Nouveau départ

Toute histoire commence un jour, quelque part à Yaoundé, capitale politique du Cameroun, dans un quartier nommé Ahala résidait un jeune homme nommé Romaric Kouachi âgé de vingt-deux ans. Comme chaque matin il se leva vers neuf heures et eut son premier réflexe : attraper son smartphone pour regarder l’heure et faire défiler ses notifications afin de savoir ce qu’il avait raté sur ses réseaux sociaux durant son sommeil. Particulièrement sur WhatsApp, très populaire dans le monde entier des plus jeunes aux plus âgés. Mais ce matin-là en faisant sa revue des troupes il trouva deux notifications inhabituelles : trois appels manqués et un sms d’une de ses tantes résidant à Ebolowa, la principale ville dans le sud du Cameroun.
Cela semblait important alors il ouvrit le sms sans tarder et lut : « Bonjour fiston j’ai appelé plusieurs fois sans réponse, je voulais t’informer qu’il y a un job dispo dans une pépinière ici. Comme tu te plaignais de n’avoir rien à faire depuis plusieurs mois j’ai donc pensé que ça pourrait te dépanner bref fais-moi signe dès que tu verras mon sms ! ». Aller s’installer hors de Yaoundé pour un job d’une durée inconnue, en était-il capable ? En plus pour cultiver la terre, en était-il réduit jusque-là ? se sentait-il vraiment capable de franchir cette limite ?
Romaric était titulaire d’un baccalauréat littéraire obtenu quatre années plus tôt et, après une année inachevée à l’université de Yaoundé II qu’il estima être une perte de temps, il décida de stopper temporairement ses études supérieures et de se lancer activement dans la recherche d’un boulot qui lui servirait de base à sa future réussite entrepreneuriale. En épargnant sur son salaire il comptait se faire un fonds de commerce pour lancer sa propre affaire et devenir son propre boss car il n’était pas du genre à se soumettre à une hiérarchie d’hommes incompétents placés à des postes à responsabilités par affinité. Le Cameroun ne pouvait pas vraiment prétendre au ‘’prix Nobel de la bonne gouvernance et de la valorisation de la méritocratie’’.
Dans sa quête d’un CDD (contrat à durée déterminée) pour établir son fonds de commerce, il fit des investigations çà et là et s’appuya sur ses connaissances pour élargir son champ de recherche. Ainsi après une courte période de recherche infructueuse, on finit par lui proposer une place de barman dans un snack-bar situé dans le quartier dit omnisports proche de sa zone d’habitation de l’époque vu qu’il résidait encore dans le quartier nommé Mimboman situé pas loin de là.
Il accepta volontiers la proposition. C’était un boulot qui entrait dans ses métiers acceptables non dégradants pour son estime personnelle, et surtout il lui convenait car il était d’une personnalité ouverte avec une bonne éloquence. Son aisance naturelle pour les contacts humains et la gestion des différenciations caractérielles, lui favorisaient un échange assez chaleureux avec la clientèle ainsi que le personnel et particulièrement avec la patronne qui semblait manifester une certaine attirance pour lui mais elle n’était pas la seule parmi les demoiselles avec qui il travaillait. Il était habitué à susciter la convoitise des femmes de par son apparence flatteuse qu’il accentuait avec une élégance en symbiose avec les éléments tendances du moment, chose qui lui tenait particulièrement à cœur. Être à la mode était d’une importance capitale pour lui ; c’était un homme très soucieux de son apparence, attaché à l’image qu’il donnait aux gens et surtout à l’impression qu’il laissait dans leur esprit.
Il travailla près de cinq mois dans ce snack-bar jusqu’à ce que la patronne s’en aille à l’étranger et n’ayant personne pour assurer une gestion fiable et transparente de son business elle préféra vendre et se séparer de ses employés. S’en suivirent deux mois de chômage, d’oisiveté et d’ennui. Et un jour, alors qu’il rendait visite à un de ses oncles, ce dernier lui fit part de son désir d’ouvrir une microfinance et il se saisit de l’occasion pour déposer verbalement sa candidature à n’importe quel poste que son oncle jugerait à sa portée. Quelques jours plus tard il entama son nouveau boulot et étoffa son CV d’une nouvelle expérience professionnelle.
Il réussit à s’épanouir quelques mois dans sa nouvelle structure mais faute d’une bonne gestion celle-ci ne fit pas long feu et mit la clé sous la porte. Il se heurta à nouveau à la fébrilité de l’emploi dans le secteur privé.
Mais son agonie ne dura pas car un autre de ses oncles, directeur financier à la société anonyme des brasseries du Cameroun (SABC), lui proposa un poste d’ouvrier à la chaine brassicole. Quelle aubaine, un boulot à la fois approprié et inattendu. Un CDI (contrat à durée indéterminée) carrément !! Et dans une société qui ne fermerait pas de sitôt, surtout pas par manque de clientèle car les camerounais étaient si amoureux de la boisson que parfois l’offre se retrouvait inférieure à la demande.
Tout semblait enfin se mettre en place. Un emploi stable et bien rémunéré, une base solide pour ses projets d’avenir encore flous et dispersés mais néanmoins convergents sur un point : il deviendrait un grand de ce pays !
Il s’adapta rapidement à son nouveau travail, il était déjà habitué à la routine lever-boulot-manger-dodo. Après quelques mois de travail et d’épargne il quitta la maison parentale à Mimboman et alla s’installer chez sa grand-mère à Ahala dont le cadre lui paraissait en ce temps-là moins confiné et contrôlé et donc plus propice à son épanouissement personnel et professionnel. Il se considérait assez loin de ses parents pour revendiquer son droit à l’émancipation et affirmer son autonomie. De toute façon cela faisait déjà un certain temps que ceux-ci ne subvenaient plus sinon rarement à ses besoins financiers surtout depuis qu’il avait décidé de suspendre ses études supérieures. Vu qu’ils avaient décidé de le laisser être livré à lui-même alors pourquoi continuer de les gêner avec sa présence ?
Le temps était venu de prendre sa vie en main mais le standing de sa nouvelle chambre ne correspondant ni à ses goûts ni à son portefeuille actuel il entreprit quelques travaux et se fit une petite déco bourgeoise. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes hormis son emploi du temps un peu trop surchargé qui ne convenait pas du tout à sa petite amie.
Parrainé par son oncle, il ne resta pas cantonné au même poste et fut muté de services en services élargissant un peu plus son champ de connaissances et de compétences. Il se retrouvait très souvent affecté aux groupes chargés de mission ou des campagnes de promotion dans les autres villes du pays et faisait malgré lui du tourisme aux frais de la société. L’aventure se poursuivait mais sa santé déclinait, il souffrait de violents maux d’estomac auxquels les médicaments semblaient ne pas faire d’effet alors il se rendit à l’hôpital central de Yaoundé, l’un des grands hôpitaux de la capitale, pour y faire toutes sortes d’examens mais les résultats étaient normaux et il continua à suivre sa médication mais sans réelle amélioration.
Alors un jour où la douleur était devenue insoutenable, il décida d’aller consulter un soigneur indigène qui lui apprit que les médecins ne pouvaient pas détecter sa maladie car elle était d’ordre mystique, certains de ses collègues jaloux des faveurs dont il bénéficiait voulaient lui ôter la vie et celle-ci ne tenait plus qu’à un fil. Après plusieurs séances de traitement, son état commença à s’améliorer et le soigneur le mit en garde que la prochaine tentative lui serait peut-être fatale ainsi il avait désormais le choix entre s’entêter à y travailler ou préserver sa vie et chercher un autre emploi.
Ainsi, une fois son état de santé rétabli, il travailla encore durant un trimestre. Le temps pour lui de se refaire également une santé financière car ses multiples consultations et traitements l’avaient amenui. Une fois ce trimestre achevé, il alla trouver son oncle dans son bureau et, sans lui donner la vraie raison de son départ, lui annonça sa démission. Celui-ci se sentit offusqué mais ne pouvant pas le forcer à rester, le laissa s’en aller. Son acte lui fut reproché par tous, il fut réprimandé par les uns et refoulé par les autres, on le taxa de capricieux et de non persévérant face à l’adversité. La plupart de ses oncles et tantes le prirent comme un enfant gâté et indécis qui ne savait pas réellement ce qu’il voulait pour lui-même, un autre de ces jeunes qui désirent s’enrichir sans souffrir. Alors ils lui tournèrent le dos afin qu’il se débrouille tout seul et ainsi, une fois que la vie l’aurait suffisamment accablé il ferait preuve de moins d’orgueil et trierait moins les opportunités offertes à lui.
Retour à la case départ, après avoir vécu dans le confort et l’aisance pendant plus d’un an il se retrouva à nouveau sans occupation. Environ deux années après avoir suspendu ses études supérieures, tandis que la plupart de ses ex-camarades s’apprêtaient à devenir des licenciés sans aucune expérience professionnelle, lui était déjà un ex-employer avec un CV bien fourni. S’armant de ce dernier il s’informa des offres disponibles et postula par ci par là mais ne reçut pas de réponse positive juste des promesses d’appel.
Dans sa période de transition prolongée, il réussit à assumer ses dépenses habituelles durant deux à trois mois mais ne trouvant toujours pas d’emploi il dut réduire son train de vie et se passer de certaines dépenses dispensables. Les semaines s’écoulant sans trouver de nouveau boulot, il dut faire de plus en plus de restrictions et élargir son champ de métiers acceptables. La chance semblait lui avoir tourné le dos alors il décida de trouver d’autres sources de revenus en attendant que celle-ci revienne. Usant de ses charmes il commença à se faire entretenir par toutes ces femmes qui le désiraient tant, cependant cette gestion était limitée et quand ces dernières commençaient à lui imposer des conditions, son égo prenait le dessus et il les envoyait paitre préférant conserver sa liberté et sa dignité que de devenir un larbin exhaussant le moindre de leurs souhaits.
Les mois passant et sa situation se dégradant davantage, il dut même se résoudre à chercher des chantiers où postuler en tant que manœuvre mais ils ne pullulaient pas dans son quartier alors parfois il trouvait un coulage de dalle par ci ou un tôlage de maison par là mais rien de bien durable. La situation atteignit un tel seuil critique que pour survivre, il se mit à vendre certains de ses biens comme sa console de jeu adorée. Il survécut tant bien que mal durant ces mois sombres soutenu par sa petite amie qui le dépannait quand elle pouvait. Elle était si attachée à lui qu’elle était prête à supporter cette situation autant de temps que nécessaire. Elle, quelques amis très proches et ses réseaux sociaux étaient ses seuls réconforts durant cette période difficile.
Alors après près d’un an de chômage, ce sms de sa tante arriva comme une délivrance mais également un dilemme pour lui qui était si attaché à la capitale où il est né. Et tandis qu’il réfléchissait sur la proposition de sa tante, il entendit sa grand-mère entamer son récital de reproches contre lui, elle hurlait ainsi chaque jour depuis des mois et il ne rêvait que de s’en éloigner alors il bipa sa tante qui le rappela aussitôt :
–Allô fiston
–Oui bonjour tata je viens de voir ton sms. C’est quel genre de job s’il te plait ?
–Un pointage dans une pépinière de l’Etat située hors de la ville
–Hors de la ville ?
–Oui mais t’inquiète tu vivras chez moi, la voiture du délégué départemental d’agriculture ira souvent vous déposer le matin et viendra vous chercher le soir.
–Et le travail consiste en quoi ?
–C’est en plusieurs étapes et chacune d’elle a sa rémunération. Pour l’instant ils ne sont qu’au remplissage des sachets, on remplit un sachet à 10 francs et il en reste encore plus de 50.000 à remplir. Mon ami en charge de ce projet m’a dit qu’il voulait remplacer un membre de son équipe et j’ai pensé à toi. En tout cas viens d’abord voir le travail et s’il ne te convient pas tu rentres.
–C’est très intéressant mais je n’ai vraiment pas de quoi voyager
–Ok je te ferai un transfert orange money pour le billet
–Ok merci tata !
Le lendemain il prit donc le car pour Ebolowa en se disant que même s’il faisait juste une ou deux semaines de remplissage il rentrerait avec assez d’argent pour s’assurer une bonne fin d’année. Une fois surplace, il fut reçu et installé par sa tante. Le lendemain, elle le réveilla aux aurores et alla le déposer à la délégation départementale d’agriculture où il rencontra son chef d’équipe et ses nouveaux collègues. Ils embarquèrent dans le véhicule de service et se rendirent sur le site de travail situé à quelques kilomètres de la ville, c’était une pépinière énorme avec des dizaines de rangées de sachets déjà remplies. Estomaqué, il demanda au chef de le briffer sur le déroulement du travail dans son ensemble et il lui répondit :
–Bon le travail suit les étapes suivantes : d’abord le remplissage des sachets à 10 francs par sachet puis on ensemence à 5 francs le sachet. Ensuite vient l’entretien des plants avec l’arrosage régulier et le désherbage de temps en temps.
–Et l’entretien dure combien de temps ?
–Bon déjà d’ici la fin du mois on devrait avoir fini avec le remplissage et l’ensemencement et on entamera en simultanée l’arrosage des pots déjà ensemencés. Donc en comptant ce mois-ci, l’arrosage ira de Décembre à Avril ou Mai en fonction des pluies. Comme vous êtes quatre je considère que j’ai déjà mon équipe d’entretien et pour cet entretien vous serez payés 40.000 FCFA par mois pour trois jours de travail par semaine.
–Ok. Cette pépinière est censée livrer combien de plants ?
–Bon à la fin du remplissage elle contiendra environ 300.000 pots et on prévoit de livrer au moins 250.000 plants viables. Et d’ailleurs même le chargement des plants dans les camions sera rémunéré.
–Un plant se vend à combien s’il vous plait ?
–Ça dépend de la nature du plant mais à partir de 100 francs.
Le chef finit de lui expliquer le travail et s’en alla. Le soir arriva et le véhicule vint les chercher comme promis, ce fut la première journée de travail la plus exténuante de sa vie, c’était bien plus dur qu’il ne pensait. Mais une fois de retour à la maison il fit un bilan de ce qu’il pourrait gagner en acceptant de travailler dans cette pépinière jusqu’à la livraison des plants en Mai et pensa à son grand oncle qui possédait d’énormes parcelles de terrain pas loin de la ville alors il se demanda, sa réussite sociale passait-elle irrémédiablement par la capitale ?
C’était peut-être là sa chance de concrétiser un de ses projets, d’oublier ses déboires passés et de prendre un nouveau départ. C’était décidé, il s’installerait à Ebolowa, apprendrait en travaillant et grâce à l’argent qu’il économiserait en vivant chez sa tante : l’an prochain il lancerait sa propre pépinière !