Le puits aux fées

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Auteur de romans le jour, j'aime bien, la nuit tombée, m’accoquiner à la littérature courte, cette grande oubliée de l'édition moderne. Je remercie Short Edition d'offrir la possibilité de ... [+]

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— Maroussia, ne t'éloigne pas de la maison !
La gamine haussa les épaules. La vieille dame l'appelait depuis le perron de la chaumière, agitant son bâton comme quand elle rameutait les chèvres à la tombée de la nuit.
— Grand Ma, il faut que j'aille au vieux puits !
— Qu'est-ce que tu racontes ? C'est la nouvelle lune. La nuit la plus sombre de l'année. Tu vas te perdre !
— Justement, Grand Ma. Il faut que je voie les fées... C'est important !
— Fadaises ! Les fées n'existent pas. Rentre tout de suite, tu vas attraper la mort à courir ainsi dans la neige !
Grand Ma ne voyait-elle donc pas les signes ? Le soleil devenait chaque jour plus faible, sa trajectoire se faisait de plus en plus basse sur l'horizon. Et maintenant la lune... Ne comprenait-elle donc pas ?
La vieille dame agita encore une fois son bâton.
— Allons ! Je ne sais pas d'où viennent ces sornettes mais tu vas goûter de ma canne si tu ne reviens pas immédiatement.
Pffft ! Grand Ma n'aurait jamais pu la rattraper. Maroussia était une grande fille maintenant, elle avait presque cinq ans. Elle n'avait plus peur du bâton. Et elle avait une mission à accomplir. Enfonçant son bonnet de laine sur sa tête frisée, elle tourna résolument le dos à la chaumière et s'engagea sur le chemin enneigé s'enfonçant dans la forêt. Derrière elle, les protestations de sa grand-mère diminuèrent jusqu'à n'être qu'un murmure dans les branches dénudées et recouvertes de givre.
Aucun astre n'était visible lorsqu'elle arriva au bord du puits, le ciel s'étendait comme une chape noire sur tout le paysage. Maroussia tendit l'oreille dans l'espoir de capter les rires familiers mais tout était silencieux. Les fées, dit-on, se nourrissent des rayons de la lune. Elles n'avaient aucune raison de sortir ce soir. Pourtant elle avait absolument besoin de les voir, de leur expliquer... Fouillant sous sa pèlerine, elle ramena un moignon de bougie qu'elle avait durement économisé durant les nuits d'hiver et une poignée de baies de genièvre sauvage dont les petites fées raffolaient. Elle alluma la bougie et se pencha au bord du puits, cherchant à en éclairer les profondeurs. « Cela ne vaut pas les rayons de lune mais peut-être... » pensa-t-elle. La flamme vacilla, impuissante contre l'obscurité presque palpable émanant du trou béant.
— Fées, fées, êtes-vous là ? cria-t-elle au-dessus de la margelle.
Seul l'écho lui répondit.
— Fées, fées, répondez !
La bougie touchait déjà à sa fin, la cire chaude coulant sur ses doigts. Dans quelques secondes, la flamme s'éteindrait, et avec elle l'espoir de réveiller les fées. Maroussia s'agrippait encore à ce moignon brûlant, ne pouvant retenir les larmes qui roulaient de ses yeux pour disparaître au fond du puits.
Peut-être était-ce l'effet d'une larme, de son courage ou la lueur mourante de la bougie : une voix cristalline sembla s'élever des profondeurs. Elle était si ténue que la gamine dut se pencher, presque à en tomber, par-dessus la margelle. Le son se répéta, faible et pourtant réel. Maroussia essuya son nez sur le revers de sa pèlerine et se mit à sautiller de joie.
— Fées, fées, vous êtes là ! Vous m'avez répondu !
Elles apparurent bientôt. Trois petites fées virevoltant péniblement dans les airs, tellement diaphanes qu'on apercevait le paysage à travers elles. Elles n'étaient plus que l'ombre d'elles-mêmes et Maroussia sentit son cœur se briser.
— Fées, fées, que vous est-il arrivé ?
— C'est... la déesse... Maréna.
Leur voix était tout juste un murmure. Elles parlaient à tour de rôle, chacune prononçant un bout de phrase que la suivante complétait, comme si elles n'avaient qu'une pensée.
— Maréna ? Qui est-ce ? Que vous a-t-elle fait ?
— C'est la déesse de l'hiver. Elle rôde depuis des semaines dans ces bois et tous ceux qu'elle touche ont le cœur changé en glace. Tu ne peux pas rester ici.
Elles tournaient maintenant autour de la gamine, tissant de longs fils bleus autour d'elle.
— Pars, petite, va-t'en, ou Maréna te changera en glace.
— Fées, fées, le soleil se meurt un peu plus chaque jour. Bientôt il disparaîtra tout à fait. Vous devez nous aider !
— C'est la malédiction de Maréna. Elle cherche la demeure du soleil, l'endroit où il repose chaque jour après sa course dans le ciel. Pour l'étouffer dans son sommeil. Elle t'étouffera comme lui. Ne sens-tu pas sa présence dans le vent glacé ? Va-t'en, petite, avant qu'elle ne te trouve.
— Non ! Vous devez m'aider. Nous aider. Ne voulez-vous pas revoir le soleil ?
— Le soleil n'est rien pour nous qui vivons de la lune, petite. Tes larmes nous ont appelées mais nous ne pouvons...
— Attendez ! Vous ne comprenez pas ! Le soleil... c'est lui qui fait briller la lune !
Les fées s'interrompirent en vol.
— Que racontes-tu là ? Le soleil est le soleil et la lune est la lune.
Maroussia se mordit la lèvre. Il fallait bien trouver une façon de les convaincre. Même si elle devait mentir un peu.
— Non, justement. Je... j'ai lu dans un livre que c'était le soleil qui illuminait la lune. Si la déesse de l'hiver éteint le soleil... vous n'aurez plus de lune non plus !
La nouvelle eut l'effet d'une bombe parmi les fées qui se mirent à voleter dans toutes les directions avant de se regrouper autour d'elle, l'air méfiant.
— Tu es bien petite pour savoir lire.
— C'est Grand Ma. C'est elle qui m'a appris. Comment connaîtrais-je votre langage autrement ?
Les trois fées se consultèrent à voix basse. Maroussia ne sentait plus ses pieds, engourdis par le froid malgré ses chaussons de feutre. Quand les fées lui adressèrent à nouveau la parole, elles semblaient quelque peu embarrassées.
— Bien sûr... plus de lune... c'est gênant. Mais nous ne pouvons pas nous opposer à Maréna, tu comprends. Ça ne serait pas prudent.
Les trois fées se rapprochèrent de son oreille.
— Néanmoins, parce que tes larmes nous ont émues... Rentre chez toi, petite, et dépose tes chaussons devant la cheminée. Au matin, tu y trouveras quelque chose, un cadeau de notre part. Un cadeau magique. Mais tu ne pourras jamais dire d'où il provient, tu entends ?
Maroussia hocha énergiquement la tête, éparpillant les petites fées.
— Tu inventeras une histoire, tu comprends ? Tu sembles douée pour inventer des histoires.
— Je n'ai pas...
— C'est bon, c'est bon. Inutile de discuter. Va, maintenant. Et ne reviens plus nous déranger avant le printemps.
Les fées regardèrent autour d'elles pour s'assurer que personne n'avait épié leur conversation et s'empressèrent de disparaître au fond du puits. Maroussia reprit joyeusement le chemin de la chaumière, sautillant tout du long.
Au matin, elle courut à la cheminée et s'extasia en voyant la superbe poupée de chiffon que les fées y avaient déposée. Sans même dire bonjour à Grand Ma qui l'observait du coin de l'œil en faisant semblant de tricoter, Maroussia se précipita à l'extérieur. Le soleil pointait tout juste au-dessus de la forêt. Faible encore, mais elle sentit la douce chaleur la réchauffer.
Car on raconte qu'il n'en faut pas plus que le bonheur d'une petite fille pour l'appeler chaque matin et lui rendre ses forces.

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Image de Le puits aux fées
Illustration : Gabrielle Sibieude

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