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Valencia est une fée et je suis probablement le seul à le savoir. J'ignore si elle le sait elle-même.
De la fenêtre de mon cabinet, j'aperçois sa silhouette encapuchonnée qui descend la rue. Autour d'elle, c'est le déluge. Les voitures passent à toute allure et l'éclaboussent. Elle avance comme si de rien n'était, tirant son espèce de chariot : une structure de poussette sur laquelle est coincée une ancienne caisse d'oranges. C'est moi qui l'appelle Valencia, c'est ce qui est écrit en grosses lettres sur la caisse. Je ne connais pas son nom. Elle semble très vieille et peu avenante. Ici, on est habitué à sa présence, même si la plupart du temps, les gens l'évitent, changent de trottoir ou font comme si elle était transparente. En toute saison, elle arpente notre petite ville et ramasse ce qu'elle trouve.
Un jour, il s'est passé un truc bizarre. J'étais dans un état d'esprit particulièrement sombre, préoccupé par une décision que je devais prendre et qui me faisait perdre le sommeil depuis plusieurs nuits. Alors que j'avais arrêté de fumer, le besoin irrépressible d'une cigarette m'avait repris et je marchais vers le bureau de tabac lorsque je l'ai croisée. C'est là qu'il s'est produit quelque chose d'incroyable. Mon humeur a immédiatement changé. La solution à mon problème m'est apparue comme s'il n'y avait jamais eu de problème, et mon envie de fumer s'est complètement évanouie. Je suis passé devant le tabac sans y entrer.
Quelque temps plus tard, ça s'est reproduit en rentrant chez moi après une journée très éprouvante, où les mauvaises nouvelles à annoncer à mes patients s'étaient accumulées. Là encore, au moment où Valencia est passée près de moi, voilà ma fatigue qui se volatilise.
J'ai commencé à faire le lien. Par la suite, chaque fois que l'occasion s'est présentée, je n'ai pas manqué de vérifier mon intuition. J'avoue que j'ai même utilisé mes patients, et je n'en suis pas fier. Lorsque j'apercevais Valencia descendre la rue, je disais à celui ou celle qui se trouvait dans mon cabinet :
— Allez faire quelques pas dehors et revenez. Vous allez voir, ça va vous faire un bien fou. On néglige trop souvent le pouvoir de l'air frais sur la santé.
Et à chaque fois, il ou elle remontait l'air réjoui et détendu en me disant :
— Ah Docteur, merci, vous êtes vraiment un magicien !
Et moi de répondre humblement :
— Mais non voyons, je n'y suis pour rien, c'est juste la science, rien que la science.
Mais ce qui a achevé de me convaincre, c'est lorsqu'un soir ma fille, une ado perpétuellement bougonne, hérissée de piquants, en particulier lorsque je lui adresse la parole, est rentrée, s'est précipitée sur moi, m'a embrassé et m'a dit :
— Comment ça va, petit Papa que j'aime ?
La célérité du chercheur a pris le dessus sur la stupéfaction du père et j'ai bondi vers la fenêtre. Je l'ai ouverte et j'ai entendu s'éloigner le cliquetis caractéristique des roues du chariot de Valencia.
La conclusion est sans appel : croiser Valencia résout instantanément tout ce qui nous préoccupe.
Depuis, les perspectives thérapeutiques qu'offre ce phénomène me hantent. Je me vois déjà en super-héros de la médecine. Ma réputation dépassera les limites du quartier, de la ville, du département même ! « Stop », je me dis, « tu deviens fou là ! ». L'idée m'obsède, elle revient déguisée, l'habit du mégalo dissimulé sous celui de l'altruiste. Comment refuser aux autres cette manne guérisseuse ? Un court instant, je me dis qu'il suffirait que j'en parle autour de moi pour inciter les gens à aller à la rencontre de Valencia. Mais non, cette pauvre femme serait harcelée, il faut que ma découverte reste sous contrôle. Sous mon contrôle.
L'autre jour, j'ai franchi un nouveau cap. J'ai payé un homme pour l'observer, la suivre jusqu'à l'endroit où elle passe la nuit et repasser me faire son rapport. Je l'ai attendu longtemps. Il est revenu frapper à ma porte à minuit passé, exténué, réclamant un supplément.
— Elle m'a baladé toute la journée, et pour finir, elle s'est enfoncée dans la forêt à la nuit tombée. Et là, désolé, j'ai abandonné.
Après ça, je n'ai plus revu Valencia pendant plusieurs jours. Je sentais une tension insupportable monter en moi, mélange d'inquiétude, de frustration et de désespoir.
Et ce matin, voilà qu'elle réapparaît en haut de la rue. Mon cœur s'emballe. Je ne peux plus prendre le risque de la voir disparaître à nouveau. Mon esprit se brouille. Je ne pense qu'à une chose : son don. Sans savoir exactement ce que je vais faire et dire, je me précipite dans les escaliers pour sortir et l'interpeller. C'est alors que la sonnette retentit. Je me fige. J'ouvre la porte.
C'est bien Valencia qui se tient sur le seuil. Son regard est franc. Elle me tend la main.
— Bonjour Docteur, j'ai bien réfléchi. J'accepte de vous aider. On commence demain.
Et déjà, elle tourne les talons pour continuer son chemin. Et elle ajoute, en se retournant une dernière fois :
—C'était pas la peine de me faire espionner et de m'envoyer votre sbire, suffisait de demander. Au fait, mon nom, c'est Pétunia Galène. À demain Docteur, passez une excellente journée !
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