Illusion

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J'écris pour moi. Je partage avec vous.

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  • Littérature générale
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  • Relation de famille

Toute histoire commence un jour, quelque part, par un regard, un sourire ou un baiser volé. Un « oui » murmuré entre deux rires, des heures d'étreintes, la joie des premiers pleurs et la vie suit son cours, pour le meilleur... et pour le pire.

Le bruit de chaise qu'on pousse, des cris, une gifle, une porte qu'on claque et puis plus rien. Mes mains retombent le long de mon corps, laissant sûrement des traces derrière elle, seules témoins d'une colère étouffante, incontrôlable, mais surtout silencieuse.

Je sors de ma chambre et la vois, assise à même le sol, et lui tends la main sans un mot.

Elle me regarde et sourit. Sa lèvre inférieure craque. Elle saigne. La mienne aussi, sous le poids des mots que je peine à retenir. Elle se frotte l'œil, sert son bras meurtri, et grimace. Il ne l'a pas ratée, cette fois.

Sa bouche s'entrouvre, mais je sais déjà ce qu'il va en sortir. Une colère sourde me fait serrer mon poing libre et libérer l'autre main de son étreinte. Je me détourne d'elle, sa vue m'étant tout d'un coup insupportable. Je me mords la langue et ravale mes mots. Car ce n'est pas de sa faute.

Mes mains bougent de leur propre chef. Je me retourne, sac de glace à la main, et serre son épaule de l'autre. J'évite son regard, mais je ne peux éviter ses mots.

Sa main se pose sur mon épaule, et ma vue s'embrouille. Je baisse la tête, alors que tout mon corps me crie de m'éloigner d'elle et me recroqueviller dans ma chambre, loin d'eux deux. Je ne le fais pas pourtant, car elle a besoin de moi, de ma présence, besoin de se savoir écoutée.

Il ne l'a pas fait exprès, il était énervé, et s'excusera sûrement à son retour. Il est sûrement désolé. Il appellera certainement dans l'après-midi. Et puis c'est un peu de sa faute à elle, elle l'a provoqué en premier, lancé la première insulte, puis le deuxième coup. Elle n'aurait pas dû. Il ne l'a pas fait exprès...

Sa voix vire dans les aigus. Ma main pressant le sac froid contre son œil flanche, veut presser davantage, mais je me retiens. Je ne bouge toujours pas, mais hoche la tête. Elle ne se tait pas, ne se calme pas. Car ce n'est pas moi qu'elle cherche à convaincre. Mes yeux croisent les siens, mais elle ne me voit déjà plus. Elle est perdue dans son monde à elle, un monde où elle vit depuis trente ans, depuis que son histoire a commencé, un monde où sa seule raison de vivre est de savoir ce qui avait mal tourné cette fois, puis l'autre fois, puis la fois d'avant...

Ma main couvre la sienne posée sur mon épaule, et je la serre de l'autre, faisant tomber la glace désormais liquide. Elle arrête de trembler, puis éclate en sanglots.

Elle répète mon nom, puis crie celui de Dieu, maudit sa famille qui ne lui vient pas en aide, jure d'appeler la police...

Une minute passe, puis deux. Bientôt, l'horloge sonne les dix heures du matin. J'ai raté mon premier cours, elle le sait, mais me serre plus fort lorsque je fais mine de me dégager. Tant pis, un zéro de plus ne changera rien.

J'ai tout d'un coup chaud, l'air de la cuisine ne rentre plus. La fenêtre, pourtant ouverte, ne l'est pas assez. Je lui fais signe de passer au salon, m'éponge le front et les joues, et la suit. Mes sourcils se lèvent malgré moi : elle a perdu du poids.

Je m'assois sur le bord du canapé, aussi loin d'elle que je peux me permettre, guettant le moment où elle réclamerait mon étreinte. Mes épaules se relâchent un peu plus tard : elle n'en a plus besoin.

Je pose les mains à plat sur le canapé, puis croise les bras. Mes paumes humides de sueur laissent une franche trace sur le rouge sale du meuble. Sa voix me parvient aux oreilles, je ne sais pas depuis quand elle parle, mais l'écoute cette fois. Son discours a changé. Il est moins hypocrite.

Elle aurait aimé le quitter, mais ne le peut plus désormais. C'est ce qu'elle veut, mais ce qu'il veut également, lui et sa maudite famille. Rien qu'imaginer le sourire triomphant de sa belle-mère lui donnait envie de vomir. Elle va rester. Rien que pour ça. Et puis elle ne m'oublie pas, qu'elle le quitte me ferait du mal, alors que je n'étais encore qu'au début d'un cursus scolaire-qui s'annonce long vu mes notes. Non, le quitter n'est pas raisonnable.

Ses mots me font sourire, elle le voit et sourit à son tour. Je baisse le regard, seul trait qui peut me trahir.

Elle bouge son bras meurtri, et son sourire s'élargit : elle n'a plus mal. C'est son ventre affamé qui réclame son attention désormais. Je dois avoir faim aussi, le petit-déjeuner sera prêt dans un instant. Il vaut mieux que je me prépare. Je peux rester à la maison aujourd'hui. J'en ai sûrement besoin.

Elle s'éloigne vers la cuisine, je me relaxe. Mes paumes me brûlent, je me sens sale. Elle ne se retourne pas. L'odeur du café titille mes narines, et je retiens un haut-le-cœur. Je ravale ma salive dans une vaine tentative d'y noyer le sentiment qui m'étouffe.

Je soupire, et les mots m'échappent malgré moi.

— Tu me dégoûtes, maman.

Elle ne m'entend pas.

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