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Dans la pièce sombre, la lumière rouge donnait à son visage un faux air de cadavre. Le clapotis des différents liquides, l'humidité lourde et le silence achevaient de rendre l'atmosphère étouffante. Je le regardais, fascinée, manipuler ses instruments avec dextérité. La magie était en train d'opérer sous mes yeux.

Au bout de quelques instants, il poussa un soupir de satisfaction.

— Viens.

Je le suivis hors de la chambre noire. Les photos qu'il venait de développer étaient superbes. Des paysages. Le coin d'une rue. Un inconnu de profil, sur un banc, plongé dans un roman dont on ne voyait pas le titre.

— Je suis soufflée... Quelle maîtrise ! Tu n'utilises jamais rien d'autre qu'un vieil appareil argentique ?

— Il n'y a qu'avec cet appareil que je parviens à rendre ce grain, cette solidité diaphane du réel. Je ne l'échangerais contre rien au monde.

J'étais subjuguée. On m'avait souvent parlé de ce jeune photographe. Sorti de nulle part, sans que l'on n'ait jamais entendu parler de lui, il était apparu un jour sur la scène des artistes underground de la ville. Il s'y était rapidement fait une place grâce à son talent, sa capacité à capter l'intensité des scènes et à transformer chaque photographie en une véritable fenêtre sur le réel.
Il se dégageait de ces images quelque chose de presque troublant... C'était comme si la vie elle-même avait été capturée par l'objectif. Les photos donnaient ce sentiment légèrement dérangeant d'être en train d'épier ces gens, de les observer à leur insu, et nourrissaient le voyeur qui sommeille en chacun de nous...

Soudain, un détail attira mon attention : une larme s'écoulait le long de la joue de l'inconnu au livre. En étudiant son visage, il m'apparaissait maintenant qu'il n'avait pas du tout l'expression sereine qu'on attend d'un homme assis à lire sur un banc. Il semblait coincé, comme contraint d'être assis là, et surtout : il avait peur.

Je m'approchai du mur où étaient affichées d'autres photos. Une énorme boule se formait dans ma gorge, et je peinais à respirer. Ça avait toujours été là. Toujours. Mais je ne pouvais pas le voir. Ou plutôt je ne voulais pas...

Ici, des yeux terrifiés roulant dans leurs orbites. Là, un poing qui se serrait et se desserrait spasmodiquement. Là, enfin, quelques mots sur la buée d'une vitre...
« Aidez-moi... »

Une terreur froide s'insinua dans mes os. Comme quand, enfant, dans ma chambre, je regardais obstinément devant moi, refusant de voir la forme noire et menaçante qui se mouvait dans le coin de mon champ de vision.


J'entendis son souffle dans mon dos. J'étais paralysée. Il fallait que je fuie. Il le fallait. Je me retournai péniblement, juste à temps pour voir l'œil noir de l'appareil photo braqué sur moi.

***

Il observa le cliché avec satisfaction. Cette fois-ci, il s'était surpassé. La sueur qui continuait de perler sur la lèvre supérieure de la jeune femme, éternellement figée dans un cri muet, donnait toute sa saveur à cette œuvre.

Il l'accrocha avec les autres. Son panthéon. Son mur des âmes volées. Arrachées à leur corps. Emprisonnées sur le papier.

Il attrapa son appareil photo, ferma la porte, et se remit en chasse.

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