Pour les yeux de Louise

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Je suis amoureux.
Elle s'appelle Louise.
Elle a de grands yeux bruns avec des petits points d'or, une frange de cheveux blonds, des joues rondes, un beau sourire. Mais le sourire n'est pas pour moi. Elle le réserve à la maîtresse qui la fait toujours asseoir au premier rang. Louise est bonne élève, elle sait ses tables de multiplication, elle lève toujours le doigt la première pour donner les bonnes réponses. Une enfant comme ça, c'est le rêve des parents. Les miens l'adoreraient.

Et moi aussi je l'adore, Louise.

Le problème, c'est qu'elle ne fait pas attention à moi. Elle ne me VOIT pas. En classe, passons, je peux comprendre. Elle est concentrée. Et je suis assis loin derrière. Pourquoi se retournerait-elle pour me regarder au risque de se faire punir ? La maîtresse ne plaisante pas avec la discipline. « Une de la vieille école » comme disent mes parents quand ils croient que je n'écoute pas.

À la récréation, j'ai tenté des travaux d'approche (une expression de mon père), genre envoyer le ballon rouler jusqu'à ses pieds ou la bousculer – doucement ! – en ayant l'air de ne pas la voir. Et au dernier moment : « Excuse-moi, je ne l'ai pas fait exprès » et je lui offre un Carambar. Mais elle secoue la tête, elle n'aime pas les Carambars. Ni les garçons comme moi. Elle ne prend même pas la peine de dire un mot. Elle me tourne le dos et continue de bavarder avec ses copines.

Le seul point positif, c'est qu'elle se comporte de la même façon avec tous les garçons. Posté dans un coin de la cour, je la surveille. Elle a rembarré Thomas. Elle a tourné la tête quand Damien a fait mine de lui parler. Et même Timothée, elle l'ignore complètement.

Je me suis confié à Julie, notre baby-sitter. En cachette de Noémie, ma petite sœur, qui répète tout aux parents.
Que faire ?
Julie ne se moque jamais de nous. Elle écoute et essaie toujours de trouver des solutions à nos problèmes. Par exemple, quand Noémie avait oublié ses baskets à l'école, Julie a courageusement sonné pour demander au concierge de nous laisser entrer pour récupérer les chaussures. Et aussi, quand j'ai cassé le beau vase du salon, Julie s'est dénoncée à ma place pour éviter de me faire gronder.
Mais là, évidemment, c'est beaucoup plus grave.
— Une vraie histoire d'amour ! C'est la première fois que ça t'arrive ? me demande Julie.
Elle veut savoir si mon cœur bat très vite et très fort dès que je vois Louise ou même si le seul fait de penser à elle me rend « raide dingue ».
— Tu vois ce que je veux dire ? Tu es prêt à tout pour elle ?
— Oui, oui, c'est exactement ça !
Julie sait tout de la vie...

Il faut trouver une solution pour attirer l'attention de Louise, pour qu'on se parle. Selon Julie, c'est la meilleure façon de savoir si ça « colle » entre nous.
— Bon, procédons avec ordre et méthode, ordonne Julie. C'est quand son anniversaire ? Renseigne-toi !

Louise aura huit ans le 14 février.
— Génial, s'exclame Julie, le 14 février, date idéale ! Devant mon air ébahi, elle rugit de rire.
— Enfin quoi, tu ne sais pas ce qu'on fête le 14 février grand nigaud ? Noémie qui écoute toujours tout ce qu'on dit, dresse l'oreille et propose :
— La Chandeleur ? C'est le jour des crêpes ?
— Meuuh non enfin, c'est la Saint Valentin, la fête des amoureux.
— Ah, oui, intervient Noémie. Maman dit souvent que Paul est amoureux d'elle. Et moi de Papa... Mais c'est pas en vrai.
On ne l'a pas sifflée celle-là, de quoi se mêle-t-elle ? Julie s'interpose pour éviter la bagarre. Puis elle me prend à part en chuchotant :
— Tu vas faire un cadeau à Louise, pour son anniversaire et la Saint Valentin.

Elle balaie vite fait mes protestations sur le thème : pas de sous, pas d'idées, j'ai peur...
Et elle me donne deux jours pour trouver une idée O-RI-GI-NA-LE.

Le lendemain, suivant à la lettre les consignes de Julie, j'observe tous les faits et gestes de Louise. Comment elle est habillée (bien, elle est belle, tout lui va) ; comment elle est coiffée (bien, elle a de beaux cheveux tenus par un serre-tête) ; ce qu'elle mange (des pommes), à quoi elle joue (euh... à la récré, elle passe son temps à papoter avec ses amies, Marion et Myriam, arrivée cette année de Martinique).
Mon compte rendu désespère Julie : rien à en tirer pour une idée de cadeau ! Le lendemain, pareil. J'essaie aussi d'obtenir des informations de Myriam, qui est beaucoup plus abordable et qui rit tout le temps. En vain. Elle me raconte son île ensoleillée, les plages, les bananiers. Les goûts de Louise ne l'intéressent pas.

Julie trouve vraiment que je ne suis pas très doué. Elle s'impatiente et décide de choisir à ma place. De toute façon, c'est elle qui achète le cadeau. Comme ça, j'aurai, moi aussi, la surprise.

C'est un tout petit paquet, tout mignon dans son papier doré et ses flots de bolduc (le ruban à cadeaux). Je l'ai caché dans mon cartable. Le 14, un lundi, je me poste près du portail d'entrée. Toute la classe défile. Sauf Louise.

À la récré, je me précipite sur Myriam pour avoir des nouvelles.
— Comment, tu ne sais pas ? Ses parents ont trouvé du travail ailleurs. Ils ont déménagé ce week-end, à Paris je crois.
Les larmes me montent aux yeux si vite que je ne peux pas les cacher. Myriam ne se moque pas de moi. Doucement, elle me prend la main et colle un bisou tout doux sur mes joues dégoulinantes.
— Tu as du chagrin. J'avais bien vu que tu étais amoureux d'elle, me chuchote-t-elle gentiment. Avec le temps, ça va passer. C'est toujours comme ça, ne t'inquiète pas. C'est arrivé à ma grande sœur. Elle a un autre copain maintenant.
Elle hésite, trifouille dans la poche de son jean et en sort un petit truc jaune et rouge tout tordu qu'elle m'offre avec un grand sourire.
— Tu veux un Carambar ?

Aux récrés suivantes, Myriam m'a raconté les Antilles pour me faire oublier Louise.

Et le plus drôle, c'est que ça a marché.
Un jour, je lui ai offert le petit paquet doré. Le bolduc avait pas mal souffert du séjour dans mon cartable mais le cadeau était magnifique : un bracelet de perles multicolores, symbole de notre amitié... Et peut-être... ?

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Image de Pour les yeux de Louise
Illustration : Clémence Itssaga

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