
C’est un pâle rayon de lune de décembre qui, en se glissant entre les rideaux, vient taquiner le visage d’Alice. Elle ouvre d’abord des yeux étonnés : cette chambre n’est pas la sienne. Ah oui, c’est vrai, ses parents l’ont confiée hier pour une semaine à son oncle Benoît. Pas très marrant pour un début de vacances !
Il faut l’avouer, Benoît est un oncle plutôt sympa. Il est aux petits soins pour sa nièce, mais c’est un savant, un vrai, et il en a toutes les qualités et tous les défauts. Parfois, il regarde Alice sans la voir et se parle tout seul à voix basse. Et il lui arrive d’oublier les choses les plus simples, comme manger, dormir, fermer le robinet de la douche ou la portière de la voiture. Alice a bien dû s’y faire : la plupart du temps, son oncle vit dans son monde et ses expériences. Son métier c’est chercheur. Il est équipé pour ça, il a même un laboratoire chez lui. Une aile de la maison où il est seul à pénétrer. Il n’y accepte même pas la visite du jeudi de Carmela, l’indispensable aide-ménagère. C’est surtout là qu’il cherche, dans son laboratoire, même s’il va de temps à autre à l’université pour rencontrer d’autres chercheurs qui apparemment n’ont encore rien trouvé non plus.
Et justement, en partant tôt ce matin pour l’université, il était un peu tracassé. Il sentait qu’il oubliait quelque chose. Mais quoi ? Il ne s’en souviendra que dans l’après-midi.
Alice n’a pas attendu si longtemps pour se lever. Elle connaît bien son tonton Ben et elle a constaté sans s’étonner : « évidemment, il m’a oubliée ! » Qu’à cela ne tienne, à six ans on sait se débrouiller. Elle rend une rapide visite au réfrigérateur et hop : son p'tit déj' est avalé sur place. La voilà prête pour… Pour quoi faire au fait ? Elle ne connaît personne dans le quartier avec qui jouer. Et de toute façon, le ciel s’est couvert et la neige menace de tomber. La télé ? Inutile d’y penser : chacun rigole dans la famille de l’écran plat du tonton qui n’est raccordé à rien et qui ne lui sert que de panneau d’affichage pour ses nombreux Post-it. Bref, elle ne voit que deux possibilités : s’ennuyer ferme ou partir à la découverte du labo mystérieux. Le choix est vite fait.
Le domaine du savant est fermé à clef, mais – c’était à prévoir – le distrait a oublié la clef dans la serrure. Alice entre donc à pas de loup et se retrouve dans une petite pièce assez sombre. La seule source de lumière naturelle vient du verre dépoli de l’unique porte qui perce le mur de droite. Face à lui, la paroi est couverte d’étagères disparates dont les planches arquent sous le poids de vieux dossiers. Et au fond de la pièce trône un énorme meuble-bureau encombré de documents et d’un fameux bric-à-brac. Les yeux d’Alice glissent successivement sur des lunettes de plongée, une tasse ébréchée, une lampe de poche, un stéthoscope, une loupe, une trousse à outils… Quel fourbi ! Mais c’est surtout la porte vitrée qui l’attire.
Ici, pas de serrure. Le laboratoire éclairé par trois minuscules fenêtres est à peine moins sombre que le petit bureau et, comme si ça ne suffisait pas, d’imposants caissons de volets électriques surplombent les linteaux. Tonton Ben qui n’est pas sans humour s’est évidemment permis une fantaisie, sous la forme d’un court texte, calligraphié à même le mur : « Pour voir clair en optique, il faut qu’il fasse noir ». Face aux fenêtres, Alice découvre un immense écran blanc encadré de deux armoires vitrées remplies d’instruments bizarres. Au centre du local, sur une table-bureau, une série d’ordinateurs portables et de tablettes en état de veille sont reliés entre eux et à plusieurs projecteurs multimédias. C’est incroyable : au contraire du reste de la maison, tout est ici impeccablement rangé. Alice, qui croyait partir à la découverte du trésor cherché par son oncle dans une sorte de caverne d’Ali Baba, soupire sa désillusion.
Soudain, elle voit bouger un reflet dans la paroi vitrée d’une des armoires ! La porte par où elle est entrée vient de s’ouvrir toute seule dans son dos. Elle ne serait donc pas seule ici ? Subitement aux portes de la panique, elle attrape la chair de poule.
Fausse alerte, ce n’est que Dark Vador, le chat noir de tonton Ben, qui a profité de l’occasion pour s’introduire en zone interdite.
Alice a vraiment eu peur et sent ses mains devenir moites. Dark Vador, lui, très à l’aise, bondit tout en souplesse sur la table-bureau, effleurant de la patte la souris d’un PC. Il n’en faut pas plus pour que tout l’appareillage électronique sorte de son sommeil et que, sous le regard effaré de l’exploratrice, les volets se ferment automatiquement. Plus question pour notre aventurière de bouger d’un centimètre, elle a perdu tous ses repères et la seule source de lumière vient du projecteur qui envoie une image sur l’écran. Et quelle image ! Elle a sous les yeux le portrait authentique du père Noël. En pied. Grandeur nature. Mais voici que deux autres PC viennent mixer leur image à celle du premier, et Alice, médusée, voit progressivement l’image s’épaissir, puis acquérir physiquement du relief. La photo est devenue statue… La statue vient de cligner des yeux… Elle commence à bouger…
La petite fille n’en mène pas large quand le père Noël quitte l’écran et… s’avance vers elle ! Tétanisée, elle se rend compte qu’il vient bel et bien de se matérialiser devant elle et lui parle :
— Bonjour Alice. Ton oncle ne serait pas heureux de te savoir ici. Je dois te demander de sortir. Mais je crois comprendre que tu es venue ici pour tromper ton ennui, n’est-ce pas ?
La fillette reste sans voix tant elle est impressionnée et parvient tout juste à hocher la tête en signe d’acquiescement. Le père Noël plonge alors la main dans un sac apparu subitement et enchaîne :
— Tiens, ma grande, je t’offre ce petit écureuil pour te tenir compagnie. Il s’appelle Panache, à cause de la forme de sa queue.
Subjuguée par cette apparition, l’enfant veut esquisser un timide pas vers le père Noël. Mais Dark Vador, qui ne semble pas apprécier la scène et veut prendre la fuite, va en décider autrement. Il bondit dans les jambes d’Alice qui trébuche, cogne le coin du bureau en tombant et s’écroule inconsciente sur le sol.
***
C’est un mince rayon du pâle soleil de décembre qui, en se glissant entre les rideaux pour venir taquiner son visage, réveille Alice. Elle ouvre d’abord des yeux étonnés : cette chambre n’est pas la sienne… Ah oui, c’est vrai, elle est chez tonton Ben et c’est lui qu’elle entend s’activer en bas. Manifestement, il ne l’a pas oubliée cette fois, et il est en train de préparer le petit déjeuner.
Mais alors ? Toute cette histoire de laboratoire, de père Noël sortant de l’écran, ce n’était qu’un rêve ! Alice ne sait si elle doit s’en réjouir ou le regretter, et cette indécision la rend boudeuse. Au lieu de sortir du lit, elle s’enfonce sous la couette. C’est alors qu’elle sent ses doigts caressés par une queue en panache.
Il faut l’avouer, Benoît est un oncle plutôt sympa. Il est aux petits soins pour sa nièce, mais c’est un savant, un vrai, et il en a toutes les qualités et tous les défauts. Parfois, il regarde Alice sans la voir et se parle tout seul à voix basse. Et il lui arrive d’oublier les choses les plus simples, comme manger, dormir, fermer le robinet de la douche ou la portière de la voiture. Alice a bien dû s’y faire : la plupart du temps, son oncle vit dans son monde et ses expériences. Son métier c’est chercheur. Il est équipé pour ça, il a même un laboratoire chez lui. Une aile de la maison où il est seul à pénétrer. Il n’y accepte même pas la visite du jeudi de Carmela, l’indispensable aide-ménagère. C’est surtout là qu’il cherche, dans son laboratoire, même s’il va de temps à autre à l’université pour rencontrer d’autres chercheurs qui apparemment n’ont encore rien trouvé non plus.
Et justement, en partant tôt ce matin pour l’université, il était un peu tracassé. Il sentait qu’il oubliait quelque chose. Mais quoi ? Il ne s’en souviendra que dans l’après-midi.
Alice n’a pas attendu si longtemps pour se lever. Elle connaît bien son tonton Ben et elle a constaté sans s’étonner : « évidemment, il m’a oubliée ! » Qu’à cela ne tienne, à six ans on sait se débrouiller. Elle rend une rapide visite au réfrigérateur et hop : son p'tit déj' est avalé sur place. La voilà prête pour… Pour quoi faire au fait ? Elle ne connaît personne dans le quartier avec qui jouer. Et de toute façon, le ciel s’est couvert et la neige menace de tomber. La télé ? Inutile d’y penser : chacun rigole dans la famille de l’écran plat du tonton qui n’est raccordé à rien et qui ne lui sert que de panneau d’affichage pour ses nombreux Post-it. Bref, elle ne voit que deux possibilités : s’ennuyer ferme ou partir à la découverte du labo mystérieux. Le choix est vite fait.
Le domaine du savant est fermé à clef, mais – c’était à prévoir – le distrait a oublié la clef dans la serrure. Alice entre donc à pas de loup et se retrouve dans une petite pièce assez sombre. La seule source de lumière naturelle vient du verre dépoli de l’unique porte qui perce le mur de droite. Face à lui, la paroi est couverte d’étagères disparates dont les planches arquent sous le poids de vieux dossiers. Et au fond de la pièce trône un énorme meuble-bureau encombré de documents et d’un fameux bric-à-brac. Les yeux d’Alice glissent successivement sur des lunettes de plongée, une tasse ébréchée, une lampe de poche, un stéthoscope, une loupe, une trousse à outils… Quel fourbi ! Mais c’est surtout la porte vitrée qui l’attire.
Ici, pas de serrure. Le laboratoire éclairé par trois minuscules fenêtres est à peine moins sombre que le petit bureau et, comme si ça ne suffisait pas, d’imposants caissons de volets électriques surplombent les linteaux. Tonton Ben qui n’est pas sans humour s’est évidemment permis une fantaisie, sous la forme d’un court texte, calligraphié à même le mur : « Pour voir clair en optique, il faut qu’il fasse noir ». Face aux fenêtres, Alice découvre un immense écran blanc encadré de deux armoires vitrées remplies d’instruments bizarres. Au centre du local, sur une table-bureau, une série d’ordinateurs portables et de tablettes en état de veille sont reliés entre eux et à plusieurs projecteurs multimédias. C’est incroyable : au contraire du reste de la maison, tout est ici impeccablement rangé. Alice, qui croyait partir à la découverte du trésor cherché par son oncle dans une sorte de caverne d’Ali Baba, soupire sa désillusion.
Soudain, elle voit bouger un reflet dans la paroi vitrée d’une des armoires ! La porte par où elle est entrée vient de s’ouvrir toute seule dans son dos. Elle ne serait donc pas seule ici ? Subitement aux portes de la panique, elle attrape la chair de poule.
Fausse alerte, ce n’est que Dark Vador, le chat noir de tonton Ben, qui a profité de l’occasion pour s’introduire en zone interdite.
Alice a vraiment eu peur et sent ses mains devenir moites. Dark Vador, lui, très à l’aise, bondit tout en souplesse sur la table-bureau, effleurant de la patte la souris d’un PC. Il n’en faut pas plus pour que tout l’appareillage électronique sorte de son sommeil et que, sous le regard effaré de l’exploratrice, les volets se ferment automatiquement. Plus question pour notre aventurière de bouger d’un centimètre, elle a perdu tous ses repères et la seule source de lumière vient du projecteur qui envoie une image sur l’écran. Et quelle image ! Elle a sous les yeux le portrait authentique du père Noël. En pied. Grandeur nature. Mais voici que deux autres PC viennent mixer leur image à celle du premier, et Alice, médusée, voit progressivement l’image s’épaissir, puis acquérir physiquement du relief. La photo est devenue statue… La statue vient de cligner des yeux… Elle commence à bouger…
La petite fille n’en mène pas large quand le père Noël quitte l’écran et… s’avance vers elle ! Tétanisée, elle se rend compte qu’il vient bel et bien de se matérialiser devant elle et lui parle :
— Bonjour Alice. Ton oncle ne serait pas heureux de te savoir ici. Je dois te demander de sortir. Mais je crois comprendre que tu es venue ici pour tromper ton ennui, n’est-ce pas ?
La fillette reste sans voix tant elle est impressionnée et parvient tout juste à hocher la tête en signe d’acquiescement. Le père Noël plonge alors la main dans un sac apparu subitement et enchaîne :
— Tiens, ma grande, je t’offre ce petit écureuil pour te tenir compagnie. Il s’appelle Panache, à cause de la forme de sa queue.
Subjuguée par cette apparition, l’enfant veut esquisser un timide pas vers le père Noël. Mais Dark Vador, qui ne semble pas apprécier la scène et veut prendre la fuite, va en décider autrement. Il bondit dans les jambes d’Alice qui trébuche, cogne le coin du bureau en tombant et s’écroule inconsciente sur le sol.
Mais alors ? Toute cette histoire de laboratoire, de père Noël sortant de l’écran, ce n’était qu’un rêve ! Alice ne sait si elle doit s’en réjouir ou le regretter, et cette indécision la rend boudeuse. Au lieu de sortir du lit, elle s’enfonce sous la couette. C’est alors qu’elle sent ses doigts caressés par une queue en panache.
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