Passion dévorante

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  • Merveilleux Et Fantastique

Seule dans sa chambre à l'étage de la grande maison, elle observait le ciel s'assombrir, le cœur battant. Chaque seconde qui passait la rapprochait de l'heure fatidique où les ombres recouvrent la Terre. L'heure où les morts sortent de leurs tombes, où les esprits traversent le voile en cette nuit où les créatures se mêlent aux humains. Les nuages s'écartèrent pour laisser la lune apparaître et illuminer la pièce plongée dans le noir. Silhouette frêle dans sa longue chemise de nuit, elle avait natté ses longs cheveux argentés après les avoir longuement peignés. Pas de bijou à son cou, aucune bague à ses doigts, pas de boucles à ses oreilles. Aucun maquillage ne venait combler les rides de son visage élimé par le temps. 

Une ombre surgit soudain dans le jardin. Son cœur manqua un battement. Il était là. La respiration saccadée, elle écouta longuement. Un coup soudain à la porte d'entrée la fit sursauter. Elle porta une main à sa poitrine alors que le son emplissait chaque recoin de la vieille maison. Un frisson lui parcourut l'échine ; elle trembla en avançant d'un pas léger, faisant craquer le plancher. Quand elle arriva sur le palier, un nouveau coup fit trembler la porte. Elle retint un cri et s'obligea à continuer son avancée alors que tout en elle lui criait d'aller se réfugier sous son édredon. Elle n'avait jamais fait installer l'électricité dans la maison, préférant l'apaisante lueur des bougies, le chauffage au bois, la vie au rythme de la nature, comme autrefois.

Les enfants du village la prenaient pour une sorcière et elle ne faisait rien pour démentir la rumeur. Elle était une vieille femme courbée en deux depuis bien longtemps, portant sur les épaules un châle sombre et usé. Chaque jour, elle sortait cueillir des herbes et des baies dans la forêt derrière la maison mal entretenue. Elle arrosait ses légumes et recueillait les chats du quartier qui, par un curieux hasard, étaient tous noirs. Dans le salon au rez-de-chaussée, une imposante bibliothèque débordait d'ouvrages tous plus anciens les uns que les autres. Et dans la cuisine, un chaudron en fonte chauffait en permanence au-dessus de braises qui semblaient éternelles. 

Alors qu'elle posait un pied sur la première marche de l'escalier plongé dans le noir, un nouveau coup retentit à la porte. Cette fois, un cri franchit la barrière de ses lèvres fines. Elle plaqua une main sur sa bouche, les yeux exorbités, le cœur affolé. Elle vit l'ombre d'un chat passer devant la cuisine, baignée dans la chaude lueur du feu sous le chaudron. Guidée dans l'obscurité par cette faible lumière, elle trouva le courage de descendre encore quelques marches. Un félin vint se frotter contre ses mollets maigres et repartit au salon en feulant. Derrière la porte, elle perçut des murmures, des râles. Il était là. Elle se figea, une main appuyée sur la rampe, alors qu'il grattait à la porte, augmentant l'impression de panique dans son cœur. En théorie, il ne pouvait pas entrer. Il n'était jamais entré. Il n'entrerait pas. 

— Bonsoir... souffla lentement le murmure du dehors. 

À peine audible, le son traversa le bois épais de la porte pour parvenir jusqu'à ses oreilles. Elle ne répondit pas. Il n'y avait rien à dire de toute façon. Il disparaîtrait au petit matin, comme chaque année, dès les premières lueurs de l'aube. Elle devait tenir jusqu'aux premiers rayons du soleil, et alors elle serait en paix... jusqu'à l'année prochaine. 

— Je sais que tu es là... reprit-il d'une voix traînante. 

Chaque année c'était la même chose et cela durait depuis... Elle avait l'impression que cela remontait à la nuit des temps. C'était quand la première fois ? Il y a quarante ? Cinquante ans ? Ils étaient si jeunes à l'époque, si naïfs, si innocents. 

— Je t'entends respirer... Ton cœur devient plus faible chaque année... continua-t-il d'une voix toujours très basse. Ouvre-moi !

Ça commençait. Il allait essayer de l'amadouer, de la supplier, de la faire flancher, dans l'espoir qu'elle ouvre enfin la porte. Ouvrir la porte n'était pas vraiment un problème. Le souci, c'était l'étape d'après, celle où elle l'invitait à entrer. Car elle savait que si elle ouvrait, elle était perdue. Aussitôt qu'elle croiserait son regard clair, son visage resté jeune et beau, toujours aussi séduisant, elle serait incapable de lui résister. 

— Ouvre-moi et laisse-moi entrer... 
— Va-t'en ! s'entendit-elle répliquer d'une voix chevrotante. Je t'en prie, laisse-moi...

Pendant des heures, il se fit tour à tour séduisant et menaçant. Ses ongles grattaient le bois et y laissaient des marques qu'elle ne prenait même plus la peine de poncer. Il se jetait sur la porte, dans un vain espoir de la faire céder. Il se mettait à l'insulter et elle se prenait la tête entre les mains, se bouchait les oreilles. Elle avait glissé contre le mur, avait ramené ses genoux contre sa poitrine et, malgré les élancements de douleur, elle restait là, incapable de bouger. Les larmes inondaient son visage, ses doigts emmêlaient ses cheveux, ses pleurs emplissaient la maison vide. Aux heures les plus noires de la nuit, elle s'entendit hurler pour ne plus l'entendre appeler, supplier, insulter. Elle se laissa glisser et s'allongea, entre l'entée et la cuisine. Deux des chats vinrent se lover contre la vieille femme pour lui tenir chaud, l'un derrière ses genoux, l'autre au creux de son ventre. 

Elle parvint malgré tout à s'endormir quelques minutes ou quelques heures, elle n'aurait su dire. Elle rêva de l'époque où ils vivaient ensemble dans cette maison. Ses longs cheveux encore sombres lâchés dans son dos, elle souriait chaque fois qu'elle le voyait et il lui renvoyait son sourire. Elle sentait son odeur musquée lui chatouiller les narines et l'envoyait prendre un bain en riant. Elle se rappelait son corps lourd sur elle quand ils étaient enlacés, dans leur grand lit à l'étage. 

Le froid la réveilla. Ou bien était-ce un nouveau coup à la porte et son cri derrière le battant fermé ? Elle se redressa et se remit péniblement sur ses pieds, clignant un peu des paupières, chassant les dernières vapeurs de ses rêves lointains. 

— Je t'en prie, mon amour, ouvre-moi et laisse-moi entrer, que nous soyons à nouveau réunis. L'éternité est trop longue sans toi à mes côtés... Je mettrai fin à tes souffrances et nous serons enfin réunis. Mon amour... 

La lueur de la lune par la fenêtre du salon lui parut plus fade, comme si le soleil était sur le point de se lever. C'était bientôt fini. Elle serait bientôt tranquille. Elle reporta son attention sur la porte. Il ne lui restait qu'à patienter quelques minutes et tout serait terminé. 

Soudain, un cliquetis attira son attention. Elle vit deux prunelles claires plonger dans son regard sombre et un sourire aux canines trop longues. 
Quand donc avait-elle ouvert la porte ? À quel moment l'avait-elle invité à entrer ? 
La dernière chose qu'elle vit fut ce regard empli d'une passion dévorante.

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