plaie et tattoo

La parole éblouit et trompe, parce qu'elle est mimée par le visage (...) et que les lèvres plaisent et que les yeux séduisent. Mais les mots noirs sur le papier blanc, c'est l'âme toute nue ... [+]

Image de Jeunes Écritures AUF RFI - 2022
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"Maître ? Vous plaisantez? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne vous appellerai pas maître... aboyais-je alors qu'il venait de m'assigner un coup de pied aux fesses en me foutant dehors. Me claquant la porte au nez.

Puni

Encore...

Cela fait... deux semaines? Voilà deux semaines que je me réveille dans la maison "de cette bonne à rien" ou de la fille "chelou" comme les gens de ton quartier t'appelle derrière ton dos... Cela fait juste une quinzaine de jours mais cela m'a l'air si loin. J'étais vraiment loin de mon état d'esprit actuel...

Parce qu'il y a deux semaines je n'étais qu'une boule de rancœurs qui n'avait qu'une seule envie : celle de mordre jusqu'au sang les fesses de ce bon vieux Ratrema alors qu'il m'avait jeté dehors. Assez violente comme envie, je l'avoue. N'ayant pas envie de me salir les canines pour un imbécile comme lui_ manquant surtout de cran_ j'avais opté pour juste lui aboyer cette phrase, bien qu'il n'aurait compris que dalle vue qu'il ne parle pas ma « langue ». J'avais la rage au ventre ce jour-là. Seulement la rage, pas de nourriture_ enfin de "vrai" nourriture quoi_ depuis deux jours. Il ne m'en donnait pas. Parce que j'étais puni... Encore.

Mais deux jours sans nourriture ? Ça va. J'ai connu pire, tu vois. J'en ai vécu des choses avant d'habiter chez lui. Des choses auxquelles je ne crois pas que ni Princesse ni Bisou n'auraient pu y survivre. Princesse et Bisou ont eu droit à leur Steak, elles. Elles ont eu le droit, comme d'habitude, d'entrer dans la chambre de la fille de Ratrema. Cette pièce qui m'est formellement interdite d'accès : elle ne me porte pas vraiment dans son cœur cette fille. Mais alors pas du tout. Je les vois bien ses regards de dégoût posé de temps en temps sur ma personne quand je suis dans les parages. Il faut avouer que la grosse plaie sur ma tête ne joue pas non plus en ma faveur. Cela la répugne qu'elle n'en finit pas son assiette. Petite nature ! Et je la comprends. Je comprends si avec moi elle ne faisait jamais de papouille comme elle en faisait avec Princesse et Bisou. Elles ont les poils soyeux, elles. Elle me regarde à chaque fois comme si toutes les puces du monde ont élu domicile sur moi. Si ça n'avait été qu'elle je n'aurais jamais été admis chez eux. Mais Ratrema, lui, voulait avoir un chien alors...

Dis-moi. Fais-tu partie de ces gens qui en ont toujours voulu un? Je ne sais pas si je voulais un maître à la base. J'en ai connu plusieurs. C'est vrai que j'enviais mes amis qui avaient toujours eu un toit sur leur tête, un endroit où ils se sentent vraiment chez eux. J'enviais ceux qui n'avaient jamais connu ces nuits où seul le froid nous tienne compagnie. Qui n'ont jamais eu à se préoccuper à leur réveil de trouver de quoi se mette sous les dents... je n'ai jamais connu la chaleur d'un foyer, la chaleur d'un câlin, la chaleur de ces regards doux. Ce que je connais moi c'est les rues. Ah cela oui, chaque recoin des rues de cette ville n'ont plus aucun secret pour moi. Je n'ai connu que cela. Vivre selon mes règles. Enfin vivre est un grand mot, je dirais plus tôt faire de mon mieux. Je n'ai jamais été "dressé" autrement...

Je n'ai jamais été un tant soit peu dressé de toute ma vie. Et voilà que Ratrema et les autres avant lui s'attendent à ce que du jour au lendemain je les obéisse. Obéir. On ne m'a jamais appris cela. Je ne connais pas cela. Et lui, il croit que du jour au lendemain je deviens un bon chien chien à son maître. Maître ? Il plaisante, j'espère ? Il peut me cogner, comme l'ont fait tous les autres, mais je ne l'appellerai pas maître. Il peut toujours me priver de nourriture autant qu'il le voudra, si ça l'amuse autant. Mais l'appeler maître ? Jamais. Parce qu'un maître cela ne te brûle pas avec sa cigarette pour te faire descendre de son canapé. Parce qu'un maître cela ne t'écrase pas la queue avec son pied pour que tu te mettes à courir après cette balle qu'il a lancée. Ce n'est pas en me cognant avec tout ce qui lui tombe sur les mains qu'il pourrait m'inculper l'obéissance.

Un maître cela ne laisse pas son chien dehors alors qu'il pleut des cordes. Une chose c'est de punir, et une autre de maltraiter. J'avais gratté la porte tout en geignant quand la pluie a commencé à tomber. Mais il ne m'a pas ouvert. Et je savais que pour m'ouvrir ce n'est pas sur sa fille que je pouvais compter. Alors, n'étant pas maso, je suis allé trouver un endroit pour me mettre au sec... Puis j'ai vu cette porte s'ouvrir...

Si seulement les gens pouvaient te voir à travers mes yeux. Ils ne s'approchent pas de toi. Ils ont peur de toi. La plupart croît que tu « mords ». Ils préfèrent garder leur distance. Comme eux je les vois. Je les vois ces tatouages, ces piercings, tes cheveux dreadlocks... toutes ces choses qui les rebutent tant chez toi. Deux semaines que je te connais. Deux semaines que je vois comment ils te regardent. Et comment cela te touche. Cela te fait mal mais comme toujours tu feignes l'indifférence. Tu joues « les gros dur ». Tu es seule. Tu es seule parce que tu n'es pas comme eux. Quand tu fais quelque chose de bien, tu remets en doute leur croyance. Celle basée sur les apparences. Une personne fréquentable. Une bonne personne. Tu ne rentres pas dans leur domaine de définition alors ils te regardent de travers. Ils se sentent en sécurité derrière leurs préjugés et stéréotype. Ils sont comme tout le monde et cela les rassure. Être comme tout le monde, tu ne voulais pas. Tu es toi. Tu n'as pas voulu qu'on te lime ce qui dépasse, ce qui t'empêche d'entrer dans ce "moule" où ils croient tous qu'on doit modeler ce qu'est "une personne normale. Tu es différente. Tu te fais remarquer, alors pour te punir de ton « insolence », ils te cataloguent comme une fille bizarre, comme pas fréquentable sans même t'avoir côtoyé. Je les invite vraiment à le faire pourtant. Ils ne savent pas ce qu'ils ratent. Ils verront ce débordement d'amour dans tes yeux qui se matérialise en caresses et mots doux. Ils verront que douceur est ton deuxième prénom...

Je n'avais nulle-part où aller et personne ne voulait de moi. Mais tu m'as ouvert cette porte ce jour-là alors qu'il pleuvait. J'ai été méfiant au début, je l'avoue mais finalement je me suis dit que tu ne pouvais pas être pire que Ratrema ou les autres avant lui. Alors je suis rentré chez toi et...

« Hey mon vieux, tu es si maigre. Tu dois avoir faim » Et juste comme cela tu m'as donné de quoi manger. Tu as pansé mes plaies. C'est à cause de cette bonne à rien que l'on ne m'a pas choisi en fourrière. Et c'est à cause de ton apparence que les gens te repoussent. On fait bien la paire tous les deux tu ne trouves pas ? Si seulement les gens regardaient au-delà de ce qu'ils voyaient...

Comment je me suis fait cette plaie. Et bien je me suis arrêté devant cette poubelle un jour, histoire de trouver des restes quoi. Mais une bande de gars qui voulait prouver au monde entier qu'ils étaient les plus forts m'ont lancé des pierres pour m'intimer de partir. Oui, ils m'ont lancé des pierres. Ces mêmes gens qui te regardent de travers et t'étiquettent comme le diable en personne, comme "bon à rien", la fille "chelou". Moi, cela m'est égal. Pour moi tu seras ma maîtresse !