L'Amour ne dure qu'une fois...

José Herbert AHODODE est un Jeune Leader du Bénin. Auteur d'essai et d'articles de réflexions, il produit également des écrits d'autres genres comme nouvelle, roman, poème, etc. Auteur engagé ... [+]

Toute histoire commence un jour, quelque part, dans une république en terre africaine sous le regard éclairé du soleil et de la lune... Il était 12h 30, la sonnerie retentit pour signaler la pause. Les oiseaux, qui, au crépuscule, rivalisaient d'entrain et lançaient aux quatre vents les harmonies de leurs solfèges, s'étaient tus depuis longtemps. Dans le bruit assourdissant devenu familier à force de l’entendre, les étudiants de la deuxième année de sciences sociales de l’Université publique de Tognon furent libérés. Le professeur aurait voulu tant finir son chapitre avant la fin de la première partie du cours, il dut se résigner pour continuer dans l’après-midi. Nous étions donc sortis en îlots, parfois par affinité, pour rejoindre la cantine dans le seul but de reprendre des forces en dégustant le plat au menu du jour. Le jeudi, la file du rang est comparable à une cohorte de fourmis à l’affut d’un appât. Avec quelques malices d’étudiants zélés, nous réussissons, Oscar et moi, à gagner quelques places dans ce rang interminable... Lorsque je suis venu à l’Université, c’est avec Oscar que j’ai commencé mon immersion dans la nouvelle ville. J’avais fraîchement débarqué de Biglochémin, mon village natal, après l’obtention du BAC. On ne se connaissait pas mais ce bonhomme m’a été sympathique depuis les premiers jours de cours dans ce nouveau milieu. Du coup, nous sommes devenus des Amis inséparables, des colocataires - plus que frères. C’est avec lui que mes déboires, mes succès, mes joies, mes sottises et mes erreurs eurent des compagnons d’infortune et de fortune avec qui partager ces moments selon les circonstances.
Nous avions pris une résidence universitaire, meilleure alternative au regard de nos moyens financiers limités dans cet univers (l’université). Mes parents étaient des commerçants depuis des générations. L’entreprise familiale que papa tenait de son père et que grand-père a hérité de son père était florissante à un moment avant de sombrer dans une faillite qui ne dit pas son nom. La destinée aurait voulu que je sois l’héritier légitime de la besace familiale, une firme qui depuis des générations, tenait la flamme des meilleures ventes des tissus locaux et des artifices de décorations, des meubles et immeubles. Mais la conjoncture économique et parfois la confusion de l’entreprise avec la famille par ses dirigeants (ce qui est peut-être normal vue que c’est une entreprise familiale) a finit pas perdre de valeur d’années en années et aujourd’hui, ETS TAGNON n’est plus qu’un lointain souvenir.
N’étant donc pas né avec une cuillère en or dans la bouche, mais dans un environnement où le père est polygame nanti de nombreux enfants avec le panier de la ménagère qui s’amenuise de jour en jour, je n’ai eu droit qu’à m’inscrire dans une faculté publique. Dans ma famille à moi, il suffit que tu naisses et c’est à ta Maman que revient la charge de faire de toi ce que tu deviens dans la société. Le père, polygame de surcroît, ne se souciait que de mettre en clope ses épouses afin d’augmenter son harem d’enfants puisque dans nos sociétés, l’enfant est une richesse dit-on. La situation n’était donc guère reluisante mais quand on n’est pauvre et qu’on naît pauvre, le destin place parfois sur ton chemin les bonnes personnes, les bons amis pour te guider. C’est ainsi que je pourrai expliquer ma rencontre avec Oscar, ce jeune de deux ans mon aîné qui venait aussi d’une famille modeste mais dont l’oncle possédait un bar restaurant au centre-ville. C’était un lieu privilégié pendant les week-ends pour assurer le remplissage de nos ventres d’étudiants sous réserve de quelques travaux de nettoyage. Il nous arrivait même de tenir la caisse de l’Oncle Thimothée pendant les jours d’absence de son bar man qu’il envoyait parfois sur d’autres fronts. Ce service était naturellement contre rémunération ; un pécule qui permettait de tenir quand même quelques jours. Un week-end, pendant que nous étions allés au Bar Vip « La Noche » pour notre service hebdomadaire, le cuisinier m’envoya servir la table 5 qui avait commandé des frites au poulet. Quand la commande fut apprêtée, je pris le plat et je m’engageai vers le client. Que dis-je, je pris le plat et je m’engageai vers la cliente solitaire : Vanessa. Pour décrire Vanessa, je n’irai pas par quatre chemins ; c’est une autruche. Comme cet oiseau coureur, elle est grande, sauvage, et se cache dès qu’elle sent le danger. Ses interminables jambes minces supportent un buste sensuel doté de fruits arrogants. De longs cheveux noirs couronnent un visage intense bien que doux. Le corps de Vanessa semble avoir été conçu exclusivement pour déstabiliser les gentils hommes qui n’avaient rien demandé - ou ne demandaient pas mieux. C’est ce qui la différencie de l’autruche (avec le fait que Vanessa ne pond pas d’œufs d’1 kg). Quand une jolie fille vous regarde comme elle m’avait regardé, il y a deux possibilités : ou bien c’est une allumeuse et vous êtes en danger ; ou bien ce n’est pas une allumeuse et vous êtes encore plus en danger...
Je lui amenai le repas servi avec, à mon habitude, toute la politesse requise : « Bonjour Madame, votre commande est prête ». Et à la belle Vanessa de me répondre : « Merci, pour un serveur, vous êtes plutôt beau mec »...
Par suite, je ne sais comment c’étaient enchaînés les mots, les paroles, les faits et gestes ou bien même les non-dits. Mais je m’étais retrouvé dans la réserve du Bar, l’instant d’après, en train d’effleurer la gentille Vanessa dans ses compartiments les plus intimes. Ah ! La douceur de ses lèvres, je veux bien vous en parler mais on ne finira jamais de les décrire ! Tellement, douces elles étaient à n’en point trouver de comparable dans ma féconde imagination... Mon ami, Oscar n’en croyait pas à ses yeux quand nous sommes sortis, elle les cheveux bien désorganisés et moi, mes boutons de chemises à peine fermés. Ça sautait aux yeux qu’on venait de gouter au fruit défendu. C’était plutôt rapide pour un coup du soir. J’avoue que sur le coup, en un court instant et sans m’en rendre compte, je venais d’enclencher un processus dont, peut-être, je n’aurai pas entièrement le contrôle. Le repas servi de Vanessa s’était refroidit mais ce soir-là, on lui fit un emballage emporté. Entre temps, je reçus les sermons de l’Oncle Thimothée qui avait remarqué mon absence et après nous a vu sortir de sa réserve. Quand je pense avoir agi ainsi par non maîtrise des pulsions, c’est facile de céder à une femme allumeuse de la carrure de « Vane », le gentil diminutif que je lui donnai. Surtout si la nature l’a doté de ce sourire charmant et audacieux, de ces jambes et de ces lèvres délicieuses. Il s’est écoulé environs 30 minutes entre le repas servi, l’entrée et la sortie de la réserve et le jeu était clos alors que c’était notre première rencontre...
Ce jour-là, j’ai dû vite pris congé des lieux où je venais d’effleurer Vane pour rentrer au campus. Le lendemain, je me suis réveillé à neuf heures, j’ai allumé la radio pour suivre mes émissions préférées et faire le point de l’actualité de la semaine. Comme d’habitude, il y avait encore eu des dizaines de morts par ici voire de centaines de morts par là-bas.
Alors, j’ai tout arrêté, et j’ai siesté jusqu’à 18h 30. Et pendant ce laps de temps, mon sens onirique m’a bien joué des tours. J’ai rêvé de Vane et moi pendant tout mon sommeil. Cela s’est répété plusieurs fois avec parfois des scènes érotiques, parfois des balades en amoureux et mieux dans une vie de famille avec de « vrais » gosses dont j’étais le père. Ce dernier tableau m’a fait sauter du lit - m’a réveillé tout en sueur. Puis, je me rappelle encore du fou rire de mon ami-frère Oscar quand je lui ai narré l’origine de mes gémissements pendant mon léger sommeil. Et depuis ce rêve, c’était la dernière fois que j’ai vu « Vane » après notre première rencontre, le fameux soir au Bar...
Déjà UN AN que je n’ai plus revu Vanessa. Depuis ce temps, ma vie a complètement changé ; je broyais du noir en plein temps. Je n’ai pu parler à personne de ce qui s’est passé. Personne ne m’a rien demandé, en fait. Pourtant, elle n’est pas morte, je crois ! Parfois, je passais devant sa maison sans toutefois avoir la force d’aller lui faire une visite amicale ponctuelle. Surement par crainte que sa chambre serait vide parce qu’elle serait sortie faire des courses en ville ou occupée à papoter avec ses congénères !
Pour passer ces temps de solitude, Oscar était là. Toujours présent pour redonner le punch à son ami-frère que je suis. Je n’avais goût à rien mais Oscar, quelques fois, me faisait participer à des soirées dansantes, des fêtes organisées en ville. C’est vrai que la danse et moi, c’étaient deux variantes opposées mais j’y allais quand même. Un jour, Oscar a reçu la nouvelle de la venue d’un oncle maternel qui résidait à l’étranger. Puis, il a demandé une autorisation d’absence pour répondre à l’appel de son oncle qui lui avait promis de meilleures conditions d’études dès son retour au pays. J’étais heureux pour mon frère Oscar car je savais que ce voyage changerait quelque chose - en mieux - dans sa vie.
En raison de mon histoire vécue avec Vanessa, je m’étais juré ne plus aimer une demoiselle - fut-elle une réincarnation de Vanessa avec sa divine beauté. Pendant que je prenais position, le destin me prévoyait un coup bas. J’ai fait une rencontre. Oui, moi qui, depuis plus d’un an, ne voulait plus voir de filles. Je me souviens très bien de la deuxième fois que je l’ai rencontré. C’était à l’enterrement de ma tante paternelle, la sœur de mon père. Comme un devoir familial, j’étais rentré auprès des miens pour me recueillir et participer aux cérémonies. Je ne sais pas, j’avais dû sentir que quelque chose allait m’arriver, ce jour-là.
Toute l’église surveillait le mari de ma tante, pour voir s’il pleurerait. C’est le curé qui avait sa boite secrète : il évoqua les cinquante ans de mariage. L’œil du mari de ma tante se mit à rougir. Lorsqu’il versa une larme, ce fut comme un signal de départ, la famille entière ouvrit les vannes, sanglota, se répandit en regardant le cercueil. Il était inimaginable de se dire que ma tante était dedans, prête à être enfermée dans un rectangle, six pieds sous terre. Il a fallu qu’elle meure pour que je me rende compte à quel point je tenais à elle. Quand je ne quittais pas les gens que j’aimais, c’étaient eux qui mouraient. Suite à cette illumination, comme une révélation, je n’ai pu m’empêcher de me joindre à la famille - j’ai pleuré sans aucune retenue et de toutes mes forces car je suis influençable...
Quand j’ai cessé de voir trouble, j’ai aperçu, comme une illumination, Vanessa qui m’observait. Elle m’avait vu dégouliner. Je ne sais si c’est l’émotion, ou le contraste avec le lieu, mais j’ai ressenti une immense attirance pour cette mystérieuse apparition en pull moulant noir. Plus tard, elle m’apprit que, Sam, l’enfant de ma tante et elle, étaient amis de longue date. Ah ! Quand le destin te joue des tours... Bref, l’essentiel, c’est que dès que nous nous étions revus, notre attirance réciproque avait refait surface. Vanessa avait envie de me consoler, cela se voyait. Cette rencontre m’a appris que la meilleure chose à faire dans un enterrement, c’est de retomber amoureux...
Pendant que Vanessa qui venait de faire sursauter mon cœur en deuil, embrassait mes joues mouillées, elle comprit que j’avais compris qu’elle avait vu ; que j’avais vu qu’elle m’avait regardé comme elle m’avait regardé... Et les yeux s’étaient parlé. Je me souviendrai toujours de la première chose que je lui ai dite : « J’aime bien l’anatomie de ton visage ».
Je ne sais si l’année l’a changé mais c’était comme une autre créature... J’eus le loisir de la détailler. Frémissement de cils. Rire boudeur qui fait bondir ton cœur dans sa cage thoracique soudain trop étroite. Merveille de regards détournés, de cheveux dénoués, de cambrure au bas du dos, de dents éclatantes. La belle à l’allure de Jessica Simpson étirée sur un mètre soixante-quinze. Une folle rassurante. Une allumeuse calme, d’une réserve impudique. Une amie, une ennemie... Il faisait froid sur le parvis de l’église. Ses tétons durcissaient sous son pull moulant noir. Elle avait des seins érigés en système. Son visage était d’une pureté que démentait son corps sensuel. Exactement mon type de femmes - je crois...
À partir de cet instant précis, j’avais su que je donnerais n’importe quoi pour entrer dans sa vie, son cerveau, son lit, voire le reste. Avant d’être une autruche, Vanessa était un paratonnerre ; elle attirait les coups de foudre. Et j’étais devenu quelqu’un d’autre, fasciné par l’extrême tension électrique, palpable, qui peut se créer entre un homme et une femme qui ne se connaissent pas, sans raisons particulières, comme ça, simplement parce qu’ils se plaisent et désirent juste unir corps et esprit...
Au cours d’une de nos balades en amoureux, je fis la déclaration suivante : « Vanessa, il est encore temps de reculer, vite, parce qu’après, il sera trop tard, parce que je vais t’aimer très fort - t’aimer d’amour -, et je suis un autre dans ces cas-là... ».
Mais avant que je ne finisse ma phrase, c’était la langue de Vanessa qui m’a interrompu et tous les violons de tous les plus beaux films d’amour ont craché un misérable grincement en comparaison à la symphonie qui résonnait dans ma tête. Depuis, j’ai compris que le coup de foudre n’était pas que dans les contes de fée. J’en étais la preuve vivante...