Parisien refoulé

« Maître ? Vous plaisantez ? Vous pouvez me cogner, comme l'on fait tous les autres mais je ne vous appellerai pas maître ».
Il venait de faire jour, disons presque 7h du matin lorsque j'entendis un volcan du bruit venir de l'extérieur, en plus, près de la case du roi. Très souvent, c'est autour de ces heures que ma famille quitte le sommeil bien que nous travaillions en dent de scie pendant les journées. Comme si c'était notre dernier jour sur terre. « Les africains n'ont plus un seul temps à perdre, ils doivent travailler sans se fatiguer pour pouvoir se comparer aux autres, disait mon père ».
J'entendis une fois de plus cette voix grave et dominante : êtes-vous sourds ? En aucun cas je vous appellerai maître. Je ne comprenais guère et je ne pouvais imaginer cette véhémence venir près de la case du roi. Dans notre village, le roi était vu comme un dieu et personne n'oserait parler avec un ton fort tout près de sa forteresse. Le calme était son ami. Le désordre et la mésentente entre habitant du village n'était pas sa tasse de thé. Il le détestait amèrement.
Assis dans mon lit, un faisceau d'interrogations malmenait mon entendement. Pourquoi ce bruit ? Se vacarme se fait-il à l'insu du roi ou pas ? En tout cas, les questions se posaient. À l'extérieur, les choses se dégénéraient. À entendre les voix, la situation était loin d'être contrôlée et le pire ne faisait que commencer. Je ne pouvais plus supporter d'entendre tout ce qui se disait dehors. La soif de vivre la scène prenait le dessus sur moi. Il fallait bien que je vive la réalité en face.
-Ah ah !!! mes sens ne me trompent jamais ! Donc, c'était bien vrai ce que j'imaginais... disais-je. Lorsque je sortis de ma case, je vis un grand homme géant, noir avec la peau rincée. Il était tout neuf et différent de tous les hommes du village. A dire vrai, il puait l'Europe. Il était très en colère et parlait au roi avec un ton inimaginable. Les gros français sortaient de sa bouche à en croire l'écrivain Senghor tenir un discours à l'académie française. Il monopolisait la parole et ne laissa personne en placer une. C'était scandaleux !
- Quel jour mémorable, répétais-je.
Je le trouvais plutôt tenace ! Personne n'avait osé tenir tête au roi. Je pense que, si les élections devraient être organisées, je le voterais, peut-être. Il m'inspirait, enfin, amèrement. Je voulais être dans son camp et d'en finir avec le roi. Mais, dans les petits instants qui suivaient, la conscience m'étais revenue. J'avais l'impression de rater une partie du film. Il fallait se mettre à la page avant de choisir un camp. Mais, à qui demander pendant cet instant ? La foule s'agitait. Certaines personnes étaient entrait de murmurer à ce sujet.
J'entamai la conversation avec un ancien du village afin qu'il me relate le début des faits dans les moindres détails. Il me regarda avec mépris et s'écarta, loin de moi.
- C'est dans ma bouche tu veux manger piment ? lança-t-il.
Je me sentis embarrassé. Peut-être que, je lui ai mal parlé. Je me demandais au fond de moi-même. Quoi qu'il en soit, Il n'était pas question que je baisse la garde. Il fallait bien que je trouve une personne qui pouvait bien m'en parler jusqu'à mettre un peu de sel et du piment ; comme on relate les choses à l'accoutumer.
- Mais ce n'est pas possible. Moi qui pensais qu'avec quelques coups de fouets que les gardes de corps du roi lui ont donnés, lui changerait finalement d'avis : développa une vieille femme à mes côtés.
Je trouvai donc que, c'était le moment opportun de lui poser quelques questions qui me paraissaient floues. Surtout que, c'était elle-même qui avait voulu entamer la conversation avec moi. Je ne l'avais rien demandé.
- Mamie que se passe-t-il ? pourquoi ce monsieur est-il furieux ?
- Ah mon fils, que veux tu que je te dise ? vous les jeunes, vous croyez tout savoir. Jusqu'à oublier d'où vous venez. Nos traditions, nos valeurs ne vous disent absolument rien. Vous pensez que se frotter avec ceux-là vous donnent le droit d'oublier ce que vous êtes ; me répondit la vielle mère, avec une voix de détresse.
- Mais de quoi parlez-vous Mamie ? Pouvez-vous m'en dire un peu plus ?
- Mon fils ! ne vois-tu pas que j'en ai marre de tes stupides questions ? Quoi, es tu devenu un policier qui aime tout savoir ? Je te signale que je ne suis pas de ta promotion. Va plutôt te renseigner auprès des personnes qui ont le même âge que toi.
J'étais confus. Les leçons de morales que cette vielle femme m'avait faite, bouillonnaient dans mes oreilles. Je m'apercevais que, quelque chose se passait. Je ne trouvais plus l'intérêt de me renseigner à quiconque, même pas à des jeunes de mon âge. Il faisait très chaud ce jour-là. Comme si on était en enfer ; comme on nous le relate tout le temps dans les églises... Allez-y comprendre.
J'étais impatient de voir le roi tenir le discours pour convaincre le boudeur devant son peuple. Le temps avançait et ce dernier se sentait invincible. Certaines personnes ne voulaient plus l'entendre parler. Presque tous les mots qui sortaient de sa bouche, formaient les phrases de Molière. La langue nationale, il en parlait à peine. Pourtant, Il était d'origine congolaise. Il avait un appareil photo sur son coup et un petit sac à dos. Quelques cartes occupaient ses mains. Difficile d'imaginer sa présence dans le village. Les jeunes villageois l'admiraient. Y compris moi. Sa façon de manier la langue française nous faisait planer. En revanche, il ennuyait les vieux du village.
Quelques heures passées, le roi prit enfin la parole. C'était le moment qu'on n'avait jamais attendu. Le calme était enfin revenu. Même monsieur le français s'était tu. On entendait plus une seule de nos voix. Rien que le vent qui défilait près de nos oreilles. Le roi était presque mourant. Tous les habitants du village le savaient. Mettre nos langues dans les poches était la seule solution de pouvoir l'entendre.
- Il est bien vrai qu'on m'avait dit que, j'allais avoir de la visite de votre part mais on ne m'avait pas signalé que vous étiez si bête. Franchement, vous me faites douter de votre niveau d'étude. On ne croirait pas une personne en troisième année de thèse : dit le roi
- Monsieur, avec tout le respect que je vous dois, je ne vous permets pas de me parler sur ce temps. Il répliqua.
- Taisez-vous... Mais de quel respect me parlez-vous ? ça vous coûte quoi de vous incliner devant moi et de m'appeler maître ? ne saviez-vous pas que c'est comme ça qu'on salut les chefs du village ici ? arrêtez vos caprices de blancs. Respectez la tradition et faites plaisir aux ancêtres. Développa le roi.
- Quoi ? Tradition ? la seule personne en qui je dois le nom de maître est le Dieu tout puissant, celui qui est mort à la croix pour moi. J'espère que vous aviez une fois lu la bible. C'est de lui que je parle. Lui répondit.
- Oh ! Dieu tout puissant. L'aviez-vous déjà vu ? Bon, écoutez-moi, remballer tout de suite votre fierté et faites ce qui est bien pour la tradition. Dit encore le roi.
- Ne comptez pas sur moi pour le faire, parce que je ne le ferai pas, Il insista.
La foule cria. Difficile d'imaginer ce film. Pour les anciens du village, la désobéissance en était de trop. Pour eux, c'était non seulement une insulte à leur égard, mais aussi à la tradition africaine. La tradition à qui, le monsieur doit tout le respect quel que soit son origine, selon leurs valeurs héritées. Ça ne valait plus la peine de le réexpliquer. Les villageois s'étaient sévèrement sentis insultés. C'était le pire cauchemar que nous n'avions jamais fait. Après ce coup scandaleux, le roi lui laissa partir aisément.
Plusieurs mois s'écoulèrent, nous apprenions enfin les nouvelles du monsieur. Il habitait maintenant Mbota-Carlos, l'un des quartiers chauds de Pointe-Noire. Celui qu'on avait surnommé monsieur le "gros français", s'appelait maintenant "parisien refoulé". Il ne pouvait plus mettre pied dans les pays d'Europe. Sur son visa, on avait griffonné dessus.