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Nouvelles - Imaginaire
J'ai eu le temps de vous voir arriver. Par grappes, grimpant dans les arbres qui entourent la place, pour mieux voir. Pour mieux entendre et sentir, aussi. C'est bien, venez. C'est une belle journée de printemps, presque l'été. J'ai tout préparé, je suis allé chercher le bois tôt ce matin, il était sec. Il prendra facilement. C'est toujours la même rengaine. La populace ne veut rien rater. Vous ne serez pas déçus.
L'heure approche, la foule est compacte. Je sais d'habitude qu'elle est au complet, à quelques retardataires près. Je l'entends s'enfler de la rumeur qui vient de la Grande Rue. Les cris et les insultes accompagnent la charrette. Elle part de la prison, traverse la ville sous les quolibets et les projectiles. Elle se rapproche, fendant le troupeau de badauds qui veut voir, pour dire « J'y étais, je l'ai vue. La sorcière. » Dans cette charrette qui pue la mort, elle est en haillons, le crâne rasé, des bleus sur les bras, le cou, les jambes, le visage. Elle reste digne et silencieuse au milieu de cette foule qui dégueule de hargne. Elle ne leur fera pas le plaisir de flancher. Elle est belle, à sa façon.
J'en ai vu, des sorcières, avant elle. S'effondrer, supplier. Perdre la tête, se pisser dessus, pleurer et hurler à s'en briser la voix et l'âme. J'en ai vu aussi, comme elle, rester impassible. Acceptation ou résignation, je ne saurai jamais. Mais au moment de monter sur l'estrade, je n'en ai pas vu une seule qui n'ait pas eu peur. Mais elle... Elle sera l'exception qui confirme la règle.
Je suis debout, les bras croisés. Le juge et le curé m'entourent. Le premier lira la sentence, le deuxième dira je ne sais quelle prière. Ils sont inutiles. Mais moi, j'allumerai le bûcher. La foule compte sur moi. Je sais l'effet que lui procure ma torche. Le feu détruit et purifie, il va nettoyer la ville de cette souillure qui n'aurait pas dû voir le jour. Une de plus.
Une de trop.
Mais regardez-vous... Une bande de charognards. Vous en devenez grotesques.
La charrette s'arrête au pied de l'estrade. Je croise le regard d'Isobel. Depuis qu'elle a été arrêtée, plus personne ne l'appelle par son prénom. Elle est devenue « la sorcière ». Pas pour moi. Elle restera toujours Isobel. J'ai dû veiller sur elle pendant qu'elle attendait son procès, dans sa cellule miteuse et poisseuse. De l'eau, un peu de pain. Et surtout, qu'elle ne se tue pas, pour ne pas priver la foule d'un tel spectacle. Au début, elle ne disait rien, me regardait à peine. Puis un jour, elle a attrapé mon regard et j'ai compris. Elle n'était pas comme les autres. Les femmes avant elle n'avaient rien à voir avec la magie noire. Mais Isobel... Elle était là car elle l'avait choisi. Elle aurait pu s'échapper. Me tuer et mettre les voiles. Au lieu de ça, elle m'a parlé. Elle m'a posé des questions, je lui ai répondu. J'étais écœuré par toutes celles qui l'avaient précédée ; elle avait besoin de moi. Nos mots se sont mêlés, nos esprits se sont entendus. Pendant près d'un mois, j'ai voulu croire qu'elle s'en sortirait. J'avais peur pour elle, et pour moi aussi. Mais elle a été condamnée, et la voilà, entre la foule et le bûcher.
Nous ne pouvons plus reculer. J'ai imaginé mille fois cette scène, mais j'ai du mal à réaliser qu'Isobel et moi avons le pouvoir de tout changer.
Les geôliers ouvrent la cage et font sortir la sorcière sous les huées. Les mains liées dans le dos, elle monte sur l'estrade, crache à mes pieds et trébuche pour me tomber dans les bras. Je la retiens quelques secondes, le temps qu'elle prononce une incantation que je perçois dans un murmure. Je lui souffle les mots qu'elle m'a appris, la repousse et nos yeux se croisent. Dans ma main gauche, je sens la torche se glacer avant de reprendre sa chaleur habituelle. Je la pose sur son socle. Les geôliers présentent l'infâme au public, qui vomit sa hargne comme une horde de déments.
Le juge réclame et obtient le silence, lit la sentence, laisse la place au curé qui parle à peine. Ils ne veulent pas faire attendre la foule pour des formalités sans intérêt. Qui se soucie des droits d'une sorcière ? Qu'elle crève, qu'on en finisse.
Il n'y avait que du pin dans la réserve, mais je suis allé chercher ce qu'il fallait dans la forêt. Du cyprès, l'arbre de vie ; du châtaignier, symbole de justice. J'ai glissé une mèche de ses cheveux entre deux branches et les ai liées avec des brindilles. Lorsqu'Isobel frôle cet assemblage, la flamme bleuit et vacille. Des fourmillements parcourent mon corps. Isobel grimpe sur la plateforme que j'ai fixée avant de disposer les bûches et les branchages, en finissant par les deux essences qu'elle a exigées. Elle a une confiance aveugle en moi. J'aurais pu lui mentir, pour la laisser avec son rêve de vengeance. Ou par pure méchanceté, pour me régaler d'un énième sacrifice. Et si je m'étais trompé ? Si j'avais été incapable de reconnaître les arbres ? Mais je suis sûr de moi. La preuve, la flamme a bougé.
La cloche de l'église sonne. Il est temps. Le public n'attend que ça, se repaitre du supplice de la sorcière. Il ne tient plus en place. Si je n'abaisse pas ma torche, ils vont monter et démembrer Isobel à la force de leurs mains. De toute façon, le juge saura me rappeler à l'ordre si je traîne. Alors je m'exécute. La foule m'encourage. Je lève la flamme vers le ciel, le plus haut possible, pour que chacun puisse la voir. Regardez-la bien. Cette flamme, c'est la vôtre. Elle est pour vous.
Le cyprès et le châtaignier embrasent le bûcher. Je me place devant Isobel. Personne ne comprend pourquoi je gâche la représentation. Je sens la colère monter. Le feu commence à crépiter. Le juge m'interpelle, me demande de me pousser, s'énerve. La foule insulte autant la sorcière que moi. Le curé a filé depuis longtemps, et je laisse le juge s'époumoner à quelques mètres. Il ne peut pas s'approcher. La température est bien trop élevée.
Le public enrage et n'en peut plus d'aboyer. Petit à petit, ses cris de haine et de frustration se transforment en exclamations de surprise puis de peur. Un souffle d'abord léger me parvient du brasier. C'est le signal. Je me retourne. Élevée à quelques dizaines de centimètres au-dessus de la plateforme du bûcher, Isobel, les yeux révulsés, écarte les bras. Elle est intacte. Le souffle se renforce, sa caresse sur ma peau est d'une douceur qui me surprend. Alors que le regard de ma sorcière se pose sur moi, le feu s'élargit et se renforce. La foule fascinée perd la raison, et les centaines de voix cassées par l'effort prolongé m'ordonnent d'achever la condamnée avant qu'un autre malheur n'arrive par sa faute. Mais c'est trop tard.
Je fais de nouveau face à la place pleine à craquer. Dans mon dos, un son rauque sort de la gorge d'Isobel. Elle lance le feu droit devant. Il passe à ma droite et à ma gauche, et se répand sur l'estrade avant d'en atteindre le bord. Pendant quelques instants, rien. La flamme semble s'éteindre. Le flottement est terrifiant. Puis elle repart en une bouffée terrible, elle gronde, et soudain toute la place s'embrase. La vague de chaleur me parvient simultanément et me fait cligner des yeux. Quand j'arrive à les garder ouverts, l'enfer me saute au visage. Le feu d'Isobel brûle tout. Il ne laisse aucune chance, à personne.
Après lui, un amas de corps calcinés et fumants recouvre les pavés, une répugnante odeur de chair brûlée s'élève du sol. Des cris d'agonie résonnent, venus de partout et nulle part.
Quand tout est fini, nous ne disons rien. Nous nous regardons. C'est suffisant. Isobel et moi partons sans attendre ni nous retourner. Nous allons cheminer, puis trouver une ville où nous arrêter.
Une ville superstitieuse. Avec un juge qui préfère expédier les procès pour sorcellerie, et une autre cellule poisseuse et miteuse. Quant à moi, je trouverai facilement une place. L'époque a besoin de bourreaux.
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Pourquoi on a aimé ?
Tout les oppose et pourtant... la relation née entre les deux personnages de cette histoire va bousculer l'inexorable. Si, comme la foule rassemblée
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Pourquoi on a aimé ?
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