Pour lui plaire

A peine libéré de mon sommeil de plomb après une nuit en fanfare, je savais que la journée allait être rude. Les deux guignols avec qui j'avais fait la fête la veille m'avaient traîné dans un pub un peu glauque pour soi-disant me sortir de ma petite vie routinière. Ils avaient prétendu que jamais je ne rencontrerai l'âme sœur ainsi cloîtré chez moi tous les vendredis soirs, scotché devant la télé. Je les avais donc suivis et j'étais rentré totalement imbibé. Mes fringues puaient la sueur et je m'étais couché tout habillé comme lorsque j'étais étudiant, à ceci près que je n'avais plus vingt ans.

Trois cafés plus tard, le téléphone agressait mes tympans.
— Allô, Laurent ?
— Oui, vous êtes ?
— Laure. Tu te souviens ? On s'est rencontrés hier soir et tu m'as proposé de passer te rejoindre pour l'inscription. Je peux être place de la Nation dans trente minutes si tu peux.
— Heu... Je ne pourrais pas y être avant au moins... deux heures. Ça irait ?
— OK, donc il est midi quinze. On se dit au café de la Place à 14h30 ? Et je t'apporte le papier à signer pour toi et tes potes.

Bon, alors là, je coince. Qui est cette fille et de quoi s'agit-il ? Je me souviens vaguement avoir discuté avec du monde hier soir mais c'est un peu flou. Il faut absolument que je joigne JP pour qu'il m'explique.
— Allo, JP ?
— Salut le mollusque. Alors ça y est, t'as émergé ?
— Ecoute, j'ai réussi à gagner deux heures pour un rendez-vous avec une certaine « Laure » mais je ne sais pas qui c'est !
— Tu ne te souviens pas ? Elle est pourtant très mignonne, ça va te revenir !
— Il me semble avoir discuté avec trois ou quatre filles hier mais je n'ai pas retenu ni les visages, ni les prénoms.
—T'inquiète, t'as choisi la plus jolie et elle a l'air d'une belle personne. Elle bosse pour une asso caritative pour des enfants qui ont des maladies pas possibles...
— Ah ? Merci mais ça ne me dit pas pourquoi elle veut nous faire signer des papiers... On lui a promis une adhésion ?
— En fait on s'est fait piéger...
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— On a bien sympathisé avec elle et ses copines hier soir et du coup on s'est portés volontaires tous les trois pour dimanche prochain ? Ça ne te rappelle vraiment rien ?
— Absolument rien du tout... Qu'est-ce que vous m'avez fait promettre les mecs ? Pas de blague hein ?
— Rien de grave, tu nous connais ! Dimanche prochain on doit la rejoindre en Province pour un concours et il faudrait qu'on gagne car on s'est engagés à reverser les mille cinq cents euros de récompense à son asso !
— Ha ouais ? Bon, si c'est pour une bonne cause, je vous félicite les mecs, ça part d'un bon sentiment. Et puis on n'avait rien de spécial à faire dimanche prochain je présume ? Mais vous savez que je ne suis pas un grand sportif...
— Ho t'inquiète, l'épreuve n'est pas compliquée et pas besoin d'être balaise. On a tous nos chances ! Le but est de participer et de bien vouloir leur faire don du prix si on gagne ; c'est pour cela qu'il faut qu'on s'inscrive tous les trois... pour multiplier les chances...
— Dans ce cas, on devrait peut-être rameuter d'autres potes pour nous aider ? Vous avez demandé à Jo et Momo ?
— C'est-à-dire que... On pouvait pas leur demander de s'inscrire, ils auraient refusé.
— Comment tu peux dire une chose pareille, ils sont cools ces mecs. Ils sont toujours open pour donner un coup de mains.
— Nan, mais... Heu... Ils peuvent pas le week-end prochain... Fête religieuse oblige...

J'avais maintenant une heure devant moi pour me saper et filer à mon rencart. JP m'avait envoyé deux photos de la soirée de la veille pour que je reconnaisse la donzelle. Elle avait effectivement l'air agréable et des images refaisaient surface peu à peu.

— Salut.
— Salut. En forme depuis hier soir ?
— Heu, un peu au radar mais ça va. Et toi ?
— Ho, moi ça va toujours. Il faut bien. Chaque fois que j'ai un petit souci, je pense aux gamins de mon association qui peuvent mourir à chaque seconde et j'arrête de me plaindre !
— Tu as raison. On ne devrait pas se lamenter pour tout et rien, c'est très français.
— Oui, je te l'accorde et j'avoue avoir été très impressionnée par les discussions avec tes amis hier soir. Vous êtes vraiment trop sympas de vous investir dans ce concours, comme ça, alors qu'on se connaît à peine.
— Hô, tu sais, le sport pour une bonne cause... JP, Flo et moi n'avons jamais été de très grands sportifs mais si ça peut aider...
— C'est bien ce que je disais, c'est hyper sympa. Tiens, voilà les formulaires. T'as juste à les remplir avec ton nom et ceux de tes potes pour que je vous enregistre. C'est totalement bénévole et volontaire, donc un simple grigri pour vous trois sur ce formulaire suffira. Pas de souci pour être à Mortagne dimanche prochain à 10h00 ? Et l'un d'entre vous gagnera, hein ? Vous me l'avez promis ! me lança-t-elle avec son magnifique sourire.
— Si JP s'est engagé pour nous trois hier soir, c'est qu'il n'y a aucun problème... Tiens, voilà, c'est rempli.
— Attends, je te donne le reçu qui sert de billet d'entrée pour dimanche.

Je quittai cette belle personne le sourire aux lèvres. Sa bienveillance et son empathie la faisaient rayonner. Elle était irrésistible et je comprenais bien pourquoi JP nous avait poussés tous les trois à jouer les bons Samaritains. J'étais fermement décidé à lui plaire. Elle était si adorable. J'étais sous le charme... Totalement résolu à faire de mon mieux dans ce concours pour tenter de la séduire.

Un peu étourdi par cet aimable rendez-vous mais gai comme un pinson, je rentrais au bercail, fier de ma bonne action. En sortant le billet de ma poche pour le mettre en évidence sur le buffet, je lus : A MORTAGNE – DIMANCHE 18 MARS - CONCOURS DU PLUS GROS MANGEUR DE BOUDIN.