Nouvelles
5 min
Université de Stellenbosch
Porte du non retour
Suis-je dans le noir ou ai-je les yeux fermés ? Peut-être les deux.
Yeux fermés.
Oeil ouvert.
Besoin d'oxygène, cerveau en feu.
L'ombre lui apparut dans son sommeil. Elle sentit près d'elle une masse, d'abord informe, qui se mit ensuite à prendre forme. Alors qu'elle était couchée et pensante, dans son état comateux, une voix résonnait aux creux de ses tympans.
« Je t'aime Cairy. Entend-moi, même dans le labyrinthe profond où tu as construit ta nouvelle vie sans mo ».
Cairy reconnut le son de cette voix qui lui semblait si familière. Elle bougea du doigt et cligna des paupières. C’est la première fois depuis des années qu'elle était couchée sur ce lit d'hôpital, seule et inerte, qu’elle manifestait un signe. Tout ce qui la maintenait en vie était une sonde alimentaire et un conduit d'air oxygéné, disposés juste au-dessus de sa cavité nasale. L'ombre devait rapidement agir et retourner le plus vite possible auprès de son propriétaire. Elle tendit une main à Cairy. Mais attirée aussitôt par un courant d’air, l’ombre se fit de plus en plus distante, en murmurant avec empressement des mots que sa voix lui retournait en échos.
Cairy je t'aime.
Je t'aime, n'oublie pas.
Jusqu'à mon dernier souffle, je t'attendrai.
Les bras tendus vers cette ombre, elle n'eut la force de prononcer qu'un seul mot : « Papa! ».
Un mot qui la tira de ce coma dont elle était prisonnière depuis près de 8 ans maintenant.
De l'autre côté, dans le couloir abritant la chambre où elle a été admise, une équipe de médecins urgentistes se pressait de conduire aux urgences un géant monsieur à qui on donnerait à peu près 90 kilo de poids. Elancé, et de nationalité française, il avait été diagnostiqué quelques jours plus tôt d'un mystérieux mal dont la maîtrise échappait vraiment à tout contrôle.
L'ombre observait ce corps immobile allongé sur le brancard qui roulait à grande vitesse.
Était-il conscient de ce qui se passait ?
Pas évident en tous cas. Autrement, il ne se poserait pas la question de savoir s'il avait les yeux fermés ou était-il dans le noir alors qu'ils sont bel et bien fermés et qu'il est inconscient.
Brayane serait bientôt à sa phase terminale si rien n'est fait. Les urgences sont saturées et il y a pénurie de masque d'oxygène. Asthmatique, Brayane est donc plus exposé. Déjà, ses poumons ne tenaient plus le coup il lui fallait de toute urgence un masque.
Que faire ?
Les médecins sont à bout.
Plus qu'un miracle à espérer.
Les portes des urgences se fermaient devant Ariane, la mère de Cairy et l’épouse de Brayane. Deux grosses gouttes de larmes perlaient ses joues. De son beau visage au teint noir café et aux traits fins, il ne restait plus qu'une pauvre infirmière abasourdie. Elle s'écroula sur le banc d'attente puis se releva, fit un pas en avant, un autre en arrière. Bref, une succession de vas-et-viens. Elle était terrifiée, rien qu'à l'idée de penser que Brayane pouvait passer de l'autre côté de la vie.
Seule consolation du moment, des souvenirs de sa petite famille – autrefois unis – qui lui traversaient l'esprit. Elle tressaillit de douleur au plus profond de son être; douleur d'une mère, douleur d'une épouse frappée par les coups du sort.
Pourquoi, Seigneur ?
Pourquoi ?, hurla-t-elle intérieurement.
Pourquoi moi?
N'est-ce pas suffisant de me priver de ma fille? Et maintenant, mon mari est en train de mourir à petit feu. Que veux-tu faire de moi sur cette terre infernale ?
Elle se souvint de la parole que lui répétait toujours sa grande mère : « l'espoir fait vivre ».
Alors elle se ressaisit à nouveau. De ses larmes de tristesse elle en fit des larmes de joie. De chacune de ses peurs, elle fit une boule de motivation. De chacun de ses doutes, un motif de guerre. Guerre contre le désespoir, guerre contre toute pensée négative. Elle savait désormais que la vie de sa famille reposait entre ses mains et qu'il n'était point question pour elle de renoncer à sa dernière arme : l'espoir.
E S P O I R. Ce mot à six lettres qui avait la capacité de tout changer, qui pouvait ouvrir un nouveau ciel, porter d'un univers fini vers un univers infini. Contre toutes les voix qui lui disaient qu'elle n'allait point faire face à la situation, elle bataillait. Une bataille rude. Une bataille qui l’étouffait progressivement mais face à laquelle elle refusait de courber l’échine. Les yeux fermés, confiante et sereine plus que jamais, elle combattait, telle une amazone obnubilée par la victoire.
Elle professait sa foi en l'éternel, et menait, quoique difficile, cette course à la vie, course à l'espoir. Pour la vie de son ange, pour la vie de son amour. « Jusqu'à la dernière étincelle, j'y crois », finit-elle par lâcher. Sur son visage, coulaient des larmes, que de la main elle essuyait instinctivement. Des larmes de courage et de force qui lui permirent de prier intérieurement et d'invoquer son Dieu, son Roi, son Héro. Elle n'était pas la fille de n'importe qui, se convainc-t-elle. Fille d'un Roi, elle est donc une Princesse sur qui repose l'espoir du royaume, l'étincelle qui donnerait à nouveau le souffle de vie. Cet état d’âme, elle l’appelle dans son langage « Une maturité spirituelle ».
Elle en était là, dans ses réflexions, quand elle sentit en elle comme une certaine quiétude qui l'envahissait soudain. Tellement apaisée, qu’elle aurait aimé ressentir cela toute sa vie. La voilà, elle qui était comme une batterie totalement faible il y a quelques heures, désormais bien remplie ; de foie, de vie. Assez, pour continuer sa course.
Elle sentit en elle son cœur vivre à nouveau et porta spontanément sa main à la poitrine pour s’assurer qu’elle n’était pas dans l’illusion. Ce n'était pourtant pas une illusion. Son coeur battait à nouveau comme si une vie venait d'éclore à ses côtés. La dernière fois qu'elle eût de tels sentiments, c'était la veille de l'accident de Cairy alors qu'elle fêtait son dixième anniversaire. Mais depuis qu'elle était entrée dans le coma cette vie en elle s'est estompée.
Elle rassembla de nouveau ses forces et se dirigea alors vers la chambre 430 où était logée sa fille. À sa plus grande surprise, celle-ci s’était réveillée et s'amusait même, comme si de rien n'était. Comme si l'instant d'avant aucun incident ne s'était produit.
A sa vue, Cairy s’écria : « maman tu m'as manquée ».
Ariane : Tu m'as manquée toi aussi, mon ange.
Cairy: maman le docteur a dit que je n'avais plus besoin de respirateur et l'a donc fait transférer vers le bloc 339. Je l'ai entendu le dire à son équipe. Je suis ravie que mon réveil répande un nouveau souffle. Je veux voir papa. Tu sais, je l'ai vu dans mon sommeil et il a dit qu'il m'attendrait jusqu'à son dernier souffle. Et bien je suis de retour et j'aimerais le serrer lui aussi dans mes bras.
Ariane : Grand-mère n'avait pas tort "l'espoir fait vivre", dit-elle en embrassant sa fille.
Nouveau souffle.
Moi Brayane je perçus une étincelle jaillissante de l'obscurité et un nouveau souffle se répandait en moi. Je respirais à nouveau et la lumière luit dans les ténèbres. Mon pauvre corps se remettait des blessures de la veille, mon ombre était de nouveau à sa place, près de son véhicule et je me sentais régénérer ; c’est une nouvelle vie.
Quelques temps après, Cairy repris ses cours d'initiation pour intégrer à nouveau le monde.
Ariane et Brayane renouvelaient leurs voeux de mariage : « Pour le meilleur et le pire, pour la vie pour toujours ».
« Que l'espérance vous fasse marcher au-delà de vos peurs alors vous aurez les yeux levés vers le ciel et vous pourrez marcher jusqu'au Soleil divin, Soleil de Dieu. »
Un extrait du discours de mariage
Yeux fermés.
Oeil ouvert.
Besoin d'oxygène, cerveau en feu.
L'ombre lui apparut dans son sommeil. Elle sentit près d'elle une masse, d'abord informe, qui se mit ensuite à prendre forme. Alors qu'elle était couchée et pensante, dans son état comateux, une voix résonnait aux creux de ses tympans.
« Je t'aime Cairy. Entend-moi, même dans le labyrinthe profond où tu as construit ta nouvelle vie sans mo ».
Cairy reconnut le son de cette voix qui lui semblait si familière. Elle bougea du doigt et cligna des paupières. C’est la première fois depuis des années qu'elle était couchée sur ce lit d'hôpital, seule et inerte, qu’elle manifestait un signe. Tout ce qui la maintenait en vie était une sonde alimentaire et un conduit d'air oxygéné, disposés juste au-dessus de sa cavité nasale. L'ombre devait rapidement agir et retourner le plus vite possible auprès de son propriétaire. Elle tendit une main à Cairy. Mais attirée aussitôt par un courant d’air, l’ombre se fit de plus en plus distante, en murmurant avec empressement des mots que sa voix lui retournait en échos.
Cairy je t'aime.
Je t'aime, n'oublie pas.
Jusqu'à mon dernier souffle, je t'attendrai.
Les bras tendus vers cette ombre, elle n'eut la force de prononcer qu'un seul mot : « Papa! ».
Un mot qui la tira de ce coma dont elle était prisonnière depuis près de 8 ans maintenant.
De l'autre côté, dans le couloir abritant la chambre où elle a été admise, une équipe de médecins urgentistes se pressait de conduire aux urgences un géant monsieur à qui on donnerait à peu près 90 kilo de poids. Elancé, et de nationalité française, il avait été diagnostiqué quelques jours plus tôt d'un mystérieux mal dont la maîtrise échappait vraiment à tout contrôle.
L'ombre observait ce corps immobile allongé sur le brancard qui roulait à grande vitesse.
Était-il conscient de ce qui se passait ?
Pas évident en tous cas. Autrement, il ne se poserait pas la question de savoir s'il avait les yeux fermés ou était-il dans le noir alors qu'ils sont bel et bien fermés et qu'il est inconscient.
Brayane serait bientôt à sa phase terminale si rien n'est fait. Les urgences sont saturées et il y a pénurie de masque d'oxygène. Asthmatique, Brayane est donc plus exposé. Déjà, ses poumons ne tenaient plus le coup il lui fallait de toute urgence un masque.
Que faire ?
Les médecins sont à bout.
Plus qu'un miracle à espérer.
Les portes des urgences se fermaient devant Ariane, la mère de Cairy et l’épouse de Brayane. Deux grosses gouttes de larmes perlaient ses joues. De son beau visage au teint noir café et aux traits fins, il ne restait plus qu'une pauvre infirmière abasourdie. Elle s'écroula sur le banc d'attente puis se releva, fit un pas en avant, un autre en arrière. Bref, une succession de vas-et-viens. Elle était terrifiée, rien qu'à l'idée de penser que Brayane pouvait passer de l'autre côté de la vie.
Seule consolation du moment, des souvenirs de sa petite famille – autrefois unis – qui lui traversaient l'esprit. Elle tressaillit de douleur au plus profond de son être; douleur d'une mère, douleur d'une épouse frappée par les coups du sort.
Pourquoi, Seigneur ?
Pourquoi ?, hurla-t-elle intérieurement.
Pourquoi moi?
N'est-ce pas suffisant de me priver de ma fille? Et maintenant, mon mari est en train de mourir à petit feu. Que veux-tu faire de moi sur cette terre infernale ?
Elle se souvint de la parole que lui répétait toujours sa grande mère : « l'espoir fait vivre ».
Alors elle se ressaisit à nouveau. De ses larmes de tristesse elle en fit des larmes de joie. De chacune de ses peurs, elle fit une boule de motivation. De chacun de ses doutes, un motif de guerre. Guerre contre le désespoir, guerre contre toute pensée négative. Elle savait désormais que la vie de sa famille reposait entre ses mains et qu'il n'était point question pour elle de renoncer à sa dernière arme : l'espoir.
E S P O I R. Ce mot à six lettres qui avait la capacité de tout changer, qui pouvait ouvrir un nouveau ciel, porter d'un univers fini vers un univers infini. Contre toutes les voix qui lui disaient qu'elle n'allait point faire face à la situation, elle bataillait. Une bataille rude. Une bataille qui l’étouffait progressivement mais face à laquelle elle refusait de courber l’échine. Les yeux fermés, confiante et sereine plus que jamais, elle combattait, telle une amazone obnubilée par la victoire.
Elle professait sa foi en l'éternel, et menait, quoique difficile, cette course à la vie, course à l'espoir. Pour la vie de son ange, pour la vie de son amour. « Jusqu'à la dernière étincelle, j'y crois », finit-elle par lâcher. Sur son visage, coulaient des larmes, que de la main elle essuyait instinctivement. Des larmes de courage et de force qui lui permirent de prier intérieurement et d'invoquer son Dieu, son Roi, son Héro. Elle n'était pas la fille de n'importe qui, se convainc-t-elle. Fille d'un Roi, elle est donc une Princesse sur qui repose l'espoir du royaume, l'étincelle qui donnerait à nouveau le souffle de vie. Cet état d’âme, elle l’appelle dans son langage « Une maturité spirituelle ».
Elle en était là, dans ses réflexions, quand elle sentit en elle comme une certaine quiétude qui l'envahissait soudain. Tellement apaisée, qu’elle aurait aimé ressentir cela toute sa vie. La voilà, elle qui était comme une batterie totalement faible il y a quelques heures, désormais bien remplie ; de foie, de vie. Assez, pour continuer sa course.
Elle sentit en elle son cœur vivre à nouveau et porta spontanément sa main à la poitrine pour s’assurer qu’elle n’était pas dans l’illusion. Ce n'était pourtant pas une illusion. Son coeur battait à nouveau comme si une vie venait d'éclore à ses côtés. La dernière fois qu'elle eût de tels sentiments, c'était la veille de l'accident de Cairy alors qu'elle fêtait son dixième anniversaire. Mais depuis qu'elle était entrée dans le coma cette vie en elle s'est estompée.
Elle rassembla de nouveau ses forces et se dirigea alors vers la chambre 430 où était logée sa fille. À sa plus grande surprise, celle-ci s’était réveillée et s'amusait même, comme si de rien n'était. Comme si l'instant d'avant aucun incident ne s'était produit.
A sa vue, Cairy s’écria : « maman tu m'as manquée ».
Ariane : Tu m'as manquée toi aussi, mon ange.
Cairy: maman le docteur a dit que je n'avais plus besoin de respirateur et l'a donc fait transférer vers le bloc 339. Je l'ai entendu le dire à son équipe. Je suis ravie que mon réveil répande un nouveau souffle. Je veux voir papa. Tu sais, je l'ai vu dans mon sommeil et il a dit qu'il m'attendrait jusqu'à son dernier souffle. Et bien je suis de retour et j'aimerais le serrer lui aussi dans mes bras.
Ariane : Grand-mère n'avait pas tort "l'espoir fait vivre", dit-elle en embrassant sa fille.
Nouveau souffle.
Moi Brayane je perçus une étincelle jaillissante de l'obscurité et un nouveau souffle se répandait en moi. Je respirais à nouveau et la lumière luit dans les ténèbres. Mon pauvre corps se remettait des blessures de la veille, mon ombre était de nouveau à sa place, près de son véhicule et je me sentais régénérer ; c’est une nouvelle vie.
Quelques temps après, Cairy repris ses cours d'initiation pour intégrer à nouveau le monde.
Ariane et Brayane renouvelaient leurs voeux de mariage : « Pour le meilleur et le pire, pour la vie pour toujours ».
« Que l'espérance vous fasse marcher au-delà de vos peurs alors vous aurez les yeux levés vers le ciel et vous pourrez marcher jusqu'au Soleil divin, Soleil de Dieu. »
Un extrait du discours de mariage