l'attendant au bout de sa rue. Subjugué par son arrivée, j'en ai oublié mon malaise, mais à peine dix mètres plus loin, elle m'annonçait vouloir rendre visite à sa vieille tante, Salomé. Elle a le sentiment de la laisser décrépir depuis la mort de son mari. 
 
N'ayant d'autre choix que de faire bonne figure, je l'ai suivie, espérant que nous ne resterions pas trop longtemps. Après tout, je peux bien me faire violence pour compenser les nombreux charmes de Lisa qui, par miracle, a posé les yeux sur moi. J'espère au moins atteindre les deux semaines de relation avant qu'elle ne réalise l'absurdité de la situation.
 
***
 
Dans l'ascenseur pour monter chez sa tante, Lisa se blottit contre moi. L'odeur habituelle de macaron qui se dégage de ses cheveux me chatouille les narines, m'aidant à oublier un court instant l'inquiétude qui me serre l'estomac.
 
Nous arrivons au dernier étage, et je constate qu'un long corridor aux tons mauves conduit à une unique porte de taille démesurée.
Derrière l'imposante entrée, j'entends un pas traînant et lourd. Mon agitation redouble alors que je tente de la garder sous contrôle. Comme une impression que le son menaçant appartient à une créature gigantesque. 
— Ma Lisa ! Comme je suis contente de te voir ! Entrez donc, je vous en prie, je viens de préparer du thé.
Le bruit inquiétant laisse soudain place à une frêle mamie aux pommettes rosées qui nous ouvre avec un grand sourire. Déconcerté, je n'ai pas le temps de réagir que la tante s'empare déjà de mon manteau avec une vivacité incroyable pour son âge, ce qui m'égare un peu plus. 
 
Installé sur un sofa démodé, j'ai l'impression d'être scruté comme un gigot.
Peureux et souhaitant fuir les papotages, je traîne mon regard d'une étagère à l'autre, toutes surchargées de babioles. Au milieu des guides touristiques, je repère des souvenirs exotiques accompagnés de nombreuses photos. Cette Salomé semble avoir fait le tour du monde. 
Tandis que je prends machinalement quelques gorgées du thé tenu entre mes mains, mon regard s'attarde sur un cliché en noir et blanc. Je pense reconnaître les traits de la vieille tante qui doit avoir tout juste la vingtaine. Debout sur un paquebot dans une ambiance festive, elle est accompagnée d'une autre femme au visage dissimulé par un chapeau typique du style des années 20 du siècle dernier.
 
— Il est vraiment très jeune, dis-moi !
Cette phrase me ramène soudain à la réalité et je découvre deux paires d'yeux rivées sur moi. Je me crispe. J'ai la sensation que le regard urticant de la tante détaille l'acné bien installée sur ma peau et le duvet toujours naissant au-dessus de ma bouche. J'envisage de répondre mais crains d'être ridiculisé par ma voix qui s'enroue facilement sous la pression. J'ai envie de me recroqueviller comme une chenille dans sa chrysalide.
Lisa pose sa main sur mon genou, probablement dans le but de me rassurer, mais ce contact génère un inconfort immédiat. Une masse bourdonnante assomme mes pensées, j'ai besoin de me rafraîchir.
— Les toilettes, s'il vous plaît ?
 
***
 
Je ressors des sanitaires, toujours engourdi et gêné par un goût pâteux sur la langue. C'est la première fois que du thé m'étourdit, je me sentirai mieux une fois au cinéma.
Je remarque alors que je n'ai pas la moindre idée du chemin pour revenir. Toutes les portes se ressemblent, et je suis persuadé que certaines ont changé de place depuis mon passage. Je tends l'oreille pour repérer d'éventuelles voix, mais l'appartement est totalement silencieux. Ce constat alourdit encore mon estomac. Suis-je en train de perdre la tête ?
 
Je tente une pièce au hasard et me retrouve dans une chambre kitch aux tons pastel baignant dans une odeur familière. Je suis sur le point de rebrousser chemin quand je découvre une nouvelle photo ressemblant à la première que je décide d'examiner de plus près cette fois. Ma gorge se serre.
 
La femme à côté de Salomé n'est autre que Lisa. C'est impossible ! Mais la ressemblance est trop frappante. Je réalise alors que les arômes qui m'enveloppent sont les mêmes que ceux de sa chevelure.
 
Elle a vécu ici ? Emporté par les interrogations, je retourne la photo et en inspecte le verso : « Lisa et moi sur le Mauretania, 4 mai 1926. »
 
— Tu n'aurais pas dû entrer ici.
 
Salomé et Lisa apparaissent à l'entrée de la chambre. Je les dévisage et recule. Leurs figures se veulent rassurantes, mais trahissent une fausseté malfaisante qui nourrit ma panique.
 
— Qu'est-ce que... Comment peux-tu ? Cette photo ?
 
Je tente de garder les pieds sur terre en parlant, mais ma tête tourne de plus en plus. Lisa approche, mais sa tante l'arrête d'une main sur l'épaule avec un froid rictus.
 
— Ne t'en fais pas. Avec la dose d'élixir qu'il a bu, il devrait bientôt s'endormir. Ce n'est qu'une question de secondes... Je continue de me dire que tu l'as choisi bien jeune.
— Toi qui ne supportais plus d'avoir des traits aussi flétris, tu pourras goûter de nouveau à une jeunesse toute fraîche.
— Qu'est-ce que... Vous... Êtes ?
 
Elles me sourient et Lisa répond :
— Juste de jeunes et jolies sorcières qui souhaitent le rester éternellement. Maintenant, cesse de lutter et file t'allonger comme un bon petit garçon. Nous allons commencer le rituel.
 
Dans un élan combatif, je tente une charge pour m'enfuir, mais suis neutralisé par Lisa d'un simple toucher. Les vertiges se font encore plus intenses, jusqu'à ce que je ne puisse plus tenir debout. Avec des gestes coordonnés et méthodiques, elles m'allongent sur le lit et je n'entends plus que cette phrase qui résonne jusqu'au noir total :
— N'empêche qu'il est vraiment très jeune.

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Image de Premier rencard
Illustration : Mathilde Ernst