Élémentaire mon cher Mage Sohn

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Il était une fois, dans une contrée lointaine, un mage tout puissant appelé Sohn. C'était le mage le plus réputé à des lieues à la ronde. Vous aviez un troll à décimer, un dragon à capturer, une cité à élever en une journée ? Vous saviez à quelle porte sonner ! Des hordes de personnes sollicitant ses pouvoirs venaient frapper à sa porte, et pas une ne repartait déçue. Sohn avait souvent affaire à des despotes en quête de pouvoir, des chevaliers téméraires en quête de gloire ou des confrères magiciens en quête de savoir. Aussi fut-il étonné lorsqu'un beau matin, il trouva au pas de sa porte le jeune prince Alexandre. 

Alexandre avait l'air si humble et si démuni que Sohn ne put s'empêcher de l'accueillir chez lui. Il n'avait rien à voir avec sa clientèle habituelle. Sa requête allait sûrement être la plus simple à combler que toutes les autres jusqu'alors. Pourtant, il n'avait jamais vu de client aussi désespéré que lui.

— Prince Alexandre ! commença le mage, une fois l'étonnement passé. Quel bon vent vous amène ?
— Ô grand Mage Sohn, croyez-moi, je suis le plus malheureux des hommes, répondit Alexandre entre deux sanglots. J'imagine que vous connaissez la princesse Jacynthe ? Celle qui cherche des prétendants dans toute la région. Eh bien, il m'a suffi de l'entrapercevoir lors de l'annonce de sa future accession au trône, et je suis tombé éperdument amoureux d'elle.
— Je ne vois pas grand malheur à cela, repartit le mage, un peu ennuyé d'être dérangé pour une affaire aussi futile. Vous n'avez qu'à prétendre à sa main et espérer être choisi.
— C'est que, voyez-vous... rétorqua Alexandre rougissant de honte, j'avais espéré que vous pourriez lancer un petit sort ou fabriquer une petite potion pour la rendre amoureuse de moi.
— Malheureusement il y a un ou deux alter ego, deux ou trois sine qua non...
— C'est-à-dire ?
— Je ne peux pas rendre les gens amoureux, désolé, c'est contre mes principes.

Alexandre marqua une pause pour considérer les dernières paroles du mage. Lui qui avait asservi des peuples pour satisfaire des tyrans, lui qui avait décimé des populations entières de nuisibles pour garantir la sûreté, il avait comme principe de ne pas contrôler les émotions amoureuses sur demande. « Mon œil oui », pensa Alexandre, « il ne sait seulement pas comment faire. » Cette obscure clause de conscience n'allait pas l'arrêter en si bon chemin.

— Dans ce cas, peut-être pourriez-vous faire en sorte qu'elle me remarque ? demanda-t-il, se contrôlant intérieurement pour ne pas partir en coup de vent. Je ne suis pas vraiment le prétendant idéal : mon château n'a qu'un étage, mon carrosse est constamment en réparation et je passe plus de temps avec mes sujets qu'avec mes courtisans. 
— Vous désirez donc sortir du lot ? Oui, je crois que je peux faire quelque chose pour vous, conclut Sohn, un sourire sardonique aux lèvres.

Deux jours plus tard, le plan était prêt à être exécuté. Alexandre, à moitié tremblant, devait profiter de la fête des moissons pour entrer dans le château et rencontrer la princesse. Lorsqu'il la vit enfin, il s'approcha d'elle avec appréhension. Comment aurait-il pu être serein, sachant que les dernières paroles du sage avaient été « je vais avoir besoin de beaucoup de feu ! » ? Arrivé à sa hauteur, il resta pantois et ne sut que faire. C'est alors que surgirent derrière lui des flammes pareilles à celles de l'enfer. En un rien de temps, le feu gagna les épis de blé séchés entassés dans la salle royale, et le château entier s'embrasa. Alexandre, mû par l'amour, chercha la princesse en tous sens, terrifié à l'idée qu'elle perde la vie dans ce brasier. Mais la princesse, mue par un réflexe de survie, avait déjà quitté le château.

Le mage assista avec surprise l'échec de son plan – son premier échec en 514 ans ! – à travers sa boule de cristal. Il arriva sur les lieux en trombe, où il trouva un prince dépité et un château carbonisé. 

— Comment ?! hurla le mage, elle ne vous a pas remarqué quand elle a vu des flammes surgir derrière vous ?
— Je crois qu'elle était bien trop occupée à fuir hors du palais en feu, répondit le prince morose.
— Et vous n'en avez pas profité pour la sauver ? Je vous avais pourtant offert une occasion en or !
— Je crois que j'étais bien trop occupé à fuir hors du palais en feu, fut la seule réponse d'Alexandre.

Cependant, le feu ne s'était pas arrêté, et il s'étendait désormais au reste des champs et au village en contrebas. La suite du plan coula de source dans le cerveau du mage.

— Vite, placez-vous face au feu ! cria le mage à Alexandre. 
— Non mais, pas fou non ? s'écria Alexandre, tapant furieusement de l'index contre sa tempe.
— Faites-moi confiance !

Alexandre, qui n'arrivait pas à savoir s'il était bien sage de placer sa vie dans les mains de ce drôle de mage, s'approcha néanmoins dangereusement du feu.
« Je vais avoir besoin de beaucoup d'eau ! » marmonna le sage dans sa barbe.
À cet instant, un géant tsunami surgit derrière le prince, déferlant de lourdes vagues à travers toute la contrée. Bâtiments, plantes, bêtes, humains, tous furent emportés par ce torrent inarrêtable, Alexandre et Jacynthe compris. À nouveau, Alexandre voulut la sauver et nagea de toutes ses forces dans sa direction. Mais, constatant son erreur, le mage fit brusquement disparaître l'eau, et Alexandre tomba brutalement à terre.

— Alors, elle vous a remarqué cette fois ? demanda âprement Sohn. 
Alexandre, de la boue plein la bouche, se contenta de lui lancer un regard noir. Il se releva et regarda autour de lui le désastre qu'il avait causé.
— Regardez Sohn, tous les bâtiments sont détruits et les champs sont dévastés ! Et c'est entièrement ma faute. Si Jacynthe l'apprend, elle ne voudra plus jamais m'adresser la parole. 
Sur ces derniers mots, il se recroquevilla et se mit à pleurer. Le puissant mage, attendri, décida de réparer ses erreurs, en essayant une dernière fois d'attirer sur le prince l'attention la princesse.
« Je vais avoir besoin de beaucoup de terre ! » dit-il dans un sourire. Alors, des profondeurs du sol surgirent de nouvelles constructions, bien plus solides et élégantes que les précédentes, et des champs où s'amoncelaient plantes et bêtes en tout genre. Fier de lui, Sohn se retourna vers Alexandre pour lui dire d'annoncer à la princesse que tout avait été réparé. Mais Alexandre ne l'entendit pas.

Pendant que le mage était occupé à élever des bâtisses et faire fructifier la terre, le petit prince s'était approché de la princesse maculée de boue et terrifiée. Alexandre désirait lui apporter du réconfort, mais il ne savait comment. Apercevant cette scène, Sohn eut une dernière idée, et sûrement sa meilleure.
« Je vais avoir besoin d'un peu d'air », chuchota-t-il finalement. Une légère brise s'éleva alors et vint caresser les bras trempés de la princesse. Elle se mit à trembler, ce qu'Alexandre ne tarda pas à remarquer. Il regarda alors intensément Jacynthe qui lui donna la permission d'un mouvement de tête, et, sur cet acquiescement silencieux, il la prit dans ses bras. 

Le mage Sohn comprit alors qu'il y avait bien une magie qu'il ne maîtriserait jamais : celle de l'amour. Il déduisit enfin que, parmi tous les éléments, un peu d'air réchauffe parfois davantage les cœurs que mille châteaux en feu.

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Image de Élémentaire mon cher Mage Sohn
Illustration : Mathilde Ernst

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