
Les illuminations se sont installées dans les villes, portées par l’enthousiasme des enfants et l’énergie débordante des centrales nucléaires. Les papiers cadeaux vont bientôt se déchirer et se froisser au pied des sapins, sous le regard attendri des parents et la mine abattue des arbres étouffés par le bitume et la pollution. Toute la famille va se retrouver pour partager un bon repas, en espérant que la dinde tienne toutes ses promesses et que la grande tante hospitalisée et sans enfant ne tienne pas l’hiver.
Noël, c’est la magie de la contradiction, des plats savoureux et des retrouvailles parfois indigestes, le joyeux plongeon dans les fêtes de fin d’année ou la goutte d’eau qui fait déborder le vase, un délicieux gâteau en dessert mais après une grosse plâtrée de cardons.
En marchant dans les allées de l’hypermarché, je croise des wagons entiers de produits qui ont été exposés pour nous rappeler notre besoin d’acheter et la nécessité de se remplir le ventre pour l’occasion. Mais paradoxalement, pour les gens archi-prévoyants comme moi qui viennent acheter la bûche de Noël le jour-même, « pas sûr d’avoir l’embarras du choix », m’a-t-on prévenu avec des trémolos dans la voix.
Le magasin croule sous toutes sortes de babioles - les jouets made in China, les blocs de foie gras, les boîtes de chocolats et quantités de plaisirs coupables spécialement conçus pour le cholestérol - et malgré cela, on veut me faire croire que la « star du 25 décembre » ne va pas être dignement représentée au milieu de ces montagnes de marchandises ? Je préviens tout de suite, je ne sortirai pas d’ici sans mon dessert à la crème au beurre sans goût ni gluten, avec ses ornements ridicules et ses kilos de sucre. La pâtisserie en question a beau être grossièrement industrielle, je ne veux pas priver ma table de cette gourmandise symbolique à prix discount.
Je me dirige vers elle le cœur léger, en imaginant déjà le goût de cette incontournable tradition gustative de fin de repas, en entendant déjà les applaudissements célébrant sa venue ainsi que l’entrechoquement des verres remplis de vin mousseux ou de champagne pour les plus chanceux.
Arrivé à destination, j’aperçois comme un étrange attroupement devant les étalages des desserts. En regardant par-dessus l’épaule de quelques spectateurs médusés, les mains cramponnées au chariot, je découvre une situation qui semble un peu hors de contrôle : deux femmes se disputent assez bruyamment le privilège d’emporter la dernière bûche de Noël, des rayonnages pillés par des consommateurs peu soucieux des retardataires. Le ton monte. Chacune campe sur ses positions et assure être arrivée la première. En penchant la tête, j’arrive à voir l’objet de tous les désirs, le saint Graal en forme de gâteau roulé chocolat-vanille avec son petit décor composé de houx, d’une hache et de scies en plastique.
Dans une totale cacophonie où la mauvaise foi semble être l’unique règle du jeu et où tous les coups bas sont permis, les deux concurrentes étalent sans gêne leurs connaissances en ornithologie, hurlant une liste impressionnante de noms d’oiseaux. Je m’approche et propose timidement un arrangement à l’amiable avec un bon vieux chifoumi. Mais mon idée ne fait pas l’unanimité dans ce grand vacarme discordant.
Tout d’un coup, alors qu’aucun « dong » n’ait véritablement retenti, les deux catcheuses s’élancent nerveusement sur le ring : griffures aux visages, cheveux tirés, coups de genoux dans le sac à main, l’ambiance devient sportive. Je vois alors arriver au pas de course un vigile accompagné d’un employé à qui on a visiblement demandé de se déguiser en Père Noël, une tâche ingrate qui pourrait presque faire penser à une sanction disciplinaire.
En m’éloignant très discrètement de cette improbable bousculade au rayon frais, je constate que l’esprit de Noël a besoin avant tout d’une bonne dose de chaleur humaine. La bûche planquée sous mon blouson, j’arrive en caisse avec un air triomphant, en me disant que Noël c’est un peu comme un vieux gilet usé : on le critique, on ne veut plus en entendre parler mais quand on est dedans, on se sent étrangement bien. Et contrairement au reste, cette sensation n’a pas de prix.
Noël, c’est la magie de la contradiction, des plats savoureux et des retrouvailles parfois indigestes, le joyeux plongeon dans les fêtes de fin d’année ou la goutte d’eau qui fait déborder le vase, un délicieux gâteau en dessert mais après une grosse plâtrée de cardons.
En marchant dans les allées de l’hypermarché, je croise des wagons entiers de produits qui ont été exposés pour nous rappeler notre besoin d’acheter et la nécessité de se remplir le ventre pour l’occasion. Mais paradoxalement, pour les gens archi-prévoyants comme moi qui viennent acheter la bûche de Noël le jour-même, « pas sûr d’avoir l’embarras du choix », m’a-t-on prévenu avec des trémolos dans la voix.
Le magasin croule sous toutes sortes de babioles - les jouets made in China, les blocs de foie gras, les boîtes de chocolats et quantités de plaisirs coupables spécialement conçus pour le cholestérol - et malgré cela, on veut me faire croire que la « star du 25 décembre » ne va pas être dignement représentée au milieu de ces montagnes de marchandises ? Je préviens tout de suite, je ne sortirai pas d’ici sans mon dessert à la crème au beurre sans goût ni gluten, avec ses ornements ridicules et ses kilos de sucre. La pâtisserie en question a beau être grossièrement industrielle, je ne veux pas priver ma table de cette gourmandise symbolique à prix discount.
Je me dirige vers elle le cœur léger, en imaginant déjà le goût de cette incontournable tradition gustative de fin de repas, en entendant déjà les applaudissements célébrant sa venue ainsi que l’entrechoquement des verres remplis de vin mousseux ou de champagne pour les plus chanceux.
Arrivé à destination, j’aperçois comme un étrange attroupement devant les étalages des desserts. En regardant par-dessus l’épaule de quelques spectateurs médusés, les mains cramponnées au chariot, je découvre une situation qui semble un peu hors de contrôle : deux femmes se disputent assez bruyamment le privilège d’emporter la dernière bûche de Noël, des rayonnages pillés par des consommateurs peu soucieux des retardataires. Le ton monte. Chacune campe sur ses positions et assure être arrivée la première. En penchant la tête, j’arrive à voir l’objet de tous les désirs, le saint Graal en forme de gâteau roulé chocolat-vanille avec son petit décor composé de houx, d’une hache et de scies en plastique.
Dans une totale cacophonie où la mauvaise foi semble être l’unique règle du jeu et où tous les coups bas sont permis, les deux concurrentes étalent sans gêne leurs connaissances en ornithologie, hurlant une liste impressionnante de noms d’oiseaux. Je m’approche et propose timidement un arrangement à l’amiable avec un bon vieux chifoumi. Mais mon idée ne fait pas l’unanimité dans ce grand vacarme discordant.
Tout d’un coup, alors qu’aucun « dong » n’ait véritablement retenti, les deux catcheuses s’élancent nerveusement sur le ring : griffures aux visages, cheveux tirés, coups de genoux dans le sac à main, l’ambiance devient sportive. Je vois alors arriver au pas de course un vigile accompagné d’un employé à qui on a visiblement demandé de se déguiser en Père Noël, une tâche ingrate qui pourrait presque faire penser à une sanction disciplinaire.
En m’éloignant très discrètement de cette improbable bousculade au rayon frais, je constate que l’esprit de Noël a besoin avant tout d’une bonne dose de chaleur humaine. La bûche planquée sous mon blouson, j’arrive en caisse avec un air triomphant, en me disant que Noël c’est un peu comme un vieux gilet usé : on le critique, on ne veut plus en entendre parler mais quand on est dedans, on se sent étrangement bien. Et contrairement au reste, cette sensation n’a pas de prix.
© Short Édition - Toute reproduction interdite sans autorisation
