Nouvelles
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Institut Sous-régional de Statistique et d'Economie Appliquée
Plénitude
« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres mais je ne vous appellerai pas maître. ». Ces mots rapportés par le griot du clan sont ceux de mon aïeul Abeulleu Meswat, arrière-grand-mère de ma grand-mère. Meswat ou Mes (comme l'appelaient affectueusement ses proches) était une jeune femme belle, forte et vigoureuse comme l'indique son nom qui signifie : elle a des tripes. Mes, était un membre actif du mouvement anticolonialiste du village. Malgré les barrières que le fait d'être une femme lui imposait, elle avait été l'instigatrice de plus d'un soulèvement contre l'administration coloniale. Elle était une véritable tête de mule ! Elle a amené tous les habitants du village, hommes et femmes confondus et même des villages environnants à l'insoumission aux forces colonialistes. Les livres d'histoire devraient faire mention de ses exploits, et les musées devraient lui consacrer un présentoir. À côté de son illustre carrière de leader du mouvement indépendantiste d'un carré de dix-huit villages, elle était mère de douze enfants. Son époux et elle étaient d'une complicité et d'une fusion légendaires. Mes savait donc faire la part des choses. Bien qu'ayant tragiquement perdue deux de ses fils pendant des combats, elle est restée fidèle à elle-même. Aux dernières heures de sa vie, elle s'est isolée sur la montagne Itam-Itam.
(Itam-Itam reste jusqu'à présent, un lieu mystique, auquel une poignée de personnes appelées Meukol-Meusisim a accès. Toute autre personne désireuse de s'y rendre doit impérativement être accompagnée par un Meukol-Meusisim. Selon les autorités traditionnelles du village, les Meukol-Meusisim ont pour rôle de garantir la survie des visiteurs sur cette montagne inondée d'esprits.)
Mes, sur la montagne Itam-Itam, se tordait et gémissait nonchalamment. Elle était comme ivre. Elle enleva ses souliers comme pour se connecter à la nature, étendit ses mains ridées vers le ciel et se laissa caresser par le vent. Toujours en transe, elle sortit péniblement telle une femme en gestation, des mots de sa bouche :
« On a toujours le choix ;
Le choix de réussir ou d'échouer, de mourir ou de vivre.
J'ai choisis de lutter pour la victoire et la vie.
À ce stade de ma vie, je puis dire que cette lutte n'a point été vaine. »
Ce cantique est indéniablement l'écho de la méditation de toute une vie ; et pas n'importe laquelle.
Le récit captivant du griot m'a en l'espace de quelques heures transportée dans la vie pleine de rebondissements de mon intrépide aïeul Mes. J'en ai presque oublié les misères de ma sombre existence. Mes vacances de très courte durée au village prennent malheureusement fin. Je suis sur le chemin du retour, sur le point de renouer avec cette réalité qui m'accable : je suis malade. Mon âme est malade. Je ne vis pas, j'existe. J'erre sans but véritable, sans source, sans appui. J'ai de brefs moments de joie, qui s'achèvent toujours par la remontée en surface de détritus qui jonchent mon intérieur. Ma joie n'est pas parfaite, je le sens ! Mes proches considèrent que je suis heureuse parce que toutes les conditions (matérielles) sont réunies pour qu'il en soit ainsi. Mais, je sais au plus profond de moi que malgré toutes ces choses, je ne suis pas heureuse. Il manque quelque chose à cette existence laide et fade qui est la mienne. Un nombre incalculable de fois, je me suis lancée à la quête de la plénitude mais à chaque fois j'ai lamentablement échoué; et ces échecs contribuaient, les dernières plus intensément que les premières à mortifier mon être ou ce qu'il en reste. Cette fois, c'est la bonne. Il y'a deux alternatives, soit je me débarrasse de cette touffe nauséabonde qui dessèche ma chair et mes os, soit je meurs.
Je suis une jeune femme âgée de vingt-sept ans, je suis mariée depuis bientôt deux ans et mère d'un petit garçon de quatre ans. Je suis en charge de la gestion des risques et de la segmentation de la clientèle dans une banque de la place. Depuis que j'ai résolu de guérir, j'ai fait pas mal de recherches sur internet. Ce matin en rangeant la paperasse de mon époux, mes yeux tombent par hasard sur un article de l'un de ses magazines dont le titre fort captivant m'intrigue : LE BONHEUR, LE VRAI ! Comme hypnotisée, je lâche tout ce que j'ai dans les mains et me rue sur le fameux article que je lis tout entier sur le coup. Le coach Kakatoku, auteur de cet article raconte l'histoire d'une sexagénaire qui a toute sa vie, cherché la plénitude sans jamais l'atteindre. Cette histoire est très proche de la mienne, voir quasiment identique. On dirait que ce coach a lu en moi. Le coach Kakatoku présente le yoga comme la voie royale qui mène à l'unification de l'être et donc au bonheur. À cet effet, il organise des cours de yoga en ligne. Grâce aux références données dans le magazine, je suis entrée en contact avec lui et je me suis inscrite à ce cours en ligne. Mon premier cours a lieu vendredi prochain.
Ça y est, nous sommes vendredi. Je sors avec empressement de la salle de réunion de la banque, je me rends dans mon bureau où je prends d'un geste brusque mon sac à main et ma veste. À la vitesse de la lumière, j'arrive dans le parking où est garée ma voiture que je démarre aussitôt. Près d'une demi-heure plus tard, je suis chez moi. Il n'y a personne, mon fils et son père sont à une fête d'anniversaire, toutes les conditions sont donc réunies pour que ce cours se passe bien. Je suis déjà installée. Le cours a duré une heure. C'était intense. J'en suis sortie enrichie et pleine de vie.
J'ai ainsi nagé dans le bonheur pendant près d'un mois jusqu'à ce qu'un matin, je me réveille dans un piteux état. J'étais très mal. J'étais à la fois en colère, triste, dégoûtée et fatiguée. J'ai comme à l'accoutumé, masqué tant bien que mal ce que je ressentais et j'ai réalisé mes tâches ménagères quotidiennes avant de me rendre au travail. La journée de travail était calme et paisible jusqu'à ce que je sois sur le tronçon qui mène à mon domicile à bord de ma voiture. Soudain, j'ai freiné, je me suis déchaussée, je suis sortie de ma voiture et j'ai couru sans direction précise. Essoufflée, débraillée et en larmes, je me tenais devant la maison familiale où vivait Nna'a, ma grand-mère, arrière-petite-fille de Mes. Nna'a m'amena dans une chambre, m'essuya le visage avec un linge humide et me servit du thé sans prononcer le moindre mot. Ensuite, une fois allongée, elle me chanta une berceuse antique qui m'endormit. Le lendemain à peine mes yeux ouverts, je vis Nna'a s'approcher de mon lit tenant un coffret en bois contenant une lettre. Elle me donna le coffret et dit : « Mes a voulu que ses descendants lisent ceci à leur trentième anniversaire ; vu ton état, j'ai jugé nécessaire de te la faire lire avant. ». Le contenu de la lettre :
« Le secret c'est d'en avoir conscience. Tu as pendant longtemps eu conscience de l'existence de cette entité qui prend plaisir à ta chute et à ton malheur. À présent, je t'invite à prendre conscience de l'existence d'une entité qui est au-dessus de tout et qui est une source intarissable de plénitude. Charges toi de la joie qu'elle dégage. Changes tes pleurs de minuit en éclats de rire de midi, transformes tes fuites en conquêtes et tes peurs en découvertes. Vois en tes moments de solitude non un énième combat contre tes vieux démons mais l'occasion unique d'aller à la rencontre de ton être. Aimes sans arrière-pensée, donnes sans te soucier du lendemain. Et que la conjoncture ne te fasse pas oublier, même instantanément l'existence de l'entité positive. AIES CONSCIENCE D'ELLE, TOUJOURS ! »
Un an après la lecture de la lettre, j'étais toujours aussi comblée. Toutefois, je me demandais comment de simples mots avaient réussi là où le yoga du brillantissime coach Kakatoku avait échoué. Après réflexion, j'ai conclus qu'une femme ayant accès à la montagne Itam-Itam sans être accompagnée par un Meukol-Meusisim ne pouvait que produire des œuvres aux vertus surnaturelles.
(Itam-Itam reste jusqu'à présent, un lieu mystique, auquel une poignée de personnes appelées Meukol-Meusisim a accès. Toute autre personne désireuse de s'y rendre doit impérativement être accompagnée par un Meukol-Meusisim. Selon les autorités traditionnelles du village, les Meukol-Meusisim ont pour rôle de garantir la survie des visiteurs sur cette montagne inondée d'esprits.)
Mes, sur la montagne Itam-Itam, se tordait et gémissait nonchalamment. Elle était comme ivre. Elle enleva ses souliers comme pour se connecter à la nature, étendit ses mains ridées vers le ciel et se laissa caresser par le vent. Toujours en transe, elle sortit péniblement telle une femme en gestation, des mots de sa bouche :
« On a toujours le choix ;
Le choix de réussir ou d'échouer, de mourir ou de vivre.
J'ai choisis de lutter pour la victoire et la vie.
À ce stade de ma vie, je puis dire que cette lutte n'a point été vaine. »
Ce cantique est indéniablement l'écho de la méditation de toute une vie ; et pas n'importe laquelle.
Le récit captivant du griot m'a en l'espace de quelques heures transportée dans la vie pleine de rebondissements de mon intrépide aïeul Mes. J'en ai presque oublié les misères de ma sombre existence. Mes vacances de très courte durée au village prennent malheureusement fin. Je suis sur le chemin du retour, sur le point de renouer avec cette réalité qui m'accable : je suis malade. Mon âme est malade. Je ne vis pas, j'existe. J'erre sans but véritable, sans source, sans appui. J'ai de brefs moments de joie, qui s'achèvent toujours par la remontée en surface de détritus qui jonchent mon intérieur. Ma joie n'est pas parfaite, je le sens ! Mes proches considèrent que je suis heureuse parce que toutes les conditions (matérielles) sont réunies pour qu'il en soit ainsi. Mais, je sais au plus profond de moi que malgré toutes ces choses, je ne suis pas heureuse. Il manque quelque chose à cette existence laide et fade qui est la mienne. Un nombre incalculable de fois, je me suis lancée à la quête de la plénitude mais à chaque fois j'ai lamentablement échoué; et ces échecs contribuaient, les dernières plus intensément que les premières à mortifier mon être ou ce qu'il en reste. Cette fois, c'est la bonne. Il y'a deux alternatives, soit je me débarrasse de cette touffe nauséabonde qui dessèche ma chair et mes os, soit je meurs.
Je suis une jeune femme âgée de vingt-sept ans, je suis mariée depuis bientôt deux ans et mère d'un petit garçon de quatre ans. Je suis en charge de la gestion des risques et de la segmentation de la clientèle dans une banque de la place. Depuis que j'ai résolu de guérir, j'ai fait pas mal de recherches sur internet. Ce matin en rangeant la paperasse de mon époux, mes yeux tombent par hasard sur un article de l'un de ses magazines dont le titre fort captivant m'intrigue : LE BONHEUR, LE VRAI ! Comme hypnotisée, je lâche tout ce que j'ai dans les mains et me rue sur le fameux article que je lis tout entier sur le coup. Le coach Kakatoku, auteur de cet article raconte l'histoire d'une sexagénaire qui a toute sa vie, cherché la plénitude sans jamais l'atteindre. Cette histoire est très proche de la mienne, voir quasiment identique. On dirait que ce coach a lu en moi. Le coach Kakatoku présente le yoga comme la voie royale qui mène à l'unification de l'être et donc au bonheur. À cet effet, il organise des cours de yoga en ligne. Grâce aux références données dans le magazine, je suis entrée en contact avec lui et je me suis inscrite à ce cours en ligne. Mon premier cours a lieu vendredi prochain.
Ça y est, nous sommes vendredi. Je sors avec empressement de la salle de réunion de la banque, je me rends dans mon bureau où je prends d'un geste brusque mon sac à main et ma veste. À la vitesse de la lumière, j'arrive dans le parking où est garée ma voiture que je démarre aussitôt. Près d'une demi-heure plus tard, je suis chez moi. Il n'y a personne, mon fils et son père sont à une fête d'anniversaire, toutes les conditions sont donc réunies pour que ce cours se passe bien. Je suis déjà installée. Le cours a duré une heure. C'était intense. J'en suis sortie enrichie et pleine de vie.
J'ai ainsi nagé dans le bonheur pendant près d'un mois jusqu'à ce qu'un matin, je me réveille dans un piteux état. J'étais très mal. J'étais à la fois en colère, triste, dégoûtée et fatiguée. J'ai comme à l'accoutumé, masqué tant bien que mal ce que je ressentais et j'ai réalisé mes tâches ménagères quotidiennes avant de me rendre au travail. La journée de travail était calme et paisible jusqu'à ce que je sois sur le tronçon qui mène à mon domicile à bord de ma voiture. Soudain, j'ai freiné, je me suis déchaussée, je suis sortie de ma voiture et j'ai couru sans direction précise. Essoufflée, débraillée et en larmes, je me tenais devant la maison familiale où vivait Nna'a, ma grand-mère, arrière-petite-fille de Mes. Nna'a m'amena dans une chambre, m'essuya le visage avec un linge humide et me servit du thé sans prononcer le moindre mot. Ensuite, une fois allongée, elle me chanta une berceuse antique qui m'endormit. Le lendemain à peine mes yeux ouverts, je vis Nna'a s'approcher de mon lit tenant un coffret en bois contenant une lettre. Elle me donna le coffret et dit : « Mes a voulu que ses descendants lisent ceci à leur trentième anniversaire ; vu ton état, j'ai jugé nécessaire de te la faire lire avant. ». Le contenu de la lettre :
« Le secret c'est d'en avoir conscience. Tu as pendant longtemps eu conscience de l'existence de cette entité qui prend plaisir à ta chute et à ton malheur. À présent, je t'invite à prendre conscience de l'existence d'une entité qui est au-dessus de tout et qui est une source intarissable de plénitude. Charges toi de la joie qu'elle dégage. Changes tes pleurs de minuit en éclats de rire de midi, transformes tes fuites en conquêtes et tes peurs en découvertes. Vois en tes moments de solitude non un énième combat contre tes vieux démons mais l'occasion unique d'aller à la rencontre de ton être. Aimes sans arrière-pensée, donnes sans te soucier du lendemain. Et que la conjoncture ne te fasse pas oublier, même instantanément l'existence de l'entité positive. AIES CONSCIENCE D'ELLE, TOUJOURS ! »
Un an après la lecture de la lettre, j'étais toujours aussi comblée. Toutefois, je me demandais comment de simples mots avaient réussi là où le yoga du brillantissime coach Kakatoku avait échoué. Après réflexion, j'ai conclus qu'une femme ayant accès à la montagne Itam-Itam sans être accompagnée par un Meukol-Meusisim ne pouvait que produire des œuvres aux vertus surnaturelles.