One Day! One Day! Sango! (Un jour ! Un jour ! Mon Dieu !)

Toute histoire commence un jour, quelque part, lieu anonyme au sein de la myriade de lieux connus en ce monde. Ce sont ces lieux anonymes qui couvent et témoignent d’histoires extraordinaires d’hommes et de femmes ordinaires. Histoires éternelles, qui s’entrelacent, se croisent et se défont au gré du hasard et de « Sango » (appellation de Dieu en langue vernaculaire Camerounaise).BEKOA, jeune femme soignée était ignorante de l’histoire fantastique qu’elle s’apprêtait à vivre cette nuit là. Sous une pluie drue, elle courait gémissante et stressée à cause du garçon qu’elle portait en son sein en direction de la « Sango Native Hospital » de Bamenda. Elle aurait bien voulue se rendre ailleurs mais les douleurs et les émeutes de plus en plus nombreuses dans la ville l’en avaient dissuadé. C’était un hôpital pour pauvres situé dans un quartier populaire tenu par des religieux catholiques. Le plateau technique merdique voyait défiler une foule nombreuse de malades toujours en quête de soins à bas prix. Trempée jusqu’ aux os, elle descendit de sa voiture de luxe et s’écroula devant l’entrée de l’hôpital. Elle reprit momentanément connaissance sur la table d’accouchement, quelques instants plus tard, au tour de la quelle le personnel médical s’activait. L’une des infirmières interpella le médecin qui se trouvait à l’extérieur la salle des urgences : «  Elle est très faible, Mon Dieu! Venez vite!». BEKOA voulut dire un mot, poussa un soupir, ses paupières s’abaissèrent. Elle devint inerte malgré les efforts de l’équipe médicale autour...
« One Day! One Day !(Expression locale d’agacement) trop c’est trop!, le président de la république doit partir !, nous voulons notre indépendance!»,criaient à perdre haleine des milliers de jeunes, cailloux en main, cassant , pillant tel une horde de chiens enragés. Dans une espèce de rêve éveillé, elle se retrouva au cœur d’une émeute au centre de la ville de Bamenda. Depuis peu, la colère grondait. Chômage, Pauvreté et amphétamines illicites adjuvants, certains jeunes de la partie anglophone du pays comme mués par une espèce d’esprit de lassitude et de destruction suicidaire sortaient le poing levé en bravant les policiers et l’armée venue en renfort. Situation extrêmement tendue et imbroglio total, BEKOA se retrouva au milieu d’une foule de jeunes tentant d’échapper au courroux des forces de l’ordre.
Dans une ville à feu et à sang et sous état d’urgence, elle s’engouffra sous une nuit froide à grandes enjambées le long d’une ruelle poussiéreuse et sombre pour se soustraire de ses assaillants en bérets et galons. Elle courut longtemps et bientôt se retrouva seule jusqu’ à un cul-de-sac. Elle regarda autour d’elle, c’était sale et dégoutant, des rats circulaient sans se presser et des chiens errants se disputaient un morceau de viande en putréfaction qui se trouvaient à proximité d’une benne à ordures qui fut jadis vidée. Nauséeuse, BEKOA se retourna sur ses pas en recherchant désespérément une issue. Sur le chemin du retour, elle fut apostrophée de manière peu cavalière par un groupe d’hommes manifestement aux intentions hostiles.
- Que fais-tu ici ? Ne sais tu pas que c’est dangereux pour une demoiselle de marcher seule à cette heure ici ? , lui dit le premier en lui empoignant violemment l’épaule
- Tu prends des risques inconsidérés en t’aventurant ici, tu devras le payer, lui lança un second pendant qu’il la fouillait en lui retirant brutalement le porte feuille qui se trouvait dans sa poche
- Pitié! prenez tout mais ne me faites pas de mal!, dit elle
- Ah ca non! nous te violerons autant que cela nous plaira, dit l’un d’entre eux d’un air vicieux et lubrique
- Laissez la tranquille, ceci n’est en rien notre combat ! c était un troisième larron qui parlait. Assis immobile dans la pénombre une cigarette à la main
- Ne t’en mêles pas « la recrue » et si tu continues, je m’arrangerai à te faire périr dans d’affreuses souffrances, rétorqua le vicieux.
Avant que ses deux compères ne comprennent ce qui leur arrivait, «  La recrue » se leva, bondit et les poignarda mortellement. Les mains ensanglantées, «  La recrue » se tourna vers Bekoa et lui dit d’un air menaçant : « Vas t- en et surtout ne reviens plus jamais par ici!». Pour une fois, il apparaissait clairement. Bien que relativement jeune, c’était un colosse athlétique et puissant. De son regard triste, se dégageait quelque chose de rassurant. D’un noir de geais, sa mâchoire carrée et ses cheveux hirsutes laisser transparaitre une vie rude et un combat quotidien pour la survie.
- pourquoi as-tu fait cela ? lui demanda t-elle. Soulagée, Bekoa était néanmoins horrifiée glacée par la froideur de ce grand gaillard qui semblait ne pas s’émouvoir d’avoir fait périr 2 personnes.
- ¬Ce n’est pas pour ca que j’ai accepté de m’engager avec eux. Ils n’ont eu que ce qu’ils méritaient .Bref allons y! Ce n’est pas très prudent de rester ici .Je t’expliquerai en chemin, lui dit elle.
Curieusement, de l’empathie se créa entre eux bien que toujours inconnus l’un de l’autre. BEKOA était intriguée par son inconnu d’accompagnateur. Craintive de sa capacité à ôter la vie, elle se dit dans sont fort intérieur qu’elle n’avait de toute façon rien à perdre. Ne l’avait-il pas sauvé d’un viol collectif?
Ils marchèrent une demi-heure à travers un sentier exigüe et obstrué par une végétation assidue. Ils parvinrent au bout du petit matin à proximité d’une clairière. BEKOA aperçut une vielle bâtisse en « Poto-Poto » (Maison construite en brique de terre crue en langue locale). A leur vue, une kyrielle d’enfants accourus pour les accueillir en criant des « Agbor O O yayatooohhh! » , alors qu’au loin une dame visiblement fatiguée exultait de joie .BEKOA en déduisit le patronyme de celui qui l’accompagnait. Pour la première fois, elle crut apercevoir un sourire chez lui, ses traits autrefois rudes et austère rajeunissaient et laissaient transparaitre sa jeunesse longtemps voilée.
Le séjour de Bekoa fut très agréable au sein de la famille d’AGBOR. Elle y apprit qu’il y était l’ainée de 9 frères et sœurs issus d’un papa militaire retraité qui était décédé 5 ans plus tôt. Vivant dans une misère prononcée, sa maman, « Ma’a Rosa » vendait quotidiennement du « BHB » (Plat local constitué de beignets, de bouillie et d’haricots) au grand carrefour du quartier pour subvenir aux besoins de la famille. AGBOR n’était guère à envier. Titulaire d’un baccalauréat scientifique avec mention « Bien » depuis bientôt 6 ans, il s’était résigné à faire du «  mototaxi » (transporteur urbain utilisant la motocyclette) pour soutenir financièrement sa mère. Il n’avait jamais pu être admis à un concours ou une bourse nationale (ce qui est courant au Cameroun lorsqu’on n’a pas de parrain) et n’avait pas les moyens financiers pour s’acquitter des droits universitaires. Ainsi allait le monde d’AGBOR, entrainant, rude et implacable. BEKOA, le découvrait avec incrédulité et stupeur. Il faut dire que sa trajectoire était toute autre. Fille de préfet, elle venait ( peut être grâce à l’ illustre patronyme de son père ) d’ être admise sans grands efforts au concours d’ entrée à la prestigieuse l’ ENAM ( Ecole d’administration et de Magistrature de Yaoundé) . Toujours couvée et habituée, elle se trouva pour la première fois de sa vie confrontée à l’utilisation d’un puits d’eau et à l’inconfort du mobilier.
La nuit tomba. Les lucioles visibles désormais donnaient le tempo aux croissements des grenouilles qui s’adonnaient à cœur joie dans ce concert d’un autre genre .Entre deux éclats de rire, « Ma’a Rosa » prit la parole d’un air grave :
- AGBOR, Mon fils, je profite de la présence de ton amie pour te signifier mon désaccord avec tes fréquentations actuelles. Ce ne sont que des bandits. Tu risques de te faire tuer soit par eux soit par la police si tu continues à participer aux émeutes actuelles.
Elle parlait des « Amba-Boys », groupe armé nouvellement créé, constitué de jeunes hommes oisifs, qui s’était infiltré au sein de la population qui se soulevait contre la vie chère. Il faut dire que depuis fort longtemps, un sentiment de marginalisation parcourait les populations de la partie anglophone du pays. Minoritaire et dans la grande majorité vivant dans la pauvreté, cette population exprimait depuis peu son ras le bol et son aspiration à une vie meilleure. Deux fractions s’y formèrent, une plus modérée favorable au fédéralisme et l’autre plus subversive et armée (Amba-Boys ) favorable au détachement de la zone anglophone au reste du pays
AGBOR resta un long moment gêné et désapprobateur de l’injonction que venait de lui faire sa mère. L’était il surement plus à cause de la présence de l’étrangère BEKOA.
- Mon fils, ce groupe d’hommes qui t’ont enrôlés depuis peu te perdront dans un gouffre de violence, s’il te plait quitte les tant qu’il est encore temps, supplia telle
- Mère, ces hommes luttent contre les oppresseurs de «  Yaoundé » (faisant référence au régime). Ces francophones s’enrichissent et ne nous laissent qu’une vie de merde. Il est temps que cela change! lui rétorqua-t-il d’un ton autoritaire.
- Je t’interdis de parler ainsi des francophones. Avant d’accepter la demande en mariage de ton défunt père, moi-même je suis originaire de Yaounde. J’y ai passé toute mon enfance et mon adolescence et crois moi la vie n’est pas toujours rose de ce coté là. Les gens y subissent autant la dureté de la vie autant voir pire qu’ici. C’est une situation générale au pays entier et non propre à la partie anglophone comme tu le prétends. A mon sens, la solution de la sécession telle que tu le préconises n’a pas lieu d’être, lui répondit elle en se tournant vers Bekoa comme lui demandant de l’aider à convaincre son fils
BEKOA se sentit gêné et à court d’arguments dans cette conversation animée. Elle n’eut son salut que grâce à Paul , le benjamin de la maison qui venait de casser un plat à la cuisine. Bekoa dit d’un air blagueur : « ce plat, en tous cas, n’était ni anglophone ni francophone ». Cette blague provoqua l’hilarité générale. La tension dans la pièce était redevenue à peu prés normale. Les premiers rayons du petit matin chatouillaient amoureusement les ouvertures de la maison. Soudain, un bruit se fit entendre, une fenêtre venait de se briser au contact d’un projectile enflammé lancé quelques instants plus tôt. La maison était désormais assailli de projectiles enflammé de plus en plus nombreux. Au loin, AGBOR remarqua une milice menaçante d’hommes cagoulés aux poings levés qui s’approchait.
- la milice des « Amba-Boys ». nous sommes perdus. BEKOA, Fuis autant que tu peux , cria t’il
Ses muscles se raidirent. Pour la première fois, BEKOA vit de la peur dans le regard d’habitude impassible d’ AGBOR. Un peu Etonnée de sa peur panique, elle se pencha en direction de ses souliers jusque là en dessous du sofa.
- Ne comprends tu pas mes propos ? Ce sont des tueurs. Ils viennent ici se venger après ce que j’ai fait hier. Nous en paieront le prix fort. Je ne suis partisan de ce régime actuel, mais j’ai bien réfléchi et je crois que ma mère a raison. La misère actuelle nous est loin d’être propre et au fond les francophones n’y sont pour rien. Le cycle de la violence nous fait plus de mal que de bien, peut être bien que le dialogue est encore possible. Enfuis toi, moi j’essaierai de les retenir. Au moins, je ferais quelque chose de bien dans cette vie de merde, dit-il en empoignant une machette.
Bekoa voulut le retenir mais AGBOR l’écarta délicatement de son chemin, s’avança et lui dit : « ne t’inquiète pas, je ne suis que l’esclave de moi-même ».
Adieu improvisé ? BEKOA en eut la désagréable impression au vue de l’atmosphère funeste et des cris de détresse de «  Ma’a Rosa ».La suite des événements ne fut que sang et violence . BEKOA s’échappa comme une furie, courut vite aperçu une route au loin mais pas le véhicule roulant à vive allure en sens opposé qui s’apprêtait à la percuter.
« Docteur, Docteur, elle revient à elle  !» . C’est en ces termes qu’une infirmière interpella le médecin en constatant que BEKOA venait de se réveiller sur la table d’accouchement. Elle se rendit compte qu’elle venait de faire un cauchemar pendant son inconscience. Elle était toujours couchée sur le lit de l’hôpital pliée sous les douleurs de l’enfantement .Elle était rassurée de n’être aucunement mêlée aux mouvements de révolte qui grondaient dehors.
Aux alentours de 23 h 46 minutes, un cri strident se fit entendre dans le couloir de l’hôpital. C’était une mère qui pleurait à chaudes larmes. Elle venait d’apprendre que son fils était décédé lors des émeutes récentes dans la ville. Elle venait authentifier son corps mutilé dans un amas de cadavres entassés à même le sol dans un coin du couloir de l’hôpital. Bekoa sentit un frisson lui parcourir le dos quand elle crut reconnaitre « Ma’a Rosa » avec qui elle avait fait connaissance dans son rêve. Elle voulut en avoir le cœur net, elle se leva péniblement en s’arc-boutant sur le barre métallique qui servait de support à la perfusion qu’on venait de lui administrer. Il s’agissait effectivement de « Ma’a Rosa », BEKOA la reconnut formellement bien que la vielle dame en larmes quant à elle ne reconnaissait pas la jeune femme enceinte qui venait de se rapprocher d’elle. Le drap taché de sang fut retiré, le vison d’horreur qu’il cachait glaça les 02 femmes. C’était bien AGBOR reconnaissable bien que mutilé. Il était visiblement mort après avoir reçu plusieurs balles dans le corps. Des badauds aux abords de l’hôpital chuchotaient qu’il avait trouve la mort en tentant d’empêcher la mise à mort publique d’un policier par les « Amba-Boys ».Peine perdue car les deux trépassèrent cette nuit là.
-Rendez moi mon fils, Rendez moi mon fils ! , « Ma’a Rosa » criait, pleurait, s’agrippait aux blouses du personnel soignant qui se trouvait à proximité du corps. «S’il vous plait dites moi comment est il mort ?, dites moi comment est mort mon fils!, Agbor je t’avais prévenu! Que vais-je devenir ? Sango Sango!» . Ainsi répétait-elle machinalement ces mots.
BEKOA n’en revenait pas. Avait-elle rêvé ? Non, puisqu’elle avait reconnu formellement AGBOR et sa maman. . Elle fondit en larmes devant la fragilité de la vie. «  Nous sommes tous poussières et nous retournerons poussière et ceci quelque soit notre rang social » pensa telle. Amère leçon de l’école de la Vie. AGBOR était mort pour ses convictions antagonistes. Nul doute qu’il avait compris à la fin que la sécession et la violence n’était pas nécessaires. Apres tout, ce qui nous réunit n’est il pas plus fort que ce qui nous sépare ? BEKOA esquissa un petit sourire .Elle venait de décider que son fils à naitre s’appellera « AGBOR ». Encore tremblotante, elle s’approcha de la vielle dame et en la serrant dans ses bras, elle lui dit : «  Maman, je ne saurais te dire comment il est mort, mais je te dirai comment il a vécu ».