Le cachot de l'espoir

Toute histoire commence un jour, quelque part et finit parfois dangereuse ou moins dangereuse quelque part. L’on a toujours idée de la façon dont elle commence mais souvent l’on ignore totalement de quelle façon dont elle se terminera. Des fois, par intuition, on tente d’imaginer la fin, mais toujours est-il que par passion on refuse d’imaginer une fin tragique pour se donner une paix intérieure.
Mon histoire est une véritable leçon que j’enseignerai volontiers à mes enfants. Ce vendredi 1er Janvier 2016 ne me quittera jamais l’esprit. Ce jour-là, j’avais désobéit à ma mère pour rejoindre mes amis qui célébraient la fête du nouvel an. Toute la ville était dans une nuit opaque. On se servait de la torche de nos téléphones portables pour se frayer un chemin. La boîte de nuit que mes amis avaient choisie pour célébrer le nouvel an se situait à deux cents mètres de mon domicile. J’avais décidé d’y aller à pieds. Il était à peine vingt une heures à ma montre lorsque je me mis en chemin.
A cinquante mètres du lieu de la soirée, alors que je voyais déjà quelques grappes d’individus arrêtés non loin de moi, je décidai de passer un coup de fil à ma camarade Yasmine. Pendant que je fouillais mon répertoire, je reçus un coup léger dans mon dos. Trois jeunes aux intentions obscures m’entourèrent et me trimbalèrent dans un coin sombre pour me déposséder de ce que j’avais de plus précieux au monde : ma virginité dont se glorifiait ma mère. Je sentais le monde s’effondrer autour de moi. Non ! Je ne pouvais en aucun cas concevoir un tel sort.  Je ne voulais pas perdre en un si laps de temps cette chose précieuse qui faisait l’honneur de mes parents et mon bonheur propre. Je ne sais trop par quel mécanisme, mais, je m’étais vue nue, couchée sur le sol sablonneux. Je priais tous les dieux en vue d’escamoter  les intentions de ces criminels.
Au moment où l’un d’entre eux, le plus grand me bâillonna, un autre jaillissait comme un sot et couvrait de son corps écailleux, souillé, sur le mien encore saint. Mon cœur battait si vite que je faillis m’évanouir sur le coup. A cor et à cris, je tentai de repousser le premier candidat qui voulait me déposséder de ma virginité. Mais, une force qui n’aboutira à rien. Je n’avais pour dernier secours que le Ciel. Mais malheureusement, mes cris de désespoir s’évanouissaient dans cette lugubre nuit qui gouvernait déjà toute la ville. J’avais l’impression que le Ciel m’avait fermé ses portes. Je plongeai dans le désespoir et toute mon énergie s’évapora. Je tombai flageolante tout essoufflée. Je  n’avais plus le choix que de laisser libre cours à ces malfrats hypnotisés se désaltérer dans ma virginité. Tout semblait fait, lorsque j’entendis le plus robuste dire aux deux autres de s’écarter. Le plus jeune me bâillonna de son gros pullover trempé de sueur. Je m’étouffais sous ce pullover malodorant.
Le chef du gang s’approcha de moi le corps trempé de sueur et les yeux derrière une paire de lunettes noires. Ce jeune homme d’une trente d’années, la tête rasée, les barbes peu soignées me regardait de façon bizarre. Sur un signe du chef, les deux autres me transportèrent dans une 4x4 rouge, garée non loin de là. Ils me jetèrent dans le coffre les mains liées et la tête encagoulée. Puis, la voiture démarra en trombe et fila à toute pompe vers une destination inconnue.
J’étais coincée entre deux pneus soigneusement installés dans le coffre. Je savais que plus rien ne pouvait me faire revoir mon père et ma mère. Il n’était plus question de caresser un autre espoir car ceux qui détenaient mon destin se noyaient constamment dans la drogue et toutes sortes d’hypnotisants. La voiture rouge se remplissait de fumée. J’étouffais dans ce nuage, prenais ma dose à chaque inhalation et plongeais irrésistiblement dans un sommeil profond.
Je ne sais combien de temps cette voiture avait roulé. Mais quand elle s’arrêta, alors que j’étais toujours dans les bras de Morphée, le plus jeune m’ouvrit le coffre. Ahuri de me voir ronfler fortement, il me donna une paire de gifles pour que je ne sorte de ce sommeil.
Le chef ordonna au jeune de me libérer le visage pendant qu’il se sauvait dans la maison. Mes yeux encore noyés de sommeil, tardaient à s’ouvrir. Quand enfin je réussis à les ouvrir, je me retrouvais dans une grosse villa, entourée par endroit d’espace vert, éclairée de part et d’autre d’ampoules de couleurs différentes et de dernière génération. Cet arc-en-ciel de lumière donnait un air agréable à cette villa de quatre pièces construite au milieu de cette grande cour.
Le jeune homme qui m’avait enlevé la cagoule me tira d’un coup sec par la main. Je le suivis sans résistance. Je voyais déjà un couteau dans mon ventre ou une grosse balle venant d’un colt me traverser la tête. Je m’imaginais toutes les scènes horribles. Je m’étais suffisamment préparée pour subir le viol de ces trois malfrats.
Quand nous rentrâmes au salon, je trouvais le chef arrogamment assis dans un fauteuil italien sorti d’usine. On me fit arrêter devant lui. D’un air désintéressé, il se saisit de la télécommande, baissa tout doucement le volume de la télévision. Il ôta de la main gauche sa grosse lunette qui protégeait ses yeux. Quand je vis l’état de son œil gauche, j’eus peur et poussai un grand cri. Je compris pourquoi il hésitait à se débarrasser de cette grosse lentille noire. Son œil gauche était complètement abimé et l’autre œil, rougi par la drogue, était presque invisible. Sans s’émouvoir des larmes que je versais, il fit signe du doigt de m’approcher de lui, injonction à laquelle je refusais d’obéir. Ulcéré par mon attitude, il ordonna à ses deux acolytes de m’amener à lui de force.
Une fois à ses côtés, il commença par caresser mes cheveux, puis mon cou et finit par plonger sa main entre mes seins. Que pouvais-je faire moi qui n’avais plus d’autre choix. Je le laissais continuer son jeu malgré ma peur et mon dégout. Il ordonna à ses deux petits gardes du corps de sortir.
Nous restâmes lui et moi dans cette grande pièce. Il continuait toujours son jeu. Il enleva ma petite jupe jaune. Puis, je ne sais pourquoi, il s’arrêta un instant et m’interrogea en ces termes.
_ Qui es-tu, jeune fille ?
J’ignorais totalement l’intention qui se cachait derrière cette question vague. Je décidai de ne pas prêter oreille à sa question.
_Comment t’appelles-tu jeune fille ? Insista-t-il.
_ Binta Lamah, lui répondis-je, les larmes aux yeux.
_Tu t’appelles Binta Lamah, tu dis ? S’étonna-t-il en me fixant dans les yeux.
_Oui c’est bien ça, lui répondis-je avec tact.
_Qui vous a fait ce signe sur votre mollet gauche? Continua-t-il avec le même ton d’étonnement.
_Je n’ai aucune idée, ma mère adoptive m’a dit que c’est l’œuvre de ma mère.
_Votre mère ? Et comment s’appelle-t-elle ?
_Kadiatou Diallo.
Après cette dernière réponse, paradoxalement, je vis ce jeune homme fondre en larme dans mes bras. Je gardais mon silence jusqu’au moment où il était prêt à me parler sincèrement.
Quand il se releva, je fus surprise de par son incapacité à me regarder dans les yeux. Il me demanda de me rhabiller puis il me fit signe d’aller prendre ma douche. Je ne comprenais réellement pas ce qui lui arrivait. Tout ce que je désirais à cet instant était de rentrer immédiatement chez moi. Quand je refusai de prendre ma douche, il décida enfin de me dire les raisons de ses larmes.
_ Je m’appelle Ibrahim Lamah. Tu es ma jeune sœur que j’ai passé dix ans à chercher. Notre mère est décédée il y’a treize ans dans un accident de circulation. A l’époque, tu avais à peine cinq ans. Notre père qui ne pouvait plus supporter le décès de sa femme décéda lui aussi un an plus tard. Toute la famille nous abandonna. Livrés à nous-mêmes alors que je soufflais à peine ma seizième bougie, je décidai de te confier à l’orphelinat le plus proche en te laissant cette marque indélébile au mollet pour me faciliter ta recherche plus tard. Je travaillais sans relâche pour me faire rapidement de l’argent. Un an plus tard, quand j’eus suffisamment d’argent, je décidai de venir te récupérer à l’orphelinat. On m’annonça, ce jour-là, cette effroyable nouvelle : une famille t’a adopté. J’étais bouleversé car je ne pouvais imaginer une vie meilleure sans toi. Déboussolé à l’idée que j’avais perdu ma sœur pour toujours, je sombrais dans les vices.
Quand il finit de parler, je restais silencieuse. Il m’étreignit dans ses bras et nous nous mîmes à pleurer. J’avais trouvé mon frère.