Nez rouge

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Histoires Jeunesse :
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Dans ma famille, tout le monde a un don.
 
Ma grande sœur est un génie du dessin. C'est aussi une passionnée du Japon : elle passe sa vie habillée en kimono, ne mange qu'avec des baguettes (le matin, elle se lève avant tout le monde, car attraper ses Miel Pops avec des baguettes lui demande un peu de temps). Elle appelle nos parents Otosan et Okasan, ce qui signifie papa et maman, en japonais. Et elle-même se fait appeler Ayaka, ce qui veut dire fleurs colorées, même si, en réalité, son prénom est Lucie.
 
Mon petit frère, Sam, est un champion de tennis. Il n'a que neuf ans, mais il est déjà l'espoir de son club. Il enchaîne les matchs et gagne très souvent. Les rares fois où il perd, il ne boude pas. Au contraire, il sourit et dit à son adversaire : « bien joué », ou « très beau match ! ». Sam est peu à la maison, car quand il n'est pas à l'école, il est à son club. Les rares fois où il est chez nous, c'est dans les escaliers que je le rencontre : il monte et redescend les marches, inlassablement, pour améliorer son cardio...
 
Ma mère est professeure de violon. Mon père réalise des documentaires animaliers. Ma grand-mère était cantatrice. Même mon chien, Pancho, est un génie : il sait ouvrir les portes, y compris celle du réfrigérateur.
Voilà donc ma super famille géniale !
 
Ah oui, il y a moi aussi...
J'aurais bien voulu, comme eux, avoir un don, quelque chose qui me passionne et me rende fière. Quelque chose aussi qui m'occupe, car j'ai souvent l'impression, à la maison, d'être celle qui attend : que Maman ait fini sa répétition, que Papa ait terminé son montage, que Lucie ait achevé ses croquis, que Sam soit rentré de son entraînement...
Pourtant, j'en ai testé des choses ! Le violon bien sûr, mais Maman s'est vite rendue compte que ce n'était pas fait pour moi. Elle m'a alors confiée à sa collègue, Anne, la prof de chant. Elle pensait qu'avec ma prestigieuse mamie, j'allais être douée. Mais elle s'est vite rendu compte que je chantais plus comme une casserole que comme un rossignol. Du coup, au bout de quelques séances, elle m'a gentiment conseillé d'essayer les cours de zumba, qui avaient lieu à la même heure, au rez-de-chaussée.
J'ai aussi testé la corde à sauter : dans le garage, je me suis beaucoup entraînée. À force d'efforts et de transpiration, j'ai réussi quelques figures qui n'étaient pas mal, mais un soir, j'ai dérapé sur des haltères qui traînaient par terre, j'ai fait un vol plané et je me suis ouvert le front. Maman a aussi essayé de m'initier à la cuisine, à la couture, à la pyrogravure...
Il semblerait que tout me résiste ! À l'aube de mes onze ans, je dois me rendre à l'évidence : je ne suis vraiment douée en rien !
 
J'en étais à ce triste constat quand un évènement bien plus grave est venu chambouler mon quotidien : Mamie est tombée malade et a dû être hospitalisée. Papa et Maman n'ont pas voulu me donner trop de détails, mais à voir leurs têtes, j'ai compris que c'était grave.
Maman se rend à l'hôpital tous les jours pour voir Mamie. Et nous, les filles – Sam est trop jeune –, avons le droit de lui rendre visite, chacune notre tour, une fois par semaine. La première fois, j'ai eu un choc en la voyant. Ma grand-mère semblait si faible et si vieille tout à coup !
Lucie, à chaque visite, lui apporte un épisode d'une BD qu'elle dessine spécialement pour elle. Moi, comme je ne sais rien faire, j'ai cassé ma tirelire pour lui acheter des fleurs. Pas très original, mais j'espère que ça lui fera plaisir.
Mercredi, avec Maman et mon petit bouquet, je suis retournée à l'hôpital. Par la vitre, j'ai constaté qu'il y avait déjà quelqu'un dans la chambre de Mamie. Un homme avec un pantalon large, des cheveux verts et un nez rouge !
— Les clowns ! a dit Maman. C'est vrai, on est mercredi. Ils viennent pour les enfants, mais ils font parfois un petit détour pour visiter aussi les personnes âgées.
Les clowns ? Mais ? Nous n'étions pas au cirque ! Mamie avait besoin de calme, de silence pour se reposer et guérir plus vite.
Nous avions à peine franchi le seuil que le clown aux cheveux verts s'est précipité sur moi et m'a arraché mon bouquet des mains en me disant :
— Merchi, merchi, mais fallait pas !
Et il a commencé à tournoyer dans la chambre en tenant mes fleurs à bout de bras.
— Mais, ce n'est pas pour vous, c'est pour mamie, ai-je crié, furieuse.
Le clown s'est figé. Puis, en regardant mamie, il s'est mis à pleurer, comme un bébé en me montrant du doigt :
— Elle est mésante cette dame !
— Mais non, c'est ma petite-fille, Léa. Et elle est adorable, a murmuré mamie en souriant.
— Moi, ze veux pas la voir cette mésante, a dit le clown en attrapant un drap et en se cachant dessous.
Après quoi, il s'est mis à sauter dans la chambre, avec le drap sur la tête, en chantant :
— Z'ai peur, z'ai trop peur de Laé !
Maman avait mis mes fleurs dans un vase, et le clown a plongé ses doigts dans le vase et m'a envoyé une pichenette d'eau en maugréant encore :
— Mésante !
J'allais râler mais, en me tournant pour prendre mamie à témoin, j'ai constaté qu'elle riait ! Du coup, toute ma colère s'est envolée ! Elle avait l'air rajeunie et ses yeux pétillaient. C'était magique ! Le clown avait encore d'autres chambres à visiter, alors il a fait un baise-main à Mamie et à Maman, puis il m'a souri :
— Tiens, pour me faire pardonner, m'a-t-il dit en me tendant un petit paquet qu'il a sorti d'une de ses innombrables poches.
J'ai attendu d'être dans la voiture pour ouvrir ce mystérieux paquet. Savez-vous ce qu'il y avait dedans ?
Un nez ! Un nez rouge. Un nez de clown. Et alors, j'ai eu une révélation !
 
* * *
 
Deux mois plus tard
 
Je viens de finir mon premier spectacle ! Assise devant la glace de la salle de bains, je retire mon maquillage, comme le font les pros, et je repense à cette journée incroyable.
Papa avait installé une sorte grande yourte dans le jardin baptisée « le chapiteau ». Lucie, elle, avait réalisé une superbe affiche, qui accueillait les spectateurs à l'entrée du chapiteau. Sam m'avait rapporté de son club un sac de balles de tennis car j'en avais besoin pour un numéro, et Maman avait composé un morceau au violon pour accompagner mon entrée sur scène. Papa a filmé tout le spectacle. Mais le plus beau cadeau venait de Mamie : elle m'avait promis de venir et elle a tenu parole ! Elle n'est pas guérie, mais elle est en rémission et a pu quitter l'hôpital, le mois dernier.
Elle a beaucoup applaudi et ri à mon spectacle. Mais pour être honnête, je n'en méritais pas tant ! Je crois que Mamie n'est pas très bonne juge, elle trouve toujours formidable tout ce que j'entreprends. Si le spectacle a pu être drôle, ce n'était pas aux moments prévus ! Pancho a fait n'importe quoi : aux répétitions, il faisait le beau et sautait dans les cerceaux, comme je lui avais patiemment appris ; aujourd'hui, il a pris le cerceau dans sa gueule et a commencé à le grignoter !
Mais ne rejetons pas toute la responsabilité de ce nouveau fiasco sur le pauvre Pancho. Moi-même, je n'ai pas été particulièrement brillante : j'ai eu des trous de mémoire, mes sketches, qui me semblaient drôles quand je les avais notés sur un papier, ne l'étaient plus vraiment sur scène...
Pas facile non plus de faire rire ! Ce n'est pas encore pour cette fois que je trouverai mon don ! Mais ce n'est pas grave. Tout à l'heure, en contemplant ma famille réunie autour de moi, dans la yourte chapiteau, je me suis dit que c'était peut-être ça finalement qui me rendait la plus fière : cette famille formidable qui m'aime et m'encourage !
 

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Image de Nez rouge
Illustration : Mathilde Ernst