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Un matin, j'ai décidé de ne plus me lever du canapé.
Je suis resté là, à contempler le vide de mon appartement et les ombres se mouvoir sur les murs ornés des images de notre passé où venait parfois jouer un rayon de soleil réfracté par la vitre du balcon.
Malgré tes appels répétés, je suis resté assis. Malgré tes pleurs, tes cris, tes supplications et tes invectives, je suis resté assis. Je n'ai pas plus bougé quand tu as rangé tes affaires et que tu as claqué la porte.
Je suis resté seul dans le silence pesant du salon.
Je me suis fermé dans un mutisme total. Sidéré par ma propre déchéance, je n'ai plus jamais bougé de cette place que je m'étais attribuée, ce coin si rassurant, à l'abri des sentiments.
Je me suis enraciné.
Ma peau a sécrété une substance lubrifiante qui s'est écoulée sur mes pieds. Mes orteils se sont allongés pour mieux fouiller le sol et s'ancrer dans le parquet. De longs poils fins se sont mis à pousser, attirés par l'odeur de l'eau, sentant ses vibrations dans les canalisations. Ma voûte plantaire s'est étirée, a broyé la pierre, s'est enroulée autour du tuyau, compressant le métal, cherchant une faille jusqu'à faire jaillir le précieux liquide dans lequel je me suis abreuvé encore et encore jusqu'à vomir des torrents de sève de mes yeux, de ma bouche, de mon nez et de mes oreilles.
Mes bras se sont enfoncés mollement dans le sofa déchiqueté qui s'est écroulé sous mon poids. Ils se sont étendus sur le sol dans toutes les directions, telles des lianes tordues, cherchant la moindre aspérité, serpentant toujours plus loin, toujours plus haut, les poils déployés comme des crocs pour recouvrir les murs et faire disparaître le salon sous un voile végétal.
Des tiges vertes ont bourgeonné sur mon visage. Elles tournoyaient vers le soleil, attrapaient à la volée, dans un ballet d'une lenteur invisible, le moindre rayon, la moindre énergie que je stockais dans mon bassin. Mon sexe, gorgé de sève, s'est durci et a grossi avant d'aspirer mon corps en entier, déplaçant mes organes vers son tronc immense, asséchant ma peau couverte de craquelures d'où s'échappaient des filets de résine.
Dans un dernier soubresaut, tandis que mon visage se figeait, l'énergie accumulée a explosé en un panache de branches, de bourgeons et de fleurs. Une pluie de pétales a recouvert le sol humide et je suis resté là, dans mon coin, sans bouger, figé dans ce nouveau corps, dans cet arbre qui continuait de pousser malgré moi.
Dans mon nouvel état, je ne percevais plus mes membres, mais le bruissement léger des courants d'air dans les feuilles ; je ne percevais plus mon cœur, mais les battements réguliers de la sève qui nourrissait mes fruits, puis retombait vers mes racines pour revenir à nouveau saturée de minéraux.
Et sans arrêt, je me suis épaissi. Je me suis agrandi, jusqu'à faire craquer les murs, exploser le plafond de ce salon trop étroit qui finirait par m'étouffer. Durant des heures, des jours, des années peut-être, ma conscience est restée enfermée dans cet arbre qui se mourrait lentement, sans espoir d'être sauvé.
Et puis tu es revenue...
Tu t'es engouffrée d'un pas sûr dans cette jungle buissonnante où trônait un cerisier à la place où tu m'avais laissé. Tu t'es agenouillée sur mes racines et tu as caressé l'herbe rase qui y poussait par touffes. Tremblante, tu m'as enlacé le tronc de tes bras et tes doigts ont enfoncé leurs ongles dans l'écorce pour mieux s'y accrocher. Dans notre étreinte, j'ai senti la chaleur de ton corps, la caresse de tes baisers et tes larmes salées nourrir mes racines. Sans un mot, ni une parole, juste un mouvement, et pour réponse, mon frémissement.
Tu as alors sorti en silence un sécateur et fait glisser sur moi ses lames acérées. Le contact froid et tranchant de leurs pointes caressant le bois, ton souffle d'abord serein et régulier, puis s'accélérant et haletant ; ton cœur et ma sève battant à l'unisson, de plus en plus rapidement à mesure que tu t'approchais de ta cible, une branche fine et noueuse, la seule pleine de vie ; tu l'as empoignée fermement et tranchée d'un geste vif.
Avec une infinie précaution, tu as porté cette bouture de moi au creux de tes seins et pansé la blessure. Avec délicatesse, tu l'as plantée bien droite dans un pot avant de la recouvrir d'une terre chaude et humide, grasse et généreuse, dans laquelle elle s'est épanouie.
Pour le reste de mon corps, il n'y avait plus rien à faire.
Cet arbre meurtri, confiné, mourant d'asphyxie, tu l'as brûlé. Les flammes ont tout consumé : tout ce qu'il restait, tout ce qui n'avait pas été broyé, détruit, avalé par ma transformation. À aucun moment, tu ne t'es retournée. Tu avais sauvé la seule partie de moi encore en vie, dans ce pot que tu tenais lorsque tu es repartie.
C'est grâce à toi, désormais, que je vis, moi le bonsaï empoté que tu tailles chaque jour. C'est grâce à toi, désormais, que je fleuris sous tes cisailles délicates, moi le cerisier, dans un coin de ton appartement si rayonnant.
Dans un coin si rassurant.

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