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Histoire d'art
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Panneaux solaires
Diane Marnier <br><i>Conférencière à la Réunion des musées nationaux – Grand Palais</i>
Le verdict vient de tomber : « selon l'article 131-8 du Code pénal, je vous condamne à vingt heures de travaux d'intérêt général. » Ces quelques mots prononcés à l'instant par le juge ne provoquent qu'un léger haussement de sourcils chez Sofia. Travailler, même pour rien, est toujours mieux que d'aller en prison.
La jeune fille sort du tribunal pour enfants. Elle sait que le fait d'être encore mineure a plaidé en sa faveur et a dissuadé le juge de la condamner à une peine plus lourde. Son éducatrice, Jocelyne, le lui a suffisamment répété. Elle lui a d'ores et déjà trouvé un tuteur à la mairie de Chalon-sur-Saône. Ce n'est pas que Sofia tienne à rester dans cette ville mais Jocelyne a des contacts. Pendant ces vingt heures de travail non rémunéré – ça aussi Sofia l'a bien enregistré – elle va être encadrée par un tuteur, Youssouf. Il est cantonnier pour la mairie. C'est lui qui vide les poubelles de rue, nettoie les graffitis, décolle les stickers des panneaux...
Quand Sofia arrive à la mairie le lundi suivant pour le rencontrer, Youssouf est en tenue et a déjà fini sa première ronde autour de l'hôtel de ville. C'est un homme mince, grand, à l'allure nonchalante. Sa petite moustache frémit à chacun de ses mouvements. À peine un bonjour et les voilà dans la balayeuse, en route pour le quartier de la Citadelle. Un taiseux le tuteur. Sofia se dit que les journées risquent d'être longues. Au moins, elle n'aura pas à raconter son histoire.
Arrivés près du square de l'Arquebuse, Youssouf stationne le véhicule. Tous deux prennent une pince ramasse-déchets et commencent à nettoyer le square. Quelques parents, quelques enfants, un ou deux joggers, il est encore tôt. Alors que Sofia s'amuse à attraper deux canettes de soda d'un coup, elle voit briller quelque chose sur le panneau de stationnement handicapé tout proche. Elle relâche ses prises pour aller voir de plus près. Quelqu'un s'est amusé à coller des papiers colorés sur le panneau. Le triste pictogramme s'est changé en petit tableau. Le maigrichon du fauteuil est devenu une femme aux cheveux châtains vêtue d'une robe à paillettes qui danse avec une autre en robe verte. Sofia ne peut s'empêcher de sourire. Après tout ce qu'elle vient de vivre, un peu de bonne humeur lui fait du bien. Mais quand Youssouf arrive, la moustache triste, il a une spatule à la main pour décoller les stickers. Sofia lui demande de ne pas les enlever, son tuteur est intraitable. La jeune fille, alors, lui promet de s'en occuper quand elle aura fini avec les canettes. Évidemment, à la fin de la journée, la robe à paillettes est toujours là.
Les jours passent et Sofia oublie que ce travail est une punition. Elle se prend au jeu de trouver les panneaux handicapé transformés. Elle trouve une Wonder Woman, deux jeunes femmes qui trinquent et un joueur de basket fauteuil. Celui-là, c'est son préféré. Ça fait longtemps que la jeune fille suit l'équipe de Chalon et elle est ravie de voir qu'elle n'est pas la seule. Même la mascotte a été ajoutée sur le panneau !
Alors que Sofia change un sac poubelle, elle aperçoit une femme blonde en fauteuil roulant en train de bricoler sur une place handicapé. Elle approche sans bruit et regarde par-dessus son épaule. C'est elle ! La street artiste qui transforme les panneaux ! Celle que l'on surnomme MC Solaire se retourne et fait un clin d'œil à Sofia.
Le cœur de la jeune fille bat plus vite en regardant cette artiste travailler. À la fois joyeuse et rebelle. Ça lui donne envie d'apporter, elle aussi, un peu de bonne humeur dans les rues et le quotidien des passants...

MC Solaire
MC Solaire est le nom d'artiste de Marie-Caroline Brazey, street-artiste française contemporaine. Elle détourne des panneaux représentant le handicap à l'aide de stickers éphémères afin d'éveiller l'intérêt des passants et de les sensibiliser à la différence et l'accessibilité.
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