Maître? Vous plaisantez? Vous pouvez me cogner, comme l'ont fait tous les autres mais je ne vous appellerai pas maître.
Je m'étais abrité en-dessous du vieux banc en bois qui me servait de bouclier alors qu'il essayait de m'atteindre avec une trique que je tentais de saisir entre mes crocs. Dans notre lutte quelques barils se renversèrent, cette fois dans un fracas tel que l'un d'eux s'ouvrit. Son contenu éparpillé sur le sol laissa dégager une odeur fermentée qui envahit l'espace miteux que je n'avais jamais quitté depuis mon arrivée. Un tapis de liquide pourpre s'étendit à nos pieds apportant un peu d'éclat à cette pièce lugubre où mon horloge d'agonie tournait au quotidien; mes moments de répit étant les douces heures nocturnes où ils étaient tous affairés à renflouer leurs batteries physiologiques afin que les prochaines heures de torture soient plus imaginatives que les précédentes.
Je réussis à saisir le bâton de mon museau et le tins fermement. Le géant d'homme m'attira à lui et me lança quelques coups de jambes que l'habitude des mois me permit d'esquiver sans trop grande difficulté.
"Viens ici, sale bête!" Cria-t-il en tirant cette fois-ci sur les grandes mailles de la chaîne en fer qui me strangulait constamment le cou.
Lorsque je fus assez proche de lui, il me gratifia de coups de batte et de pieds qui me poussèrent à m'égosiller. Dans sa rage, il m'enleva pour la toute première fois depuis qu'elle m'avait été mise la chaîne de la captivité afin de m'emmener dans l'arrière-cour finir sa pitoyable besogne. Dehors, je parvins malgré notre affrontement à savourer la mignardise du vent dans ma fine fourrure. D'un bond je lui saisis la cuisse et m'acharnai dessus quelques bonnes minutes jusqu'à ce qu'une saveur chaude et visqueuse m'humecta le palais. Lorsque je fus exténué de le charcuter, je lâchai prise tandis qu'il s'étalait de tout son poids sur le parquet de briques argentées, hurlant de douleur.
Le souffle éolien dans mes grandes oreilles fuselées, cette fois, me murmurait que la liberté était mienne. Il m'était revenu de me l'approprier.
Aujourd'hui, c'est mon jour. Aujourd'hui, je m'en vais. Et plus jamais j'appartiendrai à un humain.
Une vue étrangement belle que les mois de séquestration m'avaient ôtée de la mémoire me parut. Encore essoufflé, je jetai un regard au sombre espace que j'occupais jusqu'alors. Deux récipients usés dont les fonctions m'échappaient presque totalement étaient posés sur le sol. Ils étaient pleins à mon arrivée. L'un d'eau, l'autre de succulentes croquettes. J'avais été conduit par une personne tout à fait aimable qui semblait apprécier le petit havre de confort qui m'avait été réservé. A l'époque il s'y trouvait un grand coussin, une couette et j'avais même droit à un appareil qui hérissait mes poils de fraîcheur. Et puis le temps s'est écoulé, et l'aimable femme au cœur tendre cessa de venir. Quelques jours ont passé au calme. Il n'y avait ni caresse, ni coup. Il y avait juste le calme. Un calme qui n'alertait pas le candide clébard que j'étais alors. Puis un beau matin, ce fut ma couette qui me fut enlevée alors que je m'y étais confortablement enroulé. Il était là et moi, tout enjoué je sautillais autour de lui. Ma minuscule queue couverte de poils bruns et noirs témoignaient la joie de le revoir et combien les jours sans lui avaient été longs. Ce fut la première fois qu'il me toucha d'une manière différente. Ce n'était pas la douceur des mains délicates que je connaissais. Ce n'était guère rassurant. Un peu troublé, j'en avais rejeté la faute à dame maladresse, espérant recevoir le lendemain mes gâteries habituelles. Mais, elles ne revinrent plus. Ma couverture n'était plus et un très lourd et long collier qui me limitait dans mes déplacements et que je n'affectionnais nullement m'avait été offert. Le bien-être auquel j'avais droit des jours plus tôt s'envola et chaque nouveau matin était plus dur que celui d'avant.
"Je vais te tuer!" Râlait l'homme furieusement.
Sans plus tarder, je me précipitai vite fait vers le portail. Cet endroit n'aurait en souvenir de mon passage que mes empreintes de pas ensanglantés par le liquide vital de ce monstre d'humain et mes poils que la maltraitance avait fait tomber. Je sautai par-dessus la haie. De l'autre côté de ce qui avait été ma cellule pendant de longues semaines se trouvaient une multitude d'entre eux. Des centaines d'humains déambulaient hâtivement. Je cachai ma queue entre mes pattes arrière, mes oreilles dirigées dans le sens contraire de ma truffe.
Peut-être que là-bas là-dedans, ce n'est pas si mal; après tout ils ne sont pas plus que cinq.
Je longeai prudemment la rue. Ils semblaient trop débordés ou trop pressés pour m'apercevoir. Mon odorat déstabilisant me conduisit vers un coin reculé ou une bonne odeur de pâtisserie fit valser ma poche gastrique. Trop occupé à m'imaginer déguster une nourriture succulente pour la toute première fois depuis ce qui m'a paru être une éternité, je me retrouvai le museau coincé dans une marmite en plastique. Je me débattus afin de m'en débarrasser, sans succès. C'est alors que je sentis une main attraper le bocal pour me l'enlever. Une fois libéré, mon instinct de défense me poussa à m'enfuir mais la frayeur et ma vacuité énergétique m'obligèrent à demeurer médusé.
Il était assis. Une couverture trouée et poussiéreuse protégeait ses maigres fesses du sol. Il était vêtu d'un maillot trop grand qui laissait voir ses proéminentes clavicules. Il avait une petite touffe brunâtre au sommet du crâne et au bas du visage. Ses yeux globuleux au milieu de sa figure maigrichonne semblaient compter les secondes pour sortir de leurs orbites. Il me sourit timidement. Un dentier incomplet et usé m'apparût. On se ressemblait lui et moi. Il était une évidence que nous avions la misère pour maîtresse commune. Il sortit d'un vieux sac en tissu un bout de pain visiblement aussi solide qu'un roc.
"C'est pas grand-chose mais cela peut t'aider à tenir un peu." Me dit-il.
Je saisis la biscotte qu'il me tendait et y croquai durement. Je sentis sa main naviguer à travers mon dos avec douceur. Malgré moi, je me laissai faire, fermant les yeux à demi, hydratant mon bout du nez de ma langue et remuant timidement l'extension de ma colonne vertébrale. Cela faisait si longtemps! Je finis mon biscuit sous le gracieux bichonnage de ses maigres doigts...
Vous, je vous appellerai bien maître, rien que pour un moment comme celui-ci.
Je m'étais abrité en-dessous du vieux banc en bois qui me servait de bouclier alors qu'il essayait de m'atteindre avec une trique que je tentais de saisir entre mes crocs. Dans notre lutte quelques barils se renversèrent, cette fois dans un fracas tel que l'un d'eux s'ouvrit. Son contenu éparpillé sur le sol laissa dégager une odeur fermentée qui envahit l'espace miteux que je n'avais jamais quitté depuis mon arrivée. Un tapis de liquide pourpre s'étendit à nos pieds apportant un peu d'éclat à cette pièce lugubre où mon horloge d'agonie tournait au quotidien; mes moments de répit étant les douces heures nocturnes où ils étaient tous affairés à renflouer leurs batteries physiologiques afin que les prochaines heures de torture soient plus imaginatives que les précédentes.
Je réussis à saisir le bâton de mon museau et le tins fermement. Le géant d'homme m'attira à lui et me lança quelques coups de jambes que l'habitude des mois me permit d'esquiver sans trop grande difficulté.
"Viens ici, sale bête!" Cria-t-il en tirant cette fois-ci sur les grandes mailles de la chaîne en fer qui me strangulait constamment le cou.
Lorsque je fus assez proche de lui, il me gratifia de coups de batte et de pieds qui me poussèrent à m'égosiller. Dans sa rage, il m'enleva pour la toute première fois depuis qu'elle m'avait été mise la chaîne de la captivité afin de m'emmener dans l'arrière-cour finir sa pitoyable besogne. Dehors, je parvins malgré notre affrontement à savourer la mignardise du vent dans ma fine fourrure. D'un bond je lui saisis la cuisse et m'acharnai dessus quelques bonnes minutes jusqu'à ce qu'une saveur chaude et visqueuse m'humecta le palais. Lorsque je fus exténué de le charcuter, je lâchai prise tandis qu'il s'étalait de tout son poids sur le parquet de briques argentées, hurlant de douleur.
Le souffle éolien dans mes grandes oreilles fuselées, cette fois, me murmurait que la liberté était mienne. Il m'était revenu de me l'approprier.
Aujourd'hui, c'est mon jour. Aujourd'hui, je m'en vais. Et plus jamais j'appartiendrai à un humain.
Une vue étrangement belle que les mois de séquestration m'avaient ôtée de la mémoire me parut. Encore essoufflé, je jetai un regard au sombre espace que j'occupais jusqu'alors. Deux récipients usés dont les fonctions m'échappaient presque totalement étaient posés sur le sol. Ils étaient pleins à mon arrivée. L'un d'eau, l'autre de succulentes croquettes. J'avais été conduit par une personne tout à fait aimable qui semblait apprécier le petit havre de confort qui m'avait été réservé. A l'époque il s'y trouvait un grand coussin, une couette et j'avais même droit à un appareil qui hérissait mes poils de fraîcheur. Et puis le temps s'est écoulé, et l'aimable femme au cœur tendre cessa de venir. Quelques jours ont passé au calme. Il n'y avait ni caresse, ni coup. Il y avait juste le calme. Un calme qui n'alertait pas le candide clébard que j'étais alors. Puis un beau matin, ce fut ma couette qui me fut enlevée alors que je m'y étais confortablement enroulé. Il était là et moi, tout enjoué je sautillais autour de lui. Ma minuscule queue couverte de poils bruns et noirs témoignaient la joie de le revoir et combien les jours sans lui avaient été longs. Ce fut la première fois qu'il me toucha d'une manière différente. Ce n'était pas la douceur des mains délicates que je connaissais. Ce n'était guère rassurant. Un peu troublé, j'en avais rejeté la faute à dame maladresse, espérant recevoir le lendemain mes gâteries habituelles. Mais, elles ne revinrent plus. Ma couverture n'était plus et un très lourd et long collier qui me limitait dans mes déplacements et que je n'affectionnais nullement m'avait été offert. Le bien-être auquel j'avais droit des jours plus tôt s'envola et chaque nouveau matin était plus dur que celui d'avant.
"Je vais te tuer!" Râlait l'homme furieusement.
Sans plus tarder, je me précipitai vite fait vers le portail. Cet endroit n'aurait en souvenir de mon passage que mes empreintes de pas ensanglantés par le liquide vital de ce monstre d'humain et mes poils que la maltraitance avait fait tomber. Je sautai par-dessus la haie. De l'autre côté de ce qui avait été ma cellule pendant de longues semaines se trouvaient une multitude d'entre eux. Des centaines d'humains déambulaient hâtivement. Je cachai ma queue entre mes pattes arrière, mes oreilles dirigées dans le sens contraire de ma truffe.
Peut-être que là-bas là-dedans, ce n'est pas si mal; après tout ils ne sont pas plus que cinq.
Je longeai prudemment la rue. Ils semblaient trop débordés ou trop pressés pour m'apercevoir. Mon odorat déstabilisant me conduisit vers un coin reculé ou une bonne odeur de pâtisserie fit valser ma poche gastrique. Trop occupé à m'imaginer déguster une nourriture succulente pour la toute première fois depuis ce qui m'a paru être une éternité, je me retrouvai le museau coincé dans une marmite en plastique. Je me débattus afin de m'en débarrasser, sans succès. C'est alors que je sentis une main attraper le bocal pour me l'enlever. Une fois libéré, mon instinct de défense me poussa à m'enfuir mais la frayeur et ma vacuité énergétique m'obligèrent à demeurer médusé.
Il était assis. Une couverture trouée et poussiéreuse protégeait ses maigres fesses du sol. Il était vêtu d'un maillot trop grand qui laissait voir ses proéminentes clavicules. Il avait une petite touffe brunâtre au sommet du crâne et au bas du visage. Ses yeux globuleux au milieu de sa figure maigrichonne semblaient compter les secondes pour sortir de leurs orbites. Il me sourit timidement. Un dentier incomplet et usé m'apparût. On se ressemblait lui et moi. Il était une évidence que nous avions la misère pour maîtresse commune. Il sortit d'un vieux sac en tissu un bout de pain visiblement aussi solide qu'un roc.
"C'est pas grand-chose mais cela peut t'aider à tenir un peu." Me dit-il.
Je saisis la biscotte qu'il me tendait et y croquai durement. Je sentis sa main naviguer à travers mon dos avec douceur. Malgré moi, je me laissai faire, fermant les yeux à demi, hydratant mon bout du nez de ma langue et remuant timidement l'extension de ma colonne vertébrale. Cela faisait si longtemps! Je finis mon biscuit sous le gracieux bichonnage de ses maigres doigts...
Vous, je vous appellerai bien maître, rien que pour un moment comme celui-ci.