Point de non-retour

Toute histoire commence un jour, quelque part, qu’elle soit imbibée de noirceur ou de lumière et même d’un beau mélange des deux...
Des histoires sans aucune identité valable, sans la moindre conjoncture possible, perchées tout en haut de nos désillusions farceuses, accroupies aux bords des ruelles de nos plus intimes souvenirs. Oui...ce sont toutes des histoires, allant de celles décrivant de la rareté dans leur beauté à celles des plus dévastatrices mais...
Toi et moi, nous connaissons l’imperturbable vérité qui sommeille en la nôtre. Celle qui nous réveille au beau milieu des ombres de la nuit, et qui chuchote à nos cœurs maquillés de folie : ‘’juste encore une fois’’. Celle qui court-circuite nos peurs mal orientées, en y peignant plus de couleurs et de vies. Là, maintenant me vient à l’esprit, la certitude que le commun des mortels ne serait nullement apte à saisir, l’essence de ce que l’on a vécu. Leur interprétation de nous dans leurs pensées, n’aurait été qu’une vague de non-sens trop bien aiguisée. Leur vaine tentative de compréhension, ne serait qu’une chute fracassante d’un énorme gaspillage d’énergie humaine.
Nous avions tout fait pour nous entretuer, pourtant à la seconde ou nous devrions nous infliger le coup fatal : l’espoir renaissait de ces cendres. D’où pouvait bien provenir la capricieuse envie de continuer à écrire un tel scénario ? De nous ? De Dieu ? Du destin ? De nos cœurs ? Je jubile encore à l’idée d’en connaitre la raison. Pourtant, je n’ai aucune espérance de le savoir un jour...
Mon père, m’a souvent répété d’un ton énergique : la source peut se moquer de la rivière mais le contraire n’en est pas vrai. Aujourd’hui, en regardant couler l’eau de ma baignoire je me suis mis à me questionner terriblement. Étais-tu la rivière et moi la source ou tout le contraire ? Je me retrouve à cette période de ma vie, où tout mon être se retrouve noyé dans l’attente d’une réponse à une simple question...
Tu la connais mieux que moi, cette interrogation qui hante scrupuleusement les parvis de mon esprit.
En cet instant présent, je confesse, que tu es cette lanterne aux mille couleurs dont mon cœur a effroyablement besoin. Notre histoire, est l’épopée de toute une génération. Elle n’a jamais commencé et sa fin est inexistante.
Te souviens-tu ? Au bord de cette rue empreinte de fatalité. Nos regards se sont croisés, et une histoire est surement née. Après une longue grossesse dans les lieux secrets du temps... elle a vu le jour, teintée de nos deux mondes angoissés. C’était plus qu’une certitude, elle avait hérité de nos traits de caractères et de l’impétuosité dont nous faisions montre. Au moment où nous aurions dû la donner en adoption, nous avions choisi ensemble de le garder, de l’élever, de le nourrir, de l’aimer, alors pourquoi maintenant... ? Cet enfant dont nous avions rêvé, tous les deux, meurt et on le regarde trépasser. Nous serions alors des criminels ambulants, prétendant protéger mais détruire, aimer mais blesser ? Cet enfant, ne le sais-tu pas, c’est notre histoire ? Celle que le destin n’a pas vu venir, au bout de l’éternité qui lui sert de repère quotidien. Ce peu qui ressemble tant au TOUT et qui nous appartient. Alors ? Pourquoi diable le laisser disparaître ?
On ne peut déchirer, une page qui donne tout son sens à l’histoire. On ne peut ôter le verbe qui ranime la phrase. On ne peut enlever la couleur qui embellit la toile. En fin de compte, on ne peut abandonner ce pour quoi l’on s’est tant battu....
Ce qui se produisait au plus profond de mes cellules n’avait de nom que pour les mystiques...Tu ouvrais la bouche et je me prosternais au pied de ta raison. La cadence de tes mots enivrait mes sentiments à ton égard. Je me tue encore, désespérément, à contempler ton visage dans le miroir du temps. À une époque, j’aurais dû greffer une partie de ce que je ressentais en toi. Et voilà que c’est trop tard...
Ton essence a dû modifier les composantes innées de mon ADN. Comprends-tu donc mieux ce qu’est l’empoisonnement ? Toutes ces particules euphoriques que tu as sues éveiller en moi. Ta privation est un désespoir qui m’enrage, plus immense que la douleur de la distance grandissante entre nous. S’il existe une plus plaisante solution à ma peine, ce ne serait que de t’arracher de mon cœur tout entier. A la seconde où je repense à toutes ces promesses un peu trop bien épicées, à toutes les fois où tu réinventais la réalité pour plaire à la naïveté de mes sens : je saigne terriblement, et à tous les temps de l’indicatif.
Je me recherche encore, dans les fracas que tu as laissés derrière toi au passage. Mon corps, malgré moi, se baisse pour tout nettoyer alors que ton sourire s’étale sur ton visage coupable. Et puis quoi ? Serai-je toujours la seule personne à vouloir toujours tout ramasser ? Est-ce qu’au moins ta conscience te raisonne et te dit : ce n’est pas toi, ni moi, mais Nous ? Es-tu en mesure de lire les hiéroglyphes tatoués sur chaque centimètre de ma peau ? Comment as-tu pu être le pharaon de mon cœur et n’avoir pas pu déchiffré ce langage qui t’appartient. Hélas...
Ce qui fut, n’est plus ? Comment puisse-t-il exister une telle possibilité ? Comment...
Comment une âme, telle que la tienne, peut-elle être autant empreinte de lâcheté ? Ne crains-tu point qu’elle ne t’étrangle dans cette désinvolture qui t’anime constamment ? Comment peut-on tourner le dos à ce qui nous appartient ? L’insensé te dévisage, se convainc, et est même soulagé, qu’il y a pire que lui. Ta silhouette ne tremble-t-elle aucunement en partant ? J’aimerais tant savoir...
J’aimerais tant savoir, si tu as cimenté tes émotions, pour prétendre aujourd’hui ne plus rien ressentir. Qu’as-tu donc pu faire de ses souvenirs entachés de nos vies communes ? Je ne puis me dissuader que tu as pu tout balancer sans aucun regrets...
Les jours sont nombreux, depuis que je me tourmente l’esprit d’images et de désirs de toi. Le coin des rues font renaître un peu de nous deux. Je lève les yeux pour oublier et voici les nuages me grimacent ton prénom. J’essaie de les fermer et soudainement, mon imagination me trahit, m’offrant des bribes du passé incontournables. Oh oui, ces souvenirs...
Ces souvenirs... qui empruntent les chemins de mes pensées toutes poussiéreuses. Ils ne cesseront de hanter mon esprit affaibli de coups. A force d’être présent, ils se sont matérialisés en une armure trop lourde à supporter. Je mourrai, le temps qu’ils ne fusionnent avec ma peau.
J’aurais aimé me battre encore une fois, une toute dernière fois. Tenter un dernier mélange empreint de délices inconnus. Changer la recette, inverser les ingrédients, en enlever ou en ajouter les meilleurs.
On est le quinze... cette date marquante, plus qu’elle ne le devrait. On aurait pu célébrer cela ensemble mais je crains que ce ne soit trop tard.
Trop tard pour se retourner. Trop tard pour se prendre la main, et vivre l’étincelle d’une connexion jadis ressentie. Trop tard pour que nos lèvres se trouvent une raison de s’entremêler. Trop tard pour redécouvrir chaque lettre de ton nom. Il est trop tard, parce que je refuse de porter cette douleur, que le temps n’effacera point. Et puisque je refuse, ce que j’ai fait est irréversible...
Je sens ma conscience s’estomper lentement.
La maladie avait déjà atteint un stade un peu avancé. J’oubliais... tu ne le savais pas. Tu le sais maintenant. Nul besoin de t’expliquer par quelle souffrance je suis passée, ni son nom. Ton absence était presque perpétuelle. Après notre rupture, elle est devenue la plus fidèle de mes partenaires. Que dis-je ? La seule effectivement. M’accompagnant ou que j’aille, et me rappelant indécemment la fragilité de mon être.
Cinq longues années à lutter doublement : pour toi et pour moi... j’ai dû remporter un prix sans que je ne le sache réellement. Et puis ? Quelle importance... ? Je ne souhaite plus me battre toute une vie, puisque je n’en ai plus...
Mais, pour te partager ma sincérité une toute dernière fois, je n’en sens plus le courage. Tu n’es plus là. Mes parents ne le sont plus. Éloignée de ma famille et de mon monde personnel, alors, vois-tu... ? Ma solitude a atteint son paroxysme à tous les niveaux. Mon cœur n’est désormais, que fragment éparpillés aux quatre coins de ma vie.
Plutôt mourir que d’agoniser. Ce n’est point une question d’honneur, c’est une responsabilité pimentée de véhémence. Mon corps ne mérite pas de pétrir sous le poids des événements indépendants de sa volonté. Crois-moi : j’ai combattu l’horreur de vivre sans espoir. Je me suis construit une muraille, que j’ai vu s’effondrer instantanément, lorsque mes pupilles se sont posées sur toi. Rien qu’en te voyant, tous mes efforts s’estompèrent, se délectant de mon désarroi. C’est regrettablement vrai... J’ai cru en des illusions qui ont pris la forme d’une réalité mesquine. Ce fut une chute, plus significative que celle du mur de Berlin : celle de mon Univers entier.
Ma seule certitude, n’est point la vie qui m’accorde une dernière danse-car je ne vis aucunement depuis ce jour où je dus t’arracher de moi- mais cette lettre qui te parviendra un jour...
Tu sauras, à la minute où tes beaux yeux se poseront sur ces dernières lignes, que tu ne me reverras plus. Aussi grande pourrait être cette envie, tu sauras, que J’eus franchi le point de non-retour : Le cyanure de potassium.
***
Son regard ne le quittait pas, tel un phare dans la nuit. Elle était : sa nuit...
Il tenait le morceau de papier, sur lequel elle avait accouché tant d’intimité. La jeune femme ouvrit péniblement les yeux. Il n’attendit point.
- Alors, tu voulais vraiment me tuer ? dit-il marquer d’un léger sourire très significatif.
Son esprit revenait de loin, son corps plus encore. En l’espace d’un déclic, sa compréhension s’élargit. Une larme fraya son chemin sur son visage inlassablement beau.
- Je...je suis déso...lée
Elle balbutiait.
- Chut... ne dit rien, en posant délicatement son doigt sur ses lèvres fatiguée de cyanure et de maladie.
Il lui donna un regard sans nom.
- Je suis venue le plus vite que possible. Cela fait un mois depuis que tu es à l’hôpital. Je ne t’ai pas quitté une seconde. Tu as frôlé la mort de très près et...
Il s’arrêta brusquement, comme si, ce qui lui sortait de la bouche n’avait pas de sens.
- ... je ne veux plus avoir cette sensation au fond de ma gorge, brûlant ma poitrine. Plus jamais, de toute ma misérable vie d’humain. Je la veux notre histoire, aujourd’hui plus qu’hier. Il n’est pas trop tard. Notre enfant n’est pas encore mort et ne le sera point. Je ne suis pas partit, juste éloigné, et ce fut ma plus grande erreur. Je suis la rivière et toi ma source ; sans toi ce n’est qu’une réalité illusoire. Plus d’inquiétudes, ta lanterne aux mille couleurs est présente à compter de ce jour. Ce ne sera plus nécessaire de m’arracher de ton cœur. Tu ne seras plus toujours la seule à tout ramasser, je t’aiderai puisque ce n’est ni toi, ni moi mais : nous. J’espère que le pharaon a encore sa place sur ton trône, parce que je suis apte à lire mon prénom, tatoué sur chaque centimètre de ta peau. Oui, tu as remporté, sans que tu ne le saches, un prix : mon cœur.
Il s’approcha de son lit.
- Ces fragments de ton cœur, éparpillés, dont tu parles, je les chercherai à en crever, je les trouverai et j’en ferai une cité de paix constante. Je veux célébrer, à tes côtés, cette date marquante qui nous unîmes ce jour-là, mais, par-dessus tout ce que je souhaite, moi Franck Carl Dorylien, est d’être désormais ton point de non-retour.
Il se pencha vers elle en sanglot. Les orbites décolorés par la rougeur.
- Je sais...que le moment est super, très mal choisi, mais je ne désire plus perdre une seconde de plus. Kiarah Fabienne Soltice, veux-tu bien donner une dernière chance à notre histoire ? Veux-tu passer le reste de tes jours à mes cotées ? Si tu es d’accord, alors...
Il inspira profondément.
- Épouse-moi.
Un silence cru. Les mots ne lui parvenaient pas à la bouche. Une demande en mariage sur un lit d’hôpital, le pensait-il sérieusement ? Prenant un souffle incorrect, elle fit signe de la tête, ne cessant de pleurer. Il lui sourit, prenant l’anneau qu’il portait à son doigt.
- Porte ma bague, le temps que je t’en achète une à la hauteur de notre histoire.
Ils échangèrent un sourire qui n’avait rien avoir avec ceux d’autrefois.
Il la fit glisser affectueusement, puis posa ses lèvres délicatement sur les siennes. Son regard ne la quittait pas et savait dès lors qu’il ne la quitterait plus.
- Voilà un point de non-retour dont nul ne s’en plaindra, dit-il, se penchant à son oreille.