On me l'a assez répété.

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Je suis une fille. On me l’a assez répété.
Ce n’est pas là une tare, je suis fière de mon genre. Mais ce n’est pas la voie la plus facile, on me l’a aussi assez montré.
On dit que la condition des femmes a évolué.
Quoi ! J’ose demander plus d’égalité, de l’équité dans des choses frivoles. J’ose comparer mon combat à celui de grandes femmes qui se sont battues avant moi pour obtenir de grands droits ! Oui, j’ose cela. J’ose cela car mon combat n’est plus de faire changer les lois, mais de changer les états d’esprit.

On a tous été enfants. On a tous eu affaire à des époques différentes, mais aussi au fond toujours confrontés aux mêmes problèmes. Nos parents nous ont appris à obéir, à distinguer le « Vouloir »du « Devoir ». Ils le martèlent constamment, et ne se rendent même plus compte que ce principe s’est glissé absolument partout. Le drame de mon enfance se situe là. Dans la peur que mes parents ont eu du regard des autres, dans la peur d’être vu comme un mauvais parent, dans la peur de voir son enfant contourner imprudemment les règles de la société, dans la peur de n’être pas comme les autres.
Je n’ai pas voulu faire de danse, ou de gymnastique. Peut-être par envie d’originalité, mais surtout parce que cela ne me plaisait pas, tout simplement. Je pense que l’on ne devrait pas avoir à se justifier davantage. Mais mes parents ont eu peur de cela. Sans l’un de ces sports féminins, je ne serai pas une petite fille modèle aux jambes élastiques, qui impressionne toute la famille avec des acrobaties gracieuses. Malheur ! Si je refusais ces sports pourtant admis par toutes, je n’aurai aucune féminité, je serai rejetée, je n’aurai pas d’amie. Et alors, pour la première fois, c’est moi qui ai eu peur lorsque l’on m’a dit ça. Avec ce mélange de culpabilité de n’être pas comme tout le monde et de cette tristesse de faire deux fois par semaine quelque chose qui ne me plaît pas, je me suis donc rendue pendant dix ans à la danse, en ne manquant presque aucun cours. J’avais réussi, mes parents étaient fière. Oui, mais moi, je n’étais pas heureuse.
La danse, je la pratiquais dans un grand gymnase, où plusieurs espaces sportifs étaient collés les uns aux autres, séparés d’immenses rideaux. On dansait à côté de jeunes qui grimpaient sur un grand mur d’escalade. Nous n’avions aucune considération pour le fait qu’ils n’aimaient peut-être pas la musique qui tournait en boucle, et qu’ils devaient supporter pendant une demi-heure de créneaux communs à chaque fois. Voilà ce qui me préoccupait, et qui me mettait affreusement mal à l’aise.
À partir de mes quinze ans, mes parents m’ont laissée rentrer en bus, les cours se terminant à vingt heures en semaine. Un jour où la professeure avait tiré trop les horaires, le bus qui passait une fois par heure est parti sans moi. J’ai prévenu mes parents, en sachant parfaitement qu’il serait impossible pour eux de venir me chercher : mon père était en voyage d’affaires, et ma mère n’avait pas le permis. Tant pis, j’attendrais le prochain dans le gymnase.
Ça ne m’embêtait pas vraiment à vrai dire. Je pouvais regarder les grimpeurs sans aucune honte, voir comment fonctionnait ce sport. Le cours de danse pour adultes se déroulait aussi à ce moment là, mais l’entraîneuse m’ignorait royalement, pas vraiment motivée à l’idée de me greffer à ce groupe remplie de jeunes femmes qu’elle nous présentait à longueur de temps comme des divinités.
Tout a donc commencé par des excuses un peu hasardeuses que j’ai formulé vers les grimpeurs pour la musique qu’on leur imposait, plutôt comme une tentative de rentrer en contact avec eux. Ils ont rigolé, et m’ont proposé d’essayer d’escalader un peu. Cette réaction avait dépassé toutes mes attentes, mais j’ai eu cette étrange sensation qu’en faisant cela, je faisais une bêtise. Mais l’occasion n’allait pas se représenter, alors l’adrénaline l’a remporté sur la culpabilité.
Je ne sais pas si leurs compliments sur ma rapidité à grimper étaient sincères et complètement véridiques, mais ils m’ont donné envie de continuer. Pourtant, impossible de m’inscrire. Ce serait demander à mes parents, et prendre le risque de les décevoir. Quand je suis montée dans le bus suivant ce soir là, j’ai eu l’impression d’avoir goûté à une drogue, dangereuse et chère, mais qui pourtant devient vite indispensable. 
Le cours suivant, j’ai eu les yeux plus rivés sur le mur d’escalade que sur mon groupe, et cela s’est vu. Ma professeure m’a rappelée à l’ordre plusieurs fois. Mais il y a eu dans cette rêverie une plus jolie conséquence : l’enseignant d’escalade m’a proposé de m’entraîner gratuitement après la danse. Il ne fallait pas gâcher ce potentiel à cause de stéréotypes. C’est qu’il n’a eu de cesse de me répéter. À chaque cours, je prenais donc le bus d’après, et c’était toujours de la faute de la professeure devant mes parents. Mais mon père ne fut pas infiniment en voyage d’affaires, et me dit de le prévenir dans ce cas là. À chaque fois ce fut le poids d’un mensonge supplémentaire à porter pour moi pour l’empêcher de venir. L’excuse la plus valable a finit par être que ma professeure m’avait recrutée pour participer à la chorégraphie des adultes, et qu’il fallait donc que je reste pour leur cours aussi. Je voyais la fierté dans ses yeux, ainsi que dans ceux de ma mère, et ses regards doux me serraient le coeur. Ils me traitaient comme une sportive accomplie, et faisaient tout ce qui était en leur pouvoir pour que je me concentre sur la danse. Pourtant la plus grande des distractions se trouvait dans le même gymnase. C’est en ça que la drogue fut si chère pour moi. Je ne l’ai pas payée en pièces ou en billets, mais en vertu et sincérité.
Je me suis entrainée des mois comme cela, et puis l’entraîneur a voulu m’inscrire à une compétition. La tentation était trop grande pour que j’y renonce par peur de mes parents. Ils devaient donner leur accord, et j’étais déterminer à l’obtenir. Mais devant ses parents, on perd ses moyens, car ils nous connaissent mieux que quiconque. C’est comme si la personne à combattre savait à ce moment là tout ce que vous alliez tenter pour décrocher la victoire, et était capable de tout contrer. J’ai beaucoup pleuré ce soir là, car je n’avais pas été la hauteur de mes parents, car je les avais déçus, car je m’étais déçue. J’ai repensé toute la nuit à leur surprise, à leur peur, à leur désarroi, et à leur colère face à l’attitude mensongère que j’avais eu pendant des mois. Mais le lendemain, le papier était signé. L’entraîneur avait appelé dans la matinée, après avoir récupéré leur numéro auprès de ma professeure de danse.

Ce fut le commencement d’une belle histoire, d’une véritable passion, puis du plus beau métier dont je pouvais rêver. 
Peut-être que mon histoire n’est pas parlante, ou tout simplement vous paraît inintéressante. Peut-être que vous pensez que tout est exagéré, mais je vous assure que ce n’est pas le cas. Des barrières sont mises au nom du genre chaque jour face à des petites filles et des petits garçons, dès lors que leurs envies ne correspondent pas à la norme. J’appelle cela du gâchis, et je les encourage à se battre pour ce qu’ils aiment.
Il ne faut plus jamais qu’ils disent qu’on leur a déjà assez répété tout ce qu’ils ne pouvaient pas faire, mais qu’ils puissent plutôt clamer haut et fort qu’on leur a heureusement toujours répété qu’ils pouvaient absolument tout faire.