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Nouvelles - Littérature Générale
J'arrive. Tout est comme je le redoutais. Sale et sinistre. J'aperçois déjà leurs ombres dansantes. Des visages fades se collent à la vitre. Quelques joues déjà bien garnies avant Noël, quelques peaux teintées d'artifice, quelques sourires qui ne me sont pas adressés. Les portes s'ouvrent. On se bouscule. Ce sont des bêtes sauvages et ils savent qu'ils me font peur. Je me glisse dans le chaos. Dans la masse, on me demande pardon pour un coup de sac, on me lance un regard furieux pour un coup de coude. Qui est responsable ? Qu'importe, on se méprise mutuellement. Les manteaux grattent, la sueur dégouline de chaque pore dilaté, les corps s'emmêlent, l'odeur est nauséabonde. Je vais vomir, c'est sûr. Il semblerait qu'on ait abusé de la climatisation par ici. Une nouvelle odeur désagréable se faufile discrètement dans mes narines. Je lève les yeux, un bras tendu. C'est celui d'un homme, la quarantaine. Il doit manquer d'équilibre car il s'accroche, il s'accroche comme tétanisé à l'idée d'un arrêt, d'une fin brutale. Ça doit être un campagnard, un novice dans l'usage des transports en commun. Presque collé à mon crâne, l'odeur insupportable de son aisselle. Je suffoque. Fallait naître plus grand ou attendre le tram suivant, mais comme eux, c'est pressé que je suis monté. Et c'est plus pressé encore que j'en ressors. À mon tour de coller mon nez à la vitre, d'imposer mes bras pour m'assurer une sortie rapide. On me laisse passer, poliment ou à contrecœur. Je sors, je respire. Enfin. C'est une seconde de pause, un souffle nouveau. Je savoure, mais voilà qu'on me bouscule déjà. Je me retourne, le regard noir. Qui a fait ça ? On ne me demande pas pardon. Une femme me sourit, compatissante, elle a été bousculée elle aussi. Ça je m'en tape, mais elle ne devine pas, non elle ne devine pas que je m'en fous royalement. J'avance, mon pas est rapide et parfaitement rythmé. Je me contrôle encore. On me ralentit, deux adolescentes discutent de quelques idioties. Je veux les contourner, mais elles ont le pas en zigzag. « Pardon » je lance méchamment. Elles se retournent, s'excusent, s'écartent. « Merci », je dis sans le penser. La rue me semble interminable, on se croise à contre-sens. Il faudrait installer deux voies, comme sur les routes, ce serait plus efficace. Je ne perdrais pas mon temps inutilement à voir des comportements pour lesquels je n'ai plus aucun désir d'empathie ou de compréhension. Tandis que je monte, je continue à intercepter les regards de ceux qui descendent la rue. Je dévisage tous les passants. Des visages maigres trop creusés, des visages gras et moelleux. Il y a de tout, c'est une vraie foire. J'entends quelques brides de conversations par ci, quelques exclamations par là. On se coupe parfois la parole, beaucoup de fois même, et d'autres on arrive à se retenir, mais on s'écoute seulement dans le but de pouvoir répondre. On attend impatiemment son tour pour ouvrir sa gueule, ils font tous ça, je les connais. Ils me rendent vulgaire, ils charcutent mes pensées. Parmi toutes les maladies hivernales qui se transmettent, qui sautillent de globules en globules, je ne suis contaminé que par la haine. Elle ne sort pas de moi, je ne l'alimente pas. Ce sont eux les coupables. Cette rage n'est pas à moi, ils me l'ont refourguée. On rit, chacun probablement à sa propre blague, et leurs éclats de rires éclatent, explosent tout droit dans ma figure. On me rit au nez, on me rit à la bouche, on me rit à l'épaule. Ils me répugnent. Dans mon dos se collent quelques plaintes, elles poursuivent mes pas, et je ne parviens pas à accélérer davantage. Je n'avance plus assez vite, je ne peux plus fuir.
Soudain, un coup violent me prend par derrière. Par derrière et par surprise. Je me retourne, terrifié. Mes yeux sautillent dans l'espace, mais il n'y a rien. Personne. Pourtant, j'entends encore toute l'horreur qu'il y a dans leur nature. J'entends comme ils se moquent, je suis large et petit. Ils disent que j'ai l'air d'avoir été tassé par une poêle. J'entends comme ils gloussent. J'entends comme ils jugent avec leurs langues acérées et venimeuses. Un de leurs mensonges vient s'agripper à mes omoplates. Puis un autre. Et encore un. J'ai la sensation d'être un aimant. Comme si toute la laideur humaine flottait dans un courant, et finissait par se cogner contre moi. Moi qui suis toujours planté là, immobile, pétrifié, comme un rocher.
Je tends l'oreille, puis l'autre. J'entends des voix, juste là, comme des murmures qui chatouillent ma nuque. Mais il n'y a que moi. La ville est déserte. J'écoute ses crimes les plus communs, ceux des âmes qu'elle héberge. Une dame est mécontente, l'article n'était pas soldé alors que l'étiquette indiquait clairement une réduction, c'est quand même pas normal, et puis c'est pas la première fois qu'elle se fait avoir. On nous vole de partout, l'arnaque est devenue une normalité, notre société évolue mal, c'était pas comme ça avant. Foutaises ! L'arnaque existe depuis toujours. Mais je ravale ma pensée. L'autre dit qu'il faut pas se laisser faire, elle connaît ça, très bien même, et elle a toujours ouvert sa gueule, elle dit les choses franchement, elle, alors faut pas l'énerver, elle a le sang chaud, elle vient du sud, là-bas on ne se laisse pas marcher dessus. Ça fait plaisir à la dame, elle a raison, elle a bien dit, et après tout, c'est exactement ce qu'elle espérait entendre. C'est pour ça qu'elle le lui a dit.
Je prends une grande inspiration. Ressaisis-toi Tom, ça va aller. Je reprends la marche. Les dames idiotes aussi. Un mauvais hasard sans doute. Ouf, elles dévient vers une rue perpendiculaire. Pas trop tôt. Je monte encore. Je n'en peux plus. Je vais craquer. Je tremble, je panique, je ne vais pas tenir le coup. Des corps ronds et voraces descendent rapidement, on se croise du regard sans avoir le temps de se voir en détails. Je n'ai le temps que pour des constats sommaires, ils sont flasques et bien en chair, pas besoin d'une loupe pour s'en rendre compte. Qu'ils roulent, qu'ils dégringolent, qu'ils dévalent la rue au lieu de me bloquer le passage ! « Fils de putains » je pense, sans le cran pour le dire, sans l'énergie d'avoir des pensées plus courtoises. Je déteste les autres. Ils me rendent barrés. Je ne veux plus les voir, ni les entendre. Je veux rentrer. Qu'on vienne me sortir de là ! Par pitié !
Mais rien ne s'arrête. Tout continue. Tout va plus vite. Encore des corps insatiables qui me reluquent impudemment. Mais qu'est-ce qu'ils me veulent tous bon sang ? Peut-être sont-ils en rut, ouais ça doit être ça, affamés de culs humains, hein c'est ça, vous voulez bouffer le mien ? Non vous n'aurez pas le mien, je ne me laisserai pas faire, j'ai l'air d'un bout de viande ? J'ai l'air tendre ou soldé ? Ce n'est pas à moi de rassasier tant de fringale. Je ne veux pas nourrir cette haine. Je soutiens le regard pour montrer mon agacement. Je passe pour un individu lambda, un homme qui déteste la ville. Ils ont raison, je déteste.
J'arrive chez moi, sans aller mieux. J'ai la sensation que mille ombres continuent de me poignarder dans le dos. Mais je suis seul. Est-ce donc ça, l'hypocrisie, le mépris, et la violence du regard des autres ? Est-ce cela, la véritable part d'ombre des humains, cette noirceur invisible qui nous suit à chacun de nos pas ?
Si ce jour-là le ciel avait grommelé toute sa colère ou si je m'étais prélassé dans une forêt hurlante, je n'aurais pas été surpris de me voir finir comme ça, brisé, anéanti. C'est ce que le cadre aurait voulu, c'est ce qu'on aurait attendu de moi. Et puis les lecteurs, toujours plongés dans la vie d'un autre, ont ce goût malsain pour les corps qui s'abandonnent et les esprits annihilés par la folie. Ça les fait frémir. Ceux qui, comme moi, se meurent, ça les rend plus vivants. Méritent-ils vraiment de savoir que ce jour-là on a piétiné ma chair, ma tête, mon âme, et tout ce qui est censé m'appartenir, comme on s'amuserait à piétiner l'ombre d'un idiot ?
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Pourquoi on a aimé ?
Voilà un texte cynique voire acide, qui vient nous chercher pour nous bousculer un peu. Le style et le vocabulaire travaillent ensemble pour retire
Pourquoi on a aimé ?
Voilà un texte cynique voire acide, qui vient nous chercher pour nous bousculer un peu. Le style et le vocabulaire travaillent ensemble pour retire