Portrait des jeunes filles en feu

Regarde les lumières danser au loin, au-dessus de la mer noire et de la côte de Saint-Malo. On entend d’ici les marins qui chantent et les femmes qui mentent. Les verres et la bière agitent les bateaux qui attendent patiemment endormis sur le lit du port. Regarde d’un peu plus près, vois-tu cette fille-là, qui descend le long des rues la robe remontée au-dessus du genoux et le corset défait. Elle court, elle dévale les pentes de la ville qui tangue. Pour une jeune fille de la rue on la prend et les marins la hèle. Entends-tu comme on l’agrippe, on la siffle et la regarde, comme on la veut, avec des yeux d’hommes trop âgés pour cette enfant ? « Ma mignonne », « ma cochonne », et puis on l’appelle avec des noms qu’elle ne sait qu’à peine prononcer. Vois-tu ces grossiers marins, qui après des mois sur l’écume et les vagues, en oublient leurs manières. Vois-tu comme ils sont gras ? Ils se déplacent en banc, comme les poissons qu’ils pêchent, ils vont bientôt se faire prendre dans des filets plus solide que les leurs.

Pauvre enfant qui court les rues, que cherche-t-elle à s’essouffler ainsi ? Où vas-tu jeune rousse aux chevilles trop fragile pour porter le nom de femme ? Ne remarques-tu pas que les hommes te chassent ? Cours plus vite, ils arrivent, lui cris-tu.

Elle ne t’entend pas, le vent qui la porte souffle trop fort.

Elle tourne dans une ruelle bouchée. Ses cheveux s’emmêlent. Elle déchire le bas de sa robe et grimpe. Le mur est haut, les hommes s’arrêtent. Elle les observe, perchée au sommet du mur de pierre. La mer grince des dents, les hommes écoutent leur navires se plaindre de l’eau salée. Ils ne bougent pas. La jeune fille est là, plus haute, plus grande, elle chante. Ô infortunés marins, vous auriez dû courir vous aussi. Tant de malheur pour une enfant qui vous fuit. Gardez vos mains accrochées au bois du bateau, ne les faites pas trainées le soir, sur les sœurs d’une terre ferme que vous avez oublié. Nés éduqués, vous vous êtes égarés à trop naviguer entre le pouvoir et la gloire de mener la barque. Ici, tout a changé. La mer docile que vous domptez avec vos voiles et vos ancrages ne se laisse pas battre sur la terre rousse. La mère est fière, et comme ses filles, à qui elle a tout enseigné. Comment vaincre, comment courir, comment mentir, comment sauter, comment tricher, comment duper les malheureux ivrognes qui descendent de leur navire sans même nous saluer. Et vous avez croisé le chemin de la plus jeune, miséreux matelots, de la plus fougueuse. La dangereuse rousse ne s’égare pas par hasard, elle ne court les jambes nues que pour mieux vous prendre, elle ne chante que pour mener en bateau les matelots cruels, les hommes qui importune et qui ne sont pas bonne fortune pour les sœurs de ce pays. Les sirènes ont envahis la terre, et délaissé à la mer, les marins solitaire. La fille de feu vous avez voulu enlacer, mais se laisser attendrir elle ne se fait pas. Ah marins d’eau douce, votre soif de bière fraiche s’est amarrée au mauvais port.

L’enfant les toise. Sens-tu l’odeur sourde des chaines qui commencent à noircir ? Et le chêne des navires ? Les écoutes-tu appeler leurs marins ? Leur dire de rentrer au port ou eux aussi vont brûler. Mais les pêcheurs sont soûl et les hommes ne savent pas s’arrêter. Ils ne savent pas écouter non plus. Ils ne savent pas qu’ils ont bu et que les femmes non. Ils ne savent pas que depuis qu’ils ont pris le large, les filles de Saint-Malo n’attendent plus leur retour.

La gamine des rues se balance. Les hommes attendent qu’elle tombe dans leur bras tendus. Sur un pied puis sur l’autre. Elle lâche son châle au vent. Ses mèches de feu embrasent la ville et illuminent le visage strié des mousses isolés. La brise, habile, venant de l’océan, envahit la cité et le sang de tous les buveurs se glace. La ruelle se referme, ils ont mordu à l’hameçon. On commence à crier, à s’agiter dans les allées des pubs bondés. Ils se sont fait prendre, peut-on entendre les autres marins hurler. Malheur à eux. On tente de les retrouver. Mais la nuit est froide et la bière est bonne. Certains prient déjà : que leur âmes retournent à ces mers – mères – qu’ils n’aurait jamais dû quitter. Enfin, les femmes de tout le pays, sourient. Puis, l’enfant saute et la brume se lève.

On parle sur la côte de Saint-Malo et dans les terres de Bretagne d’une mélodie, qui accompagne toujours les marins quand ils mettent pied à terre. Cet air, entouré de brume et de chaleur, les empêchent de dormir, les empêchent de boire, les empêchent d’embrasser sans demander. Et si par malheur, par insouciance ou inconscience, ils viennent à poser leur lèvres salées sur une enfant, une femme ou une bière, sur une peau ferme qui n’a rien voulu, sur une gorge qui n’était pas tendue, on dit que la brume se lève, que les marins prient, que les femmes sourient et que, bientôt, la côte se met à brûler.

Alors, regarde les lumières danser au loin, au-dessus de la mer noire et de la côte de Saint-Malo. On entend d’ici les marins qui chantent et les femmes qui mentent. Elles n’ont jamais aussi bien menti qu’en ces jours de feu de joies, où les hommes brûlent et les jeunes filles brossent leur cheveux roux.