Nouvelles
9 min
Université publique du Nord au Cap-Haïtien
Pierrot, l’homme au rêve d’acier
Toute histoire commence un jour, quelque part. Certaines ont le même parcours pour disparaitre. Tandis que d’autres, comme celle de Jacques Pierrot résiste avec le temps, pour être écoutées par toutes les générations. Cet homme d’affaires a osé fixer des objectifs dans un milieu où, même les imaginations subissent des restrictions.
Jacques Pierrot habite dans une village non loin de Trou-du-Nord. La pauvreté qui pèse sur sa famille depuis des générations poussait les témoins à avancer que la misère est le seul bien – comme si ce qui fait mal pouvait être un bien – qu’héritaient les descendants de cette famille. Ce constat amer commence à s’ancrer comme une vérité absolue au sein même de la famille. Ils estiment tous que c’est une punition du grand Dieu d’être un Jacques. Monsieur Sopra Jacques. Le pionnier dans l’arbre généalogique de la famille a commis des péchés qui ont pu soulever la colère de Dieu, ont-ils tendances à répéter. Malgré l’éventualité de l’échec, chaque homme a le devoir de sauver sa famille. Mais, comment lutter avec le courage nécessaire quand avant même d’entamer la bataille, une excuse existe pour justifier son échec? C’est ainsi le cas pour plusieurs générations. Maintenant arrive le tour de Jacques Pierrot, lui le nouveau fils ainé.
Ils font partie de ces familles qui n’ont pas les moyens pour financer la scolarité complète de leurs enfants. Et dans ce pays, la scolarité gratuite et obligatoire n’est qu’une foutaise constitutionnelle pour rouler le peuple dans la farine. Ainsi, chaque génération s’occupe de propulser un membre de la famille pour qu’il puisse tendre la main aux autres. Ce qui est extrêmement difficile car le coût de la vie augmente chaque jour et les smicards ont un salaire stable. Cette idée vient de tarauder l’esprit de Pierrot en écoutant l’allocution du recteur de son université lors de la cérémonie de collation de diplôme. Là, il commence tout de suite à repenser à sa carrière. Il se pose des questions :
- Combien de temps ca va me prendre pour trouver un emploi?
- Et quel emploi me fournira assez de fonds pour répondre à mes besoins et à ceux de ma famille ? dans ses pensées en effervescence, il choisit un autre couloir et dit en son for intérieur, si je suis le parcours attendu de moi, je serai fini déçu, ma famille aussi, et le plus bête dans tout ça, je vais le remarquer jusqu’à la fin et il sera trop tard.
Pendant ce temps, son père imagine déjà la vie en rose. Son fils vient d’obtenir le grade de licencié en Sciences de la Gestion. Il ne peut plus cacher son enthousiasme. Il dit a Pierrot :
- Mon enfant, nous avons enfin réussi. Tu es le premier à atteindre cette barre dans la famille. Cela fait de toi celui qui va nous sortir de cette situation financière précaire.
Jacques s’acquiesça en écoutant les propos de son père. Celui-ci continue en disant ;
- Je suis convaincu que le sénateur Dieubon sera prêt à nous aider, dès demain je vais le voir. Toi tu n’as qu’à préparer ton dossier.
- D’accord père.
- Qu’en penses-tu de la douane, les gens qui y travaillent amassent de l’argent, et ont la chance de rouler de belles voitures sans tenir compte du prix de vente?
- Ça c’est de la corruption père, et je ne compte pas m’y embarquer si facilement.
Monsieur X frotte ses deux mains, les passent sur son visage. Puis, les trois doigts du milieu de chaque main sur un œil. Question de se rassurer qu’il ne rêve pas. C’est certain, il est en face de Pierrot, son fils. Le potentiel déchouqueur de la pauvreté familiale. Il continue :
- Peux-tu m’expliquer clairement ce que tu racontes fiston?
- Je suis convaincu que ce système ne peut rien me donner papa. Etant donné que je suis jeune, je vais ravigoter mes veines pour transpercer cette pauvreté mystérieuse qui gangrène notre famille depuis des générations.
Il lève sa tête, regarde son père dans les yeux et continue :
- Vous êtes un bon travailleur papa, ne crois pas que c’est un diplôme qui vous a manqué. Vous faites partis des hommes les plus courageux de la contrée, et pourtant vous faites partie des plus pauvres aussi. Ne vois-tu pas une incohérence, cette situation n’est-elle pas disproportionnelle à vos efforts ?
Monsieur X est conscient de cette situation. Mais il est à la fin de sa carrière. Lui, travailleur honnête et sérieux. Il ne dit rien à personne, parce qu’à son avis : mieux vaut garder le silence au lieu de passer tout son temps à formuler des excuses pour justifier son échec. Il pense à ces moments où il a refusé d’être militant au service des politiciens, ce qui lui aurait valu un emploi miroir, un emploi illicite. Ce fut, à côté de laisser le pays pour les Bahamas ou les États-Unis dans des boat-people, la meilleure façon de réussir à son époque. Comme il n’avait pas les moyens, une seule de ces opportunités s’offrait à lui, il ne l’a pas saisi et maintenant c’est trop tard. En se noyant dans son imagination, il fait une projection sur la vie de Pierrot qui se veut être un homme honnête dans un territoire de malhonnête, de corrompus, de politiciens véreux, d’hommes d’affaires cupides et d’ambitions claniques.
Cette rétro-projection lui a pris trois minutes. Puis, brusquement il crie haut et fort :
- Non, non je ne veux pas ça pour mon fils.
Il fit la volte-face pour s’en aller. Pierrot le poursuit et lui demande ce qui lui est arrivé.
- Tu m’as déçu, répond t-il laconiquement
Pierrot tente de lui présenter son plan, il lui interdit en disant je vis ici, et je comprends très bien comment fonctionne ce pays. Et ceci a failli être la dernière conversation entre père et fils que Pierrot a eu avec monsieur Joël.
Ne pouvant plus reculer. Pierrot pense à son plan. Il veut ouvrir sa propre boite. Une chaine de sandwicherie dans son département géographique. C’est ce qui lui parait sensée, mais très difficile. Considérant qu’il n’a rien en main, les banques commerciales ne prendront pas en considération sa demande. En plus de cela, aucune plateforme de financement participatif, aucun capital risqueur. Donc, financer son démarrage dans de telles circonstances nécessite des fonds propres. Pierrot ne sait plus quelle porte frappée pour trouver du financement. Il jure à lui-même de ne pas capituler.
En rentrant chez lui, il a trouvé son père dans une conversation amusante avec son petit frère Sofino. Celui-ci vient de lui annoncer qu’avec douze(12) autres amis, ils prennent la décision de laisser le pays pour aller au Chili dans les deux ans qui viennent. Issus tous de famille pauvre, leur stratégie consiste à construire des tirelires dans lesquels les parents viennent ajouter leur économie. C’est une bonne nouvelle pour Pierrot, une opportunité à saisir pour mettre son plan en exécution. Il s’est entretenu avec son frère et conclut : « Je vais voir Selandieu, le chef de fil du voyage afin de faire fructifier l’argent épargner en créant une entreprise sans mettre les parents au courant. »
Sofino reste à la maison. Et Pierrot, un cartable à la main, prend la route pour aller chez Selandieu. Arrivé, il frappa à la porte. Une dame vint ouvrir, il aperçut aussitôt Selandieu en train de lire dans le journal, recherchant surement des annonces d’emploi.
- Bonjour madame, élança-t-il, puis-je s’il vous plait voir Selandieu.
- Bien sûr, répondit-elle en pointant son doigt vers Selandieu, surpris de la visite, dans le salon, entrez, il est juste là.
La dame sortit dans la rue, et laissa les messieurs seuls.
- Selandieu ! Ça fait un bail. Qu’est-ce que t’es devenu?
- Ah ! La poisse ! J’ai enchainé des petits boulots, et maintenant, je suis au chômage, je lis justement le journal pour voir s’il n’y a pas d’offre d’emploi pour cette semaine. Et toi, ça va ?
- Au fait, je viens juste d’obtenir mon licence en Sciences de la gestion...
- Je le savais que t’allais réussir mec. Félicitations !
- Faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Obtenir la licence, c’est facile pour un homme studieux et motivé comme moi, mais on ne peut en dire autant pour un emploi.
- Ah ! Ça c’est vrai. J’en connais des masters dans le chômage.
- Au fait, j’ai un projet que je voudrais mettre sur pied. Je suis à la recherche de fonds pour commencer, et de main aussi pour travailler. Tu sais que mon métier consiste à faire fructifier des capitaux. J’ai envisagé de créer une entreprise avec les fonds épargnés pour votre voyage au Chili.
- Je te fais confiance frérot, ça tu le sais. Mais utiliser ce fonds me parait impossible, car les parents ne l’accepteront jamais. Ce voyage reste leur seul espoir.
- Je le sais, c’est pour ca qu’ils ne seront au courant de rien. Nous allons nous arranger pour retirer les fonds de la caisse chaque semaine. Ainsi, chaque nouvelle épargne constituera un investissement pour nous. Tout est déjà planifié frérot.
Pierrot montre le plan d’affaires à Selandieu. Celui-ci est surtout stupéfait surtout par les chiffres. Dans trois ans, nous aurons tous une autonomie financière. Laisser le pays pour trouver le pain quotidien sera optionnelle, mais plus jamais une obligation. 10% des bénéfices seront investis dans le social et contribueront à développer notre ville.
- Pierrot ! s’exclama Selandieu, pourquoi t’as choisi de risquer notre avenir au lieu d’accepter l’offre de ton père ?
Pierrot regarde Selandieu dans les yeux et répond :
- Nous sommes des laisser pour comptes frérot. Nous devons penser par nous-mêmes et pour nous-mêmes, lutter pour tailler une place dans le roc du monde. Notre terre doit cesser d’être sujet de toute calomnie, le souffre-douleur des peuples qui pensent pour leur avenir. Notre peau, et notre histoire sont fatiguées d’être nos seuls sujets de fierté, il est temps que les réalisations le sont aussi. Alors, nous allons nous battre et cesser de nous plaindre.
- Superbe idée frérot, tu parles comme un candidat qui fait sa campagne électorale, ajoute Selandieu en riant.
Ils se sont séparés sur la promesse que Selandieu va réunir son groupe de diaspora potentiel pour analyser l’idée. Au début, il a eu des récalcitrants. Mais Selandieu arrive à les convaincre en disant :
- Tout comme la vie, la réussite ne tient qu’à un fil, celui du travail intelligent. Or, nous sommes tous intelligents, alors nous formerons une équipe super-intelligente et nous sortirons tous gagnants.
Une heure après, Selandieu appelle Pierrot pour lui annoncer qu’ils ont tous mordus. Ils sont prêts à investir et s’investir dans le projet.
Les treize jeunes se mettent d’accord pour démarrer le projet avec le premier décaissement effectué. Chacun y apporte ses talents. En management, cuisine, et cycliste. La cuisine de Selandieu leur sert d’espace pour la préparation des mets. Pierrot a contacté les acheteurs potentiels et les proposent la livraison à domicile en temps voulu. Ils ont acheté trois vélos pour assurer la livraison. La première semaine tout se passe tellement bien qu’ils ont déjà décidé d’enterrer l’idée de laisser le pays.
Cependant, à la maison, il y a l’oncle de Pierrot qui vient de la capitale. En analysant l’idée du voyage, il a proposé de vider les tirelires pour faire la demande des extraits des archives, ensuite pour les passeports parce que ça risque de prendre du temps. Cette idée a plu à monsieur Joël. il attend Sofino pour mettre ses amis au courant de cette étape à franchir.
Sofino n’a pas pu prendre cette nouvelle pour une bonne. Au contraire, c’est une catastrophe potentielle pour leur entreprise. Il tente de convaincre son père que cela peut attendre, mais en vain. Ce dernier a ouvert la tirelire et ne voit pas un sou. Il ne comprend rien et demande à Sofino ce qui arrive. C’est à ce moment qu’arrive Pierrot. Il dit :
- Papa, Sofino n’est pour rien. Je les ai convaincus d’utiliser ce fonds pour ouvrir le restaurant.
- Quoi? Toi l’homme qui ne compte pas t’embarquer à la corruption. Voilà maintenant que tu y emmènes ton petit frère.
Pierrot a beau tenté d’amener son père à la raison. Mais ce dernier a alerté tous les parents concernés. Ils traitent de tous les noms leurs propres enfants. Ils ont même évoqué ces femmes qui vendent de la nourriture depuis plusieurs années et qui, malgré tout, reste dans la précarité financière. Ils exigent le remboursement immédiat de leurs capitaux et annulent le projet de voyage.
Coup dur. La survie de l’entreprise est menacée. La rumeur populaire n’est autre que : « Ces jeunes ont volé l’argent de leurs parents. » Ils ont même été obligés de laisser leur maison pour fuir la colère de leurs parents.
Pierrot ne sait plus quoi faire. Il a tenté tous les coups possibles pour trouver le financement nécessaire pour le remboursement et la survie de l’entreprise. Personne ne donne satisfaction à sa demande. Il a fait ce que le devoir lui impose. Il réunit ses associés et leur dit : « Mes amis, une jeunesse qui veut être l’avenir de son pays doit commencer par chercher ses propres voies. C’est ce que le destin nous impose. A partir d’aujourd’hui, nous allons vendre nos sandwichs sans tenir compte des dettes de nos parents, ils veulent notre réussite, mais par un autre chemin. Alors, offrons-les le résultat, la fin justifiera nos moyens. Dans trois mois nous serons en mesure de tout rembourser et assurer la croissance de notre entreprise. »
Super motivé, ils prennent la route pour vendre leurs produits. Ils ont un service après vente efficace. Ainsi, ils offrent le meilleur sandwich du département. Cet effort leur a valu plusieurs contrats. Et aujourd’hui « ZANMITAY SANDWICHERIE » est le meilleur du pays.
Jacques Pierrot habite dans une village non loin de Trou-du-Nord. La pauvreté qui pèse sur sa famille depuis des générations poussait les témoins à avancer que la misère est le seul bien – comme si ce qui fait mal pouvait être un bien – qu’héritaient les descendants de cette famille. Ce constat amer commence à s’ancrer comme une vérité absolue au sein même de la famille. Ils estiment tous que c’est une punition du grand Dieu d’être un Jacques. Monsieur Sopra Jacques. Le pionnier dans l’arbre généalogique de la famille a commis des péchés qui ont pu soulever la colère de Dieu, ont-ils tendances à répéter. Malgré l’éventualité de l’échec, chaque homme a le devoir de sauver sa famille. Mais, comment lutter avec le courage nécessaire quand avant même d’entamer la bataille, une excuse existe pour justifier son échec? C’est ainsi le cas pour plusieurs générations. Maintenant arrive le tour de Jacques Pierrot, lui le nouveau fils ainé.
Ils font partie de ces familles qui n’ont pas les moyens pour financer la scolarité complète de leurs enfants. Et dans ce pays, la scolarité gratuite et obligatoire n’est qu’une foutaise constitutionnelle pour rouler le peuple dans la farine. Ainsi, chaque génération s’occupe de propulser un membre de la famille pour qu’il puisse tendre la main aux autres. Ce qui est extrêmement difficile car le coût de la vie augmente chaque jour et les smicards ont un salaire stable. Cette idée vient de tarauder l’esprit de Pierrot en écoutant l’allocution du recteur de son université lors de la cérémonie de collation de diplôme. Là, il commence tout de suite à repenser à sa carrière. Il se pose des questions :
- Combien de temps ca va me prendre pour trouver un emploi?
- Et quel emploi me fournira assez de fonds pour répondre à mes besoins et à ceux de ma famille ? dans ses pensées en effervescence, il choisit un autre couloir et dit en son for intérieur, si je suis le parcours attendu de moi, je serai fini déçu, ma famille aussi, et le plus bête dans tout ça, je vais le remarquer jusqu’à la fin et il sera trop tard.
Pendant ce temps, son père imagine déjà la vie en rose. Son fils vient d’obtenir le grade de licencié en Sciences de la Gestion. Il ne peut plus cacher son enthousiasme. Il dit a Pierrot :
- Mon enfant, nous avons enfin réussi. Tu es le premier à atteindre cette barre dans la famille. Cela fait de toi celui qui va nous sortir de cette situation financière précaire.
Jacques s’acquiesça en écoutant les propos de son père. Celui-ci continue en disant ;
- Je suis convaincu que le sénateur Dieubon sera prêt à nous aider, dès demain je vais le voir. Toi tu n’as qu’à préparer ton dossier.
- D’accord père.
- Qu’en penses-tu de la douane, les gens qui y travaillent amassent de l’argent, et ont la chance de rouler de belles voitures sans tenir compte du prix de vente?
- Ça c’est de la corruption père, et je ne compte pas m’y embarquer si facilement.
Monsieur X frotte ses deux mains, les passent sur son visage. Puis, les trois doigts du milieu de chaque main sur un œil. Question de se rassurer qu’il ne rêve pas. C’est certain, il est en face de Pierrot, son fils. Le potentiel déchouqueur de la pauvreté familiale. Il continue :
- Peux-tu m’expliquer clairement ce que tu racontes fiston?
- Je suis convaincu que ce système ne peut rien me donner papa. Etant donné que je suis jeune, je vais ravigoter mes veines pour transpercer cette pauvreté mystérieuse qui gangrène notre famille depuis des générations.
Il lève sa tête, regarde son père dans les yeux et continue :
- Vous êtes un bon travailleur papa, ne crois pas que c’est un diplôme qui vous a manqué. Vous faites partis des hommes les plus courageux de la contrée, et pourtant vous faites partie des plus pauvres aussi. Ne vois-tu pas une incohérence, cette situation n’est-elle pas disproportionnelle à vos efforts ?
Monsieur X est conscient de cette situation. Mais il est à la fin de sa carrière. Lui, travailleur honnête et sérieux. Il ne dit rien à personne, parce qu’à son avis : mieux vaut garder le silence au lieu de passer tout son temps à formuler des excuses pour justifier son échec. Il pense à ces moments où il a refusé d’être militant au service des politiciens, ce qui lui aurait valu un emploi miroir, un emploi illicite. Ce fut, à côté de laisser le pays pour les Bahamas ou les États-Unis dans des boat-people, la meilleure façon de réussir à son époque. Comme il n’avait pas les moyens, une seule de ces opportunités s’offrait à lui, il ne l’a pas saisi et maintenant c’est trop tard. En se noyant dans son imagination, il fait une projection sur la vie de Pierrot qui se veut être un homme honnête dans un territoire de malhonnête, de corrompus, de politiciens véreux, d’hommes d’affaires cupides et d’ambitions claniques.
Cette rétro-projection lui a pris trois minutes. Puis, brusquement il crie haut et fort :
- Non, non je ne veux pas ça pour mon fils.
Il fit la volte-face pour s’en aller. Pierrot le poursuit et lui demande ce qui lui est arrivé.
- Tu m’as déçu, répond t-il laconiquement
Pierrot tente de lui présenter son plan, il lui interdit en disant je vis ici, et je comprends très bien comment fonctionne ce pays. Et ceci a failli être la dernière conversation entre père et fils que Pierrot a eu avec monsieur Joël.
Ne pouvant plus reculer. Pierrot pense à son plan. Il veut ouvrir sa propre boite. Une chaine de sandwicherie dans son département géographique. C’est ce qui lui parait sensée, mais très difficile. Considérant qu’il n’a rien en main, les banques commerciales ne prendront pas en considération sa demande. En plus de cela, aucune plateforme de financement participatif, aucun capital risqueur. Donc, financer son démarrage dans de telles circonstances nécessite des fonds propres. Pierrot ne sait plus quelle porte frappée pour trouver du financement. Il jure à lui-même de ne pas capituler.
En rentrant chez lui, il a trouvé son père dans une conversation amusante avec son petit frère Sofino. Celui-ci vient de lui annoncer qu’avec douze(12) autres amis, ils prennent la décision de laisser le pays pour aller au Chili dans les deux ans qui viennent. Issus tous de famille pauvre, leur stratégie consiste à construire des tirelires dans lesquels les parents viennent ajouter leur économie. C’est une bonne nouvelle pour Pierrot, une opportunité à saisir pour mettre son plan en exécution. Il s’est entretenu avec son frère et conclut : « Je vais voir Selandieu, le chef de fil du voyage afin de faire fructifier l’argent épargner en créant une entreprise sans mettre les parents au courant. »
Sofino reste à la maison. Et Pierrot, un cartable à la main, prend la route pour aller chez Selandieu. Arrivé, il frappa à la porte. Une dame vint ouvrir, il aperçut aussitôt Selandieu en train de lire dans le journal, recherchant surement des annonces d’emploi.
- Bonjour madame, élança-t-il, puis-je s’il vous plait voir Selandieu.
- Bien sûr, répondit-elle en pointant son doigt vers Selandieu, surpris de la visite, dans le salon, entrez, il est juste là.
La dame sortit dans la rue, et laissa les messieurs seuls.
- Selandieu ! Ça fait un bail. Qu’est-ce que t’es devenu?
- Ah ! La poisse ! J’ai enchainé des petits boulots, et maintenant, je suis au chômage, je lis justement le journal pour voir s’il n’y a pas d’offre d’emploi pour cette semaine. Et toi, ça va ?
- Au fait, je viens juste d’obtenir mon licence en Sciences de la gestion...
- Je le savais que t’allais réussir mec. Félicitations !
- Faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Obtenir la licence, c’est facile pour un homme studieux et motivé comme moi, mais on ne peut en dire autant pour un emploi.
- Ah ! Ça c’est vrai. J’en connais des masters dans le chômage.
- Au fait, j’ai un projet que je voudrais mettre sur pied. Je suis à la recherche de fonds pour commencer, et de main aussi pour travailler. Tu sais que mon métier consiste à faire fructifier des capitaux. J’ai envisagé de créer une entreprise avec les fonds épargnés pour votre voyage au Chili.
- Je te fais confiance frérot, ça tu le sais. Mais utiliser ce fonds me parait impossible, car les parents ne l’accepteront jamais. Ce voyage reste leur seul espoir.
- Je le sais, c’est pour ca qu’ils ne seront au courant de rien. Nous allons nous arranger pour retirer les fonds de la caisse chaque semaine. Ainsi, chaque nouvelle épargne constituera un investissement pour nous. Tout est déjà planifié frérot.
Pierrot montre le plan d’affaires à Selandieu. Celui-ci est surtout stupéfait surtout par les chiffres. Dans trois ans, nous aurons tous une autonomie financière. Laisser le pays pour trouver le pain quotidien sera optionnelle, mais plus jamais une obligation. 10% des bénéfices seront investis dans le social et contribueront à développer notre ville.
- Pierrot ! s’exclama Selandieu, pourquoi t’as choisi de risquer notre avenir au lieu d’accepter l’offre de ton père ?
Pierrot regarde Selandieu dans les yeux et répond :
- Nous sommes des laisser pour comptes frérot. Nous devons penser par nous-mêmes et pour nous-mêmes, lutter pour tailler une place dans le roc du monde. Notre terre doit cesser d’être sujet de toute calomnie, le souffre-douleur des peuples qui pensent pour leur avenir. Notre peau, et notre histoire sont fatiguées d’être nos seuls sujets de fierté, il est temps que les réalisations le sont aussi. Alors, nous allons nous battre et cesser de nous plaindre.
- Superbe idée frérot, tu parles comme un candidat qui fait sa campagne électorale, ajoute Selandieu en riant.
Ils se sont séparés sur la promesse que Selandieu va réunir son groupe de diaspora potentiel pour analyser l’idée. Au début, il a eu des récalcitrants. Mais Selandieu arrive à les convaincre en disant :
- Tout comme la vie, la réussite ne tient qu’à un fil, celui du travail intelligent. Or, nous sommes tous intelligents, alors nous formerons une équipe super-intelligente et nous sortirons tous gagnants.
Une heure après, Selandieu appelle Pierrot pour lui annoncer qu’ils ont tous mordus. Ils sont prêts à investir et s’investir dans le projet.
Les treize jeunes se mettent d’accord pour démarrer le projet avec le premier décaissement effectué. Chacun y apporte ses talents. En management, cuisine, et cycliste. La cuisine de Selandieu leur sert d’espace pour la préparation des mets. Pierrot a contacté les acheteurs potentiels et les proposent la livraison à domicile en temps voulu. Ils ont acheté trois vélos pour assurer la livraison. La première semaine tout se passe tellement bien qu’ils ont déjà décidé d’enterrer l’idée de laisser le pays.
Cependant, à la maison, il y a l’oncle de Pierrot qui vient de la capitale. En analysant l’idée du voyage, il a proposé de vider les tirelires pour faire la demande des extraits des archives, ensuite pour les passeports parce que ça risque de prendre du temps. Cette idée a plu à monsieur Joël. il attend Sofino pour mettre ses amis au courant de cette étape à franchir.
Sofino n’a pas pu prendre cette nouvelle pour une bonne. Au contraire, c’est une catastrophe potentielle pour leur entreprise. Il tente de convaincre son père que cela peut attendre, mais en vain. Ce dernier a ouvert la tirelire et ne voit pas un sou. Il ne comprend rien et demande à Sofino ce qui arrive. C’est à ce moment qu’arrive Pierrot. Il dit :
- Papa, Sofino n’est pour rien. Je les ai convaincus d’utiliser ce fonds pour ouvrir le restaurant.
- Quoi? Toi l’homme qui ne compte pas t’embarquer à la corruption. Voilà maintenant que tu y emmènes ton petit frère.
Pierrot a beau tenté d’amener son père à la raison. Mais ce dernier a alerté tous les parents concernés. Ils traitent de tous les noms leurs propres enfants. Ils ont même évoqué ces femmes qui vendent de la nourriture depuis plusieurs années et qui, malgré tout, reste dans la précarité financière. Ils exigent le remboursement immédiat de leurs capitaux et annulent le projet de voyage.
Coup dur. La survie de l’entreprise est menacée. La rumeur populaire n’est autre que : « Ces jeunes ont volé l’argent de leurs parents. » Ils ont même été obligés de laisser leur maison pour fuir la colère de leurs parents.
Pierrot ne sait plus quoi faire. Il a tenté tous les coups possibles pour trouver le financement nécessaire pour le remboursement et la survie de l’entreprise. Personne ne donne satisfaction à sa demande. Il a fait ce que le devoir lui impose. Il réunit ses associés et leur dit : « Mes amis, une jeunesse qui veut être l’avenir de son pays doit commencer par chercher ses propres voies. C’est ce que le destin nous impose. A partir d’aujourd’hui, nous allons vendre nos sandwichs sans tenir compte des dettes de nos parents, ils veulent notre réussite, mais par un autre chemin. Alors, offrons-les le résultat, la fin justifiera nos moyens. Dans trois mois nous serons en mesure de tout rembourser et assurer la croissance de notre entreprise. »
Super motivé, ils prennent la route pour vendre leurs produits. Ils ont un service après vente efficace. Ainsi, ils offrent le meilleur sandwich du département. Cet effort leur a valu plusieurs contrats. Et aujourd’hui « ZANMITAY SANDWICHERIE » est le meilleur du pays.